Twittérature : court et bon à la fois

L’heure est grave, l’heure est belle. Depuis quelques mois, à l’ombre de la crise, se développe un mouvement littéraire nouveau : la twittérature (avec un accent dans la sphère francophone). Un courant hérité de l’Oulipo fondé par François Le Lionnais et prenant appui sur le service de microblogging Twitter. Avec des dizaines de « twittérateurs » dans le monde francophone et la fondation d’une association visant à les réunir, l’Institut de Twittérature comparée (ITC), la twittérature pourrait bien cha

Reprise d’un article de Stéphane Bataillon, publié sur le site Owni
magazine de journalisme numérique en creative commons

Au commencement il y eut un tweet

Tout commence en mars 2006 lorsque Jack Dorsey, cofondateur de Twitter, publie le premier tweet de l’histoire sur sa nouvelle application : « just setting up my twttr ». Cinq mots qui en annoncent des milliards d’autres. Le service de microblogging servira désormais à tout internaute désireux de partager ses informations et ses états d’âme avec ses « abonnés » (ou followers) ou d’en recevoir des personnes qu’il suit. Seule contrainte, faire tenir son message en 140 caractères maximum, espaces et liens compris.

Twittérature, une littérature minuscule

Mais que vient faire la littérature là-dedans ? Et bien elle s’immisce, elle s’infiltre et occupe l’espace, fût-il minuscule. Rapidement, certains utilisateurs commencent à transmettre sur Twitter des proverbes, des aphorismes, de courts poèmes rappelant les haïkus japonais et de minuscules histoires, les nanofictions, ou micronouvelles, s’inspirant des modèles de Félix Fénéon et de ses “Nouvelles en trois lignes” publiées dans le journal Le Matin au début du XXe siècle, de la « Very Short Story » attribuée à Hemingway [en] ou du fameux « Quand il se réveilla, le dinosaure était toujours là. » de l’écrivain guatémaltèque Augusto Monterroso (dont je vous recommande vivement l’œuvre, publiée en France par éditions Passage du Nord-Ouest et André Dimanche).

Ces écrivains sur Twitter, baptisés twittérateurs ou twittératrices, accompagnent ainsi le mouvement de retour actuel des formes brèves en littérature, dans le sillon d’auteurs contemporains comme Éric Chevillard et son autofictif (que l’on retrouve dans le toujours parfait mensuel Le Tigre) ou de manifestations comme le Prix Pépin qui récompense, depuis 2005, une nouvelle de science-fiction de 300 signes maximum (à peine plus de deux tweets, donc).

Sur tous ces aspects concernant la micronouvelle et la nanolittérature, je ne peux que vous recommander la lecture du très riche premier numéro de La Revue critique de fixxion française contemporaine consacré à ce thème sous le titre Micro/ Macro (vous pouvez télécharger ce numéro en cliquant ici [pdf]), ainsi que le site Micronouvelles de Vincent Bastin.

Des romans sur Tweeter ? C’est possible !

La brièveté de la forme n’empêche en rien une certaine ampleur. À coté des poèmes et des textes de fictions courtes, plusieurs twittérateurs se sont pris au jeu du roman découpé en tweets, sur le modèle des « romans par sms » qui firent fureur au Japon en 2008-2009, les keitai shosetsu [vidéo]. Thierry Crouzet (@crouzet – sur Twitter, le nom de l’utilisateur est précédé d’un arobase) publia ainsi un thriller, ou plutôt un twiller, Croisades, en 5.200 tweets de décembre 2008 à avril 2010. Au Canada, Julie Lé (@TwittLitt) publie également les tweets de ses micro-romans, lisibles les uns à la suite des autres. Exploitant au maximum l’esprit collaboratif propre aux réseaux sociaux, LeRoy K. May (@leroykmay) et Éric Bourbonnais. (@ebourbon) ont tenté l’aventure du twiller à quatre mains : Buboneka.

De Twitter à l’édition « traditionnelle »

Certains vont même jusqu’à publier ces tweets en livres comme Matt Stewart aux États-Unis avec The French Revolution ou André Lemos (@andrelemos) au Brésil avec « @reviravolta, uma experiência em twitterature ». En France, ce fut le cas de Béatrice Rilos (@rilosb) avec 100 caractères (espaces compris) aux éditions publie.net animé par le très actif François Bon (@fbon). Précurseur, Laurent Zavack (@Laurent_ZAVACK) a pré-publié sur Twitter puis sur papier romans et nouvelles dès 2008, allant même jusqu’à créer une maison d’édition, Twitteroman, dédiée à cette forme.

L’Institut de Twittérature comparée (ITC)

Pour tenter de fédérer et de mettre en avant ces nouvelles pratiques, plusieurs initiatives ont vu le jour. L’Outwipo (L’Ouvroir de Twittérature Potentielle) fut une première tentative. Elle est, apparemment, un peu en sommeil (le compte @outwipo n’étant plus mis à jour depuis août 2010) mais propose une large liste de twittérateurs. Plus récemment, un enseignant québécois, Jean-Yves Fréchette (@pierrepaulpleau) et un journaliste français, Jean-Michel Le Blanc (@Centquarante) ont fondé en août 2010 l’Institut de Twittérature Comparée (ITC). Disposant d’une antenne à Québec, et d’une autre à Bordeaux, cette association originale et francophone se veut le lieu de rassemblement et d’animation des twittérateurs avec, en projet, un Festival de twittérature et un prix pour 2012, comme nous l’explique Jean-Yves Fréchette dans ce reportage, réalisé dans le cadre du concours organisé par TéléQuébec « Le triathlon du français » par l’équipe « Les Traits d’union » :

Voici le Manifeste de la twittérature de l’ITC, document assez exceptionnel et fondateur pour que nous reproduisions ici dans son intégralité :

Manifeste

La twittérature est à la rature, ce que le gazouillis est au chant du coq. Les uns vantent l’alexandrin, d’autres jouent du marteau-piqueur.

Twittérature n’est pas humour. Il serait absurde de se rire de tout alors que l’on peut très bien se moquer de quiconque. Et réciproquement.

La twittérature est la somme de récits, aphorismes et autres apophtegmes. Une cacophonie de gazouillis que symphonise harmonieusement l’ITC.

La twittérature n’a pas de but lucratif. Seul l’enrichissement personnel d’ordre neuronal est autorisé dans les banques de données de l’ITC.

La twittérature se pratique par tout temps. Une de ses missions est d’ailleurs de déceler les littérateurs du passé qui auraient pu tweeter.

La twittérature ne contraint pas le twittérateur, mais elle se joue de la contrainte. Une seule contrainte, être fier de ses propres tweets.

La twittérature dispose d’un organe officiel, www.twittexte.com autour duquel les twittérateurs doivent faire corps sans se prendre la tête.

La twittérature ne s’intéresse pas qu’aux tweets présents en 140 caractères. Elle s’occupe aussi des tweets imparfaits, voire conditionnels.

La twittérature vante la beauté de l’orthographe et de la rhétorique mais interdit de se moquer de la verrue qui virgule le tweet du voisin.

La twittérature n’est point à traiter par-dessus la jambe, quel que soit le nombre de pieds utilisés pour chausser cent quarante caractères.

La twittérature envisage l’avenir sereinement. Dès l’apparition des premiers signes de vie extraterrestre, son aura deviendra intersidérale.

La twittérature n’est pas affaire d’homme ou de femme, elle est ambidextre, son manichéisme asexué. Elle est aussi singulièrement plurielle.

La twittérature est à la portée de tous. Elle fait vibrer les sourds ; elle illumine les aveugles ; les manchots peuvent l’effleurer du doigt.

La twittérature ne manque pas d’ambition, elle génère l’ambition mais aussi la notoriété et bien d’autres valeurs littéralement littéraires.

Pour approfondir la découverte de l’ITC, toutes les informations sur sa branche française, ses statuts en 140 caractères et les modalités d’adhésion sur son blog, animé par Jean-Michel Le Blanc : http://twitter.blogs.sudouest.fr/.

Posté le 18 janvier 2011

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Nouveau commentaire
  • Janvier 2011
    11:53

    Twittérature : court et bon à la fois

    par stéphane Bataillon

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    La moindre des choses serait de vous y conformer.
    Bonne journée quand même.

    Stéphane Bataillon (l’auteur de l’article) ;-)
    www.stephanebataillon.com