A qui appartiennent les données publiques ?

Les joyaux de la couronne n’appartiennent à personne

t comment faire pour les réexploiter dès lors qu’il est interdit de s’en resservir sur des plateformes commerciales ?

Reprise d’un article publié par Internet actu

Dans Communautés, Coopération, Gouvernance, Gouvernance de l’internet, Interfaces, Réseaux domestiques, Services, Territoires, eAdministration, coopération, géolocalisation, la27eregion, politiques publiques, villes2.0, web ! local, par Jean-Marc Manach, le 03/12/08,

(magazine en ligne sous licence Creative Commons)


A qui appartiennent les données publiques ?

Et comment faire pour les réexploiter dès lors qu’il est interdit de s’en resservir sur des plateformes commerciales ?

La question s’est crûment posée, ces dernières semaines, à l’occasion d’un concours lancé en Grande-Bretagne, lorsque l’on s’en aperçu que les gagnants n’avaient pas le droit de réutiliser les données que le gouvernement leur avait proposé de réutiliser, et donc de mettre en oeuvre les projets pour lesquels ils avaient été primés.

Souvenez-vous, en 2006, le quotidien britannique The Guardian lançait une campagne, Rendez-nous les joyaux de la Couronne, et un site dédié, Free Our Data, pour que les données publiques puissent être utilisées par les contribuables qui les ont, in fine, payées.

En réponse, le gouvernement mettait en place une commission, la Power of Information Taskforce, pour améliorer le partage des données, et leurs exploitations. En 2008, il lançait également un concours, Show Us A Better Way (Montrez-nous une meilleure voie) pour récompenser les meilleurs projets de réutilisation des données publiques, comme nous vous l’expliquions en septembre .

Les organisateurs avaient pris, comme exemples, FixMyStreet, un service proposant aux internautes de rapporter les incivilités, dégâts, graffitis et autres problèmes à l’échelle locale,Rate your prison, qui permet aux familles et proches de détenus d’évaluer l’état des prisons britanniques, FarmSubsidy, qui tente de répertorier la répartition des subventions agricoles européennes, ainsi qu’un outil de cartographie de la criminalité (voir cette présentation).

Les cinq projets récompensés (sur plus de 450 postulants) n’ont finalement rien à voir avec cette fibre sécuritaire ou de sousveillance, préférant tenter de repondre à des problèmes plus prosaïques.

Le premier prix revient ainsi à un projet de site web proposant de répertorier, à partir de son code postal, ce que les autorités du cru proposent de recycler, ou pas, comment, et qui contacter pour cela (les collectivités locales britanniques n’ont pas toutes les mêmes capacités et offres de recyclage).

Les autres projets proposent de produire des cartes des pistes cyclables, de les personnaliser avec des balades sympas et les points à éviter, ou encore de répertorier, quartier par quartier, la carte scolaire, la liste desboîtes aux lettres et celle des toilettes publiques

Les organisateurs ont par ailleurs décidé d’aider au développement d’une interface de programmation (API) répertoriant les travaux routiers, les ressources juridiques libres, les projets financés par l’argent public (Where does my money go ?), les services ciblant les “baby-boomers” (Oldienet), les écoles ou encore les épaves se trouvant sur les côtes britanniques.

Quand l’administration parodie les Monty Python

Le Guardian souligne cela dit que ces projets se confronteront à un obstacle de taille : les données issues d’Ordnance Survey, l’agence de cartographie britannique, ne peuvent en effet être utilisées avec des services tels que Google Maps, pour cause de respect des licences légales…

Les conditions d’utilisation d’OpenSpace, l’API qu’elle a rendue publique en phase beta, précisent ainsi qu’il est interdit d’afficher des Google Ads sur ses données, ainsi que de créer des widgets pour Facebook, MySpace et autres sites sociaux commerciaux.

Alors que le Guardian ironisait sur le fait que cartographier la liste des toilettes publiques, ou encore celle de la criminalité (une promesse du ministère de l’intérieur), constituerait en soi un “crime“, la polémique enflait après que le Sunday Times ait révélé qu’il était question de privatiser les agences en charge des données publiques…

Ce qui serait lapire des choses, pour Free Our Data. Pour le président de la commission sur le pouvoir de l’information, “les données géographiques devraient être libres (et dans tous les sens du terme free)“, à savoir librement réutilisables, mais aussi gratuites.

A défaut de clore la polémique, l’Ordnance Survey vient de mettre à jour sa licence : si elle continue d’interdire la réutilisation de ses données par des tierces parties, celles-ci pourront par contre ajouter leurs données aux productions de l’organisme public… Ce qui ne rassure pas pour franchement Free Our Data, qui ne voit pas non plus pourquoi la licence, qui d’emblée a décidé de ne pas jouer la carte de l’interopérabilité, ne pourrait pas, de nouveau, être modifiée.

La petite carte qui monte, qui monte…

Pendant que les Britanniques guerroient pour savoir s’il convient de privatiser les données publiques pour mieux les exploiter, ou, au contraire, les libérer en tant que “biens communs“, certains en profitent déjà pour économiser les deniers publics, d’autres pour améliorer, bénévolement, les services publics.

Aux Etats-Unis, le concours Apps for Democracy (des outils pour la démocratie) a permis la réalisation de 47 mashups en 30 jours. Le bureau des technologies du district de Washington DC, qui voulait inciter les gens à réutiliser son catalogue de données publiques, a calculé qu’en suivant la procédure habituelle, il aurait fallu attendre deux ans pour parvenir à un tel résultat. Signe que les mentalités y sont moins frileuses qu’ailleurs, le concours devait initialement s’appeler Hack the District…

Mais le projet le plus intéressant a sans conteste été créé, il y a quatre ans, au Royaume-Uni, en réaction, précisément, à la licence restrictive de l’Ordnance Survey : OpenStreetMap (OSM) a pour objectif de dresser une carte mondiale, sous licence “libre”, et donc librement éditable, à la manière de Wikipedia.

Fort de 75 000 contributeurs, le projet avance à grands pas, d’autant qu’il permet également de qualifier la carte c’est-à-dire d’y indiquer les emplacements de parkings, de sites publics ou privés, etc. On y trouve ainsi près de 70 000 parkings, 18 000 écoles, 13 000 boîtes aux lettres, 11 000 restaurants, 7 000 cabines téléphoniques, 6 000 points de recyclage… et quelques centaines d’autres fonctionnalités ou projets dérivés, telle cette cartographie des pistes cyclables.

Last but not least, les données d’OSM seraient, selon un groupe d’universitaires, aussi fiables que celles de l’Ordnance Survey pour ce qui est du territoire britannique, et incomparablement plus pertinentes, en comparaison à Google, Microsoft Virtual Earth ou Yahoo, pour ce qui est de la ville de Bagdad.

La question de savoir à qui appartiennent les données publiques n’est pas prête d’être tranchée, et soulève de nombreuses autres questions (qui régule quoi, quid de l’infobésite géographique ?). Il y en aura toujours pour qui Wikipedia est et sera moins fiable qu’une encyclopédie “propriétaire“, et d’autres pour estimer que toute donnée doit (ou peut) être rentabilisée (voir, par exemple, l’argumentaire économique du prestataire de service d’Apps for Democracy, qui prétend avoir obtenu un retour sur investissement de 4 000 %). Mais tout le monde ne pense pas que ce type d’information peut être rentabilisée.

Pendant ce temps-là, de petites mains continueront à documenter OpenStreetMap, à en développer des services, mashups, usages… Et de même que les encyclopédies “propriétaires” se mettent toutes peu ou prou à suivre le modèle Wikipedia, il y a fort à parier que les outils de cartographie ne seront jamais tant utilisés, et améliorés, que s’ils sont “libres“. Ce qui serait un juste retour des choses, pour un service public. On notera à ce titre que le site Change.gov, le site web participatif créé par Barack Obama au lendemain de son élection afin de favoriser la démocratie participative, vient d’embrasser la licence Creative Commons By, “la plus libre des licences Creative Commons” d’après Lawrence Lessig. Ce dernier vient d’ailleurs de lancer open-government.us afin d’aider l’administration Obama à favoriser cette transition, et de promouvoir trois idées fortes :

  • les contenus publiés par le gouvernement doivent l’être sous licence libre afin d’en favoriser le partage, la citation, le “remix” et la redistribution,
  • aucune barrière technologique, telle que l’impossibilité de télécharger les vidéos postées sur Youtube, ne devrait s’y opposer,
  • la diffusion de ces contenus doit rester neutre, de sorte qu’ils soient accessibles à tout le monde en même temps, dans un format non propriétaire.

Posté le 7 décembre 2008

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