Do It Yourself : du libre dans les objets (Décembre 2010)

- Rédaction Mathieu Labendzki et Julie Bailleul pour ANIS - Décembre 2010

Depuis quelques années, le « libre » a le vent en poupe. Lorsqu’on parle d’informatique, il est devenu quasiment impossible de passer à côté de Firefox, OpenOffice.Org et autres Spip...

L’idée de production libre provient de l’informatique. Dans les années 1990, des techniciens décident de rendre des sources de programmes accessibles à tous. Chacun peut ainsi apporter sa contribution, permettre au logiciel d’évoluer, à condition de partager les fruits de ses recherches.

Cette philosophie de partage de l’information et d’interconnexion des utilisateurs d’un système ou d’un logiciel se répand peu à peu dans d’autres domaines que l’informatique pure.
Ainsi, un type de licence similaire est utilisé par les artistes qui souhaitent partager leur art de manière alternative (voir à ce sujet notre articles sur les licences Creative Commons).

Désormais, le « libre » sort des sphères virtuelles et artistiques pour être employé dans le monde physique. On parle alors de « Do It Yourself » (DIY) et de « Open Source Hardware ».

Dans ce dossier, ANIS vous propose de découvrir plus en détails ce qu’est le DIY, les valeurs qu’il véhicule et la manière dont il est développé. Vous découvrirez également une initiative développée dans le Nord-Pas de Calais, le travail d’un artiste qui cherche à combiner musique libre et machines open source.

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Imprimante "reprap" 3D
Source : blog.make.com

Définition, valeurs et idéaux

Le DIY, késako ?

Comme son nom l’indique, « Do It Yourself » (littéralement « Fais-le toi-même ») indique que les objets sont faits par les utilisateurs eux-mêmes.
L’idée est de créer des objets dont les spécificités sont accessibles à tous, où chacun peut apporter sa contribution. Il s’agit de créer soi-même des objets, et de partager le savoir.

Ainsi, des « hackers » (ou « bidouilleurs » en français) s’attaquent désormais à la fabrication d’objets « libres ».

Différents sites proposent des plans, des schémas pour construire des objets et partager des connaissances. A titre d’exemple, on peut citer la plateforme internet du magazine Make, dédiée au DIY : blog.makezine.com (en anglais). Ce site propose des schémas, des reportages sur la création open source d’objets.

Devenir acteur et non plus seulement consommateur

Au-delà de l’aspect pratique et sympathique que peut représenter l’opportunité de créer soi-même des objets et des produits, il existe une véritable philosophie qui se développe autour du mouvement DIY, permettant de diffuser des contenus, des savoirs, en sortant de la bipolarité classique producteur / consommateur.

En effet, le DIY permet de produire uniquement ce dont l’utilisateur a besoin, dans les quantités et la qualité qu’il aura choisies.

Il propose donc une alternative intéressante à la société de consommation en donnant au « bricoleur » la possibilité de devenir le créateur de ses propres objets, de devenir acteur et non plus simple consommateur.

Sortir de la standardisation

L’idée principale de ces machines open source est de sortir de la dualité classique producteur / consommateur, pour aboutir à une autre vision de l’économie de marché, qualifiée « d’économie de la contribution » par B. Stiegler (voir le site créé par M. Stiegler, dédié à ce sujet : http://arsindustrialis.org).

Cette vision de l’économie propose un cadre différent de l’économie classique, en s’appuyant sur les TIC, qui renversent les pratiques culturelles et économiques.

Bernard Stiegler propose une vision théorique intéressante du DIY sur le site http://arsindustrialis.org :

« Ainsi, les technologies numériques font apparaître des pratiques culturelles et économiques fondées sur un tout autre modèle , où les participants aux réseaux numériques ne sont plus dans une relation de producteurs et de consommateurs, mais nouent un nouveau type de relation qui est de l’ordre de la coopération et de la contribution.
En outre l’évolution de la division internationale du travail fait apparaître des nouvelles formes d’organisation industrielle du travail, ce que l’on appelle parfois l’industrie de la connaissance.
Enfin les microtechnologies et les nanotechnologies qui conduiront à un développement des objets Internet, c’est à dire des objets de la vie quotidienne qui seront inscrits dans le réseau numérique pour des aspects sans cesse plus divers de l’existence quotidienne, créeront des opportunités toujours plus importantes de voir se déployer des modèles de contribution plutôt que de consommation, et dans le même temps , ces technologies de rupture donnent des opportunités d’association des populations à leur développement, dans la mesure où la Puissance Publique favorisera cette évolution ..... »

Le DIY et l’univers de la création musicale

A l’origine du mouvement DIY, se trouve la volonté de certaines personnes défendant des idées « anticonsuméristes ». Ces derniers souhaitent s’éloigner de la culture de consommation de masse pour développer une vision alternative de l’objet, de l’outil, et ne pas dépendre de grandes entreprises qui réalisent des profits sur des produits qui peuvent être faits par chacun (vêtements, radios FM...). Le mouvement est alors influencé par la culture punk et l’anarchisme.

Peu à peu, le DIY sort des « squats » pour être apprécié par d’autres acteurs, notamment les artistes créant de la musique électronique.

Avant le DIY, de nombreux musiciens créaient de la musique sur des plateformes (un ordinateur avec logiciels de mixage, relié à différents contrôleurs et périphériques), fabriqués par un nombre limité de sociétés.
Bien que les capacités de ces plateformes fussent importantes et que leur adaptabilité soit grande, certains protagonistes de la scène musicale électronique étaient frustrés de ne pas pouvoir créer comme ils le souhaitaient...
Ces artistes décident alors de se regrouper en communautés et d’échanger des « patches », c’est-à-dire des fonctionnalité supplémentaires pour les logiciels.
Puis d’autres artistes décident d’aller plus loin, en développant leurs propres contrôleurs, à partir de circuits électroniques dont les spécificités sont open source, donc reproductibles et modifiables à souhait.
Certains artistes se regroupent de façon spontanée, afin de développer ensemble de nouvelles machines musicales.

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Plateforme Arduino pour la création musicale
Source : blog.make.com

Les Fab Labs, Hackerspaces et autres espaces de création

Le mouvement DIY connaît une évolution majeure à partir de 2004, année où Neil Gershenfeld (directeur du Center for Bits and Atoms, au sein du MIT - Massachussets Institute of Technology ) développe l’idée de « Fab Lab ».

Les « Fab Labs » (abréviation de « Fabrication Laboratory ») sont des espaces de création et de prototypage d’objets innovants.
Ces espaces sont souvent à l’initiative d’universités.
Leur but est de permettre l’émergence de créations technologiques innovantes, qu’elles aient une utilité ou non. On les définit parfois comme des lieux d’artisanat technologique.

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FabLab aux Etats-Unis
Source : fing.org

La Fondation Internet Nouvelle Génération a rédigé un article complet à ce sujet, disponible à l’adresse suivante : http://fing.org/?Le-Fab-Lab-lieu-d-artisanat

En parallèle, il existe d’autres lieux de création, organisés de façon plus autonome et souvent à visée temporaire : les « Hackerspaces ».
Ces lieux d’expérimentation technologique sont en général créés à l’initiative d’individus qui ont envie de développer des objets libres.
La démarche est différente de celle des Fab Labs en ce sens qu’elle n’émane pas d’une institution (qui invite des bidouilleurs à se réunir), mais de l’envie de hackers de se rencontrer.

Tous ces lieux ont pour ambition de désacraliser l’objet technologique et de permettre à chacun de s’approprier des connaissances sur les outils du quotidien.

Précisons qu’en 2008, le magazine Make répertorie 60 projets de création de matériel open source. Fin 2009, il en dénombre 125, répartis en 19 catégories. En 2010, il a arrêté de les compter ! (Source).

Le DIY fait des émules dans d’autres secteurs.
En 2009, une entreprise coopérative américaine appelée Pink Army entend développer des médicaments open source .
L’idée de Pink Army est de former une communauté de chercheurs qui travaillent sur un traitement contre le cancer du sein. Elle utilise la bio-informatique pour réaliser des recherches et rendre toutes leurs découvertes publiques (Sources : Wikipedia et http://pinkarmy.org/).

Cette manière nouvelle de penser les objets et la création prend de l’ampleur sur tous les territoires et dans tous les secteurs.
Dans le Nord-Pas de Calais, des projets de création numérique open source voient également le jour. Nous avons eu l’occasion de rencontrer Thierry Mbaye, artiste numérique qui travaille sur un projet de « workshop », un atelier de création lié aux arts numériques.

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Circuit imprimé open source
Source : blog.make.com

Fais-le toi-même dans le Nord-Pas de Calais

Dans le Nord-Pas de Calais, un projet « open source hardware » est en développement. Ce dernier est porté par Thierry Mbaye, et soutenu par la Région Nord-Pas de Calais, le Département du Nord et l’Europe à travers le financement de micro-projets associatifs.
L’association Chtinux héberge le projet.

Thierry Mbaye est un artiste de musique électronique qui a compris les potentialités de l’utilisation de matériel open source dans la création artistique. Le but de son projet est double. Il s’agit d’une part de proposer aux artistes des ateliers pour découvrir, développer et participer à l’évolution de ce type d’objets. D’autre part, il souhaite offrir à un public plus large une ouverture vers l’électronique et la musique créée par ordinateur.

Son « workshop » doit permettre à terme la rencontre de personnalités différentes, mais qui peuvent être complémentaires, et l’émergence de volontés de créer ensemble de la musique, des images, des chorégraphies...

A l’heure actuelle, Thierry Mbaye élabore une base de donnée des différents projets similaires existants en France et à l’étranger et se forme à la maîtrise des techniques, notamment au CRAS, le Centre de Ressources Art Sensitif à Mains d’Œuvres, un projet dédié au soutien de la création numérique
(www.mainsdoeuvres.org).

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Midibox, contrôleur pour créer de la musique
Source : Flickr.com

L’ambition de M. Mbaye est de proposer dès le premier trimestre 2011 des ateliers-test dans lesquels chacun pourra développer ses propres objets. Son Fab Lab a également pour ambition de produire des groupes de musique, qui créeraient de la musique libre.

Conclusion

Vous l’aurez compris, le DIY correspond véritablement à une pratique culturelle nouvelle, issue des évolutions techniques et de l’envie de quelques personnes de s’éloigner d’un mode de consommation passif pour développer leurs propres productions.

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FabLab en Afghanistan
Source : fing.org

Au-delà de l’aspect revendicatif de la démarche, il est possible d’imaginer que les évolutions technologiques pourraient donner lieu à un meilleur partage des connaissances, notamment avec les pays en voie d’industrialisation. L’innovation technologique pourrait alors amorcer un changement social d’envergure.

Sources :

- http://fing.org/?-FabLab-Squared,139-
- http://hackerspaces.org/wiki/List_of_Hacker_Spaces
- www.internetactu.net/ repenser l’internet des objets
- http://www.lagrottedubarbu.com
- http://en.wikipedia.org/wiki/Open_source_hardware
- http://blog.makezine.com/archive/2007/04/open_source_hardware_what.html

Anis

L’Association Nord Internet Solidaire (ANIS) a pour objet la valorisation des Usages Citoyens et Solidaires des TIC, à l’initiative des ROUMICS « Rencontres OUvertes du Multimédia et de l’Internet Citoyen et Solidaire »

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URL: http://www.anis.asso.fr/
Via un article de Mathieu Labendzki, publié le 1er décembre 2010

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