L’enfant, ses parents et la question des espaces numériques (1)

par Daniel Coum, Psychologue clinicien, Directeur de l’association Parentel

L’article d’Hubert Guillaud "Il n’y a pas de solution imparable pour protéger les enfants sur l’internet" a suscité une réflexion de Daniel Coum, Directeur de l’association Parentel publiée ici par a-brest

L’enfant ne s’auto-éduque pas

« Il est réjouissant, in fine, que l’ignorance dans laquelle les parents sont et, éventuellement restent, des espaces numériques que fréquentent leurs enfants les conduisent à s’inquiéter, quoique parfois un peu tard et toujours a posteriori, des dangers auxquels ils pourraient y être confrontés et des conduites qu’ils auraient, en la matière, à adopter.

A cette occasion, l’on re-découvre que les enfants s’éduquent et que les adultes en général (et les parents en particulier) sont les agents de cette éducation !

La crainte des espaces nouveaux a toujours fonctionné comme un repoussoir pour les parents désireux d’épargner (parfois coûte que coûte) leurs enfants des plaies et des bosses qu’ils pourraient y récolter. Une manière de protéger les enfants et les adolescents est d’empêcher l’accès à ces espaces nouveaux : « tu n’iras pas jouer en bas de l’immeuble, c’est dangereux ! » Idem pour le net ! Une manière de ne pas protéger est de ne rien vouloir en savoir et de faire comme si, illusoirement rassuré de ce que l’enfant devant l’écran ne soit pas… dans la rue, il n’y avait pas de dangers ou que l’enfant allait savoir s’en prémunir de lui-même ! Si éviter à l’enfant la confrontation aux dangers n’est pas éduquer, méconnaitre qu’il y ait des risques pas davantage…

L’éducation se situe donc entre deux pôles : l’excès de protection (empêcher l’accès aux espaces nouveaux au motif qu’ils sont dangereux), dite alors « surprotection » dont l’interdiction totale stricte est une des formes, et l’insuffisance de protection (méconnaitre les dangers des espaces que l’on laisse les enfants fréquenter sans accompagnement), habituellement décrite comme une des figures de la démission. « L’éducation, disait Freud, doit chercher son chemin entre le Scylla du laisser-faire et le Charybde de la frustration » (Freud S., Nouvelles conférences sur la psychanalyse, Gallimard, 1936, p. 200)

Eduquer revient à accompagner le mouvement spontanément centrifuge de l’enfant vers les espaces nouveaux en limitant son expansion, en le guidant en fonction de ses capacités, en lui apprenant à apprécier les risques et faire face aux dangers… (qui ne le sont qu’au regard de son immaturité, donc de sa vulnérabilité) ce qui permet, peu à peu, d’élargir les autorisations et de déléguer la responsabilité, une fois transmise…

Le débat est donc plus large et plus crucial qu’il y parait. Car c’est la transmission elle-même qui est en question et à travers elle la filiation…

La transmission est en crise

En effet, le processus éducatif s’appuie, toujours, sur la transmission d’un savoir-faire fondé sur l’expérience vécue. De même que la protection de l’enfant se fonde sur une représentation adulte – plus ou moins exacte puisque subjective au départ – des risques encourus par l’enfant. Cela suppose a minima la capacité de l’adulte de s’identifier à ce que vit l’enfant ou l’adolescent : encore faut-il qu’il en ait fait une certaine expérience auparavant. Aussi, l’ignorance dans laquelle les parents sont des expériences vécues de leurs enfants sur internet, au motif qu’ils n’en ont pas fait l’expérience eux-mêmes antérieurement, modifie-t-elle sensiblement le rapport des éducateurs qu’ils sont à la transmission, perturbant donc le processus éducatif lui-même.

Face à la difficulté de l’exercice, il est alors pour le moins tentant de s’en remettre à une prétendue capacité des enfants et des adolescents d’auto-réguler leurs comportements, c’est-à-dire d’être autonomes. Cela ne va pas sans faire peser sur eux le poids des choix qu’ils ont à faire… Sont-ils capables de l’assumer ? L’on pourrait résumer ainsi les données de la mutation à laquelle nous avons affaire. A l’autorité du père s’est substituée à celle des pairs. A la référence au lien filial qui transmet à la génération suivante un héritage pré-construit s’est substitué le lien social intra-générationnel qui fait circuler un « héritage » co-construit. Que les collatéraux fassent, désormais, référence - sinon autorité - revient ni plus ni moins à promouvoir la démocratie aux dépends de l’autocratie, la négociation à la défaveur de la hiérarchie. Et l’on ne saurait s’en plaindre !

Mais le bât blesse lorsque l’on considère utopiquement que les enfants pourraient participer, d’emblée, de cet idéal. Car cela revient à prêter aux enfants des compétences – la liberté et la responsabilité – dont ils ne savent, en fait, faire usage. Ce déficit n’enlève en rien que les enfants soient dotées de ces compétences spécifiquement humaines, mais à titre de potentiel qu’ils ont à révéler, par l’expérience accompagnée, pour pouvoir, le temps venu, les utiliser. Cette immaturité de structure n’est, ni plus ni moins, ce qui rend nécessaire l’éducation (protection et initiation) et oblige l’engagement de l’éducateur (protecteur et initiateur)… Aussi, ce à quoi l’on attribue parfois trop vite le visage de la démission (fermer les yeux sur ce que fait, vit et éprouve l’enfant ou l’adolescent au nom de la liberté que l’on lui laisse) n’est souvent qu’une forme d’hyper-responsabilisation naïve (ou idéologique) d’un incapable !

A ce sujet, deux textes font, à mon sens, référence.

  • Celui de Hannah Arendt sur « La crise de la culture ». En 1954, H. Arendt écrivait – je cite de mémoire – dans un des articles intitulé « la crise de l’éducation et la rupture de la transmission » : « L’autorité a été abolie par des adultes qui refusent d’assumer le monde dans lequel ils ont placé leur enfant ». Les mondes numériques ne sont-ils pas sont une certaine forme du monde dans lequel nous avons placé nos enfants ? (Arendt H., La crise de la culture, Folio Essais, 1972)
  • Un article de Marcel Gauchet dans sa revue « Le débat » (L’enfant du désir, N° 132, novembre-décembre 2004) consacré à l’enfant et qui permet de construire une approche scientifique du statut d’enfance, de l’immaturité qui le caractérise et des enjeux dont son existence est l’objet dans le discours des adultes du fait même qu’il n’est pas capable d’y faire objection, c’est-à-dire de revendiquer en son nom propre.

Internet, analyseur du lien social

Aussi soutenons-nous l’idée que l’internet est le lieu où des questions sociales cruciales se posent, sorte de miroir réfléchissant des aléas de l’évolution de nos manières de faire société et d’y intégrer la génération qui suit. Internet comme « analyseur du lien social » est particulièrement opérant en ce que, fruit d’un progrès technique fulgurant des modes de communication, il exclut d’emblée de son usage la génération qui a pour fonction d’y initier la suivante. La donne est claire. Il s’agit de faire avec ! Mais comment ? Le débat est ouvert !

Daniel Coum
Psychologue clinicien
Directeur de l’association PARENTEL
(Parentel Service Ecoute Parents ; Unité de Recherche et de Formation sur la Parentalité ; Pasaj Service Ecoute Jeunes)
Membre associé au Laboratoire d’Anthropologie et de Sociologie, Rennes 2
4 rue Colonel Fonferrier 29200 BREST
www.parentel.org

Posté le 3 février 2009 par Daniel Coum

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Nouveau commentaire
  • Février 2009
    14:01

    L’enfant, ses parents et la question des espaces numériques (1)

    par Hubert Guillaud

    Merci pour ce rebond.

    Parmi les références, j’aurais tendance à ajouter celles d’un psychiatre et psychanalyste, Serge Tisseron, qui dans Virtuel, mon amour ne décrit pas autre chose.