Les recherches sur les usages des TIC à l’épreuve de la problématique des non-usages d’Internet et de l’informatique.

Réflexions méthodologiques sur les indicateurs de l’exclusion dite numérique.

Résumé : L’objet de ce travail est de mener un état de l’art dans le domaine des recherches sur les usages et non-usages des technologies de l’information et de la communication (TIC), dans le but de proposer de nouveaux axes de recherches en méthodologie et en contenus pour améliorer la compréhension des situations de non-usages.

Dans un premier temps, nous proposons une revue de littérature anglo-saxone et francophone ; ensuite nous présentons une enquête participative, menée à Brest, sur la thématique des non-usages.

Nous terminons sur des propositions de recherche.

Marsouin
Un article publié par Marsouin, laboratoire des usages en Bretagne et repris du site http://www.marsouin.org/

Accéder à l’article sur le site de Marsouin

DOCUMENT DE TRAVAIL.

Les recherches sur les usages des
TIC à l’épreuve de la problématique
des non-usages d’Internet et de
l’informatique.

Réflexions méthodologiques sur les indicateurs de
l’exclusion dite numérique.

  • Annabelle Boutet
    (sociologue)
    IT-Telecom Bretagne / LUSSI :
    Logiques des usages, sciences sociales et
    sciences de l’information
  • Jocelyne Tremenbert
    (statisticienne)
    Observatoire OPSIS : Observation et
    Prospective sur la Société de l’Information et
    ses Services
  • M@rsouin : Môle Armoricain de Recherche
    sur la Société de l’Information et les Usages
    d’Internet (http://www.marsouin.org/ )
    Annabelle.boutet@telecom-bretagne.eu

Introduction.

On ne peut plus considérer aujourd’hui la dite
fracture numérique par une double approche en
termes d’accès à l’ordinateur et à Internet — qui
nierait la question des usages et des
compétences — et en termes de posséder ou de ne
pas posséder la technologie adéquate. A ce titre,
les récents, mais encore rares travaux, menés sur la
question du non-usage mettent en lumière la
diversité des situations. Ainsi, la lecture des
travaux menés par les Anglo-saxons montre que la
description des situations de non-usages ne peut
être basée sur une dichotomie entre usagers/nonusagers.
En effet, la part des truly desconnected
[Lenhart, 2003:3] — que nous traduirons par nonusagers
absolus — représente aux Etats-Unis un
quart des individus qui déclarent ne pas utiliser
Internet [Lenhart, 2003:3].

L’objectif de notre travail est donc de participer au
dévelopement de la compréhension de cette part de
la population (un peu plus de 40 % en France) qui
déclare ne pas utiliser Internet ou est classée par
les enquêtes comme non-internaute. Cette
compréhension passe à la fois par un travail de
définition des notions-clés, un repérage des cadres
théoriques pertinents et les outils méthodologiques
mobilisables. Mais avant, cela suppose de se poser
un certain nombre de questions
 :

  • La première est celle de savoir pourquoi est-il
    nécessaire d’investiguer plus avant sur la question
    des non-usages ? Tout d’abord parce que les nonusagers
    représentent encore aujourd’hui 40 % de la
    population ; ce qui entraine plusieurs
    conséquences d’un point de vue social. D’une part,
    le non-usage des TIC est considéré à la fois
    comme un facteur et comme un résultat
    d’exclusion et de marginalité. Aujourd’hui, si l’on
    écoute les idées courantes, ne pas être connecté,
    c’est ’perdre des occasions’ d’être actif dans la
    société — cela ne veut pas dire que ce soit vrai
    mais par contre cela créé du sens notamment pour
    ceux qui se pensent exclus —. Face à cela, les
    membres de la société (les pouvoirs publics, les
    associations, les citoyens et les acteurs
    économiques) s’interrogent, font des déclarations
    d’intention, mènent des actions sous des vocables
    tels que l’e-inclusion, la lutte contre la fracture
    numérique, etc.

D’autre part, d’un point de vue philosophique et
politique, cela signifie que 40 % de la population
peut être écarté des débats sociétaux que génère la
mise en oeuvre dudit modèle de la société de la
connaissance. Débattre c’est avant tout pouvoir
prendre part aux décisions.

Enfin, parce que d’un point de vue scientifique, au
fil des travaux, la question du non-usage pose
problème et ne peut être résolue par un simple
renversement des problématiques liées à l’usage.
Cela rejoint notamment le constat fait par Lenhart
selon lequel les non-usagers et les usagers ont des
idées différentes de ce à quoi le monde d’Internet
ressemble [Lenhart, 2003 :13]. Or, si nous
admettons la diversité des situations de nonusages,
nous admettons que les problématiques
liées à la diffusion des TIC peuvent être abordées
de ces points de vue là.

Dès lors, le travail même de catégorisation pose
problème puisque nous nous trouvons face à trois
démarches : Soit les travaux ignorent les nonusagers
ou les réduisent à une non catégorie, ce
qui conduit, d’une certaine manière, à reconnaître
la domination d’une ’super catégorie’ des usagers
sur la construction et la mise en oeuvre d’un
modèle social et sur sa compréhension ; soit le
non-usage devient une catégorie fourre-tout qui
conduit à rassembler dans un tout considéré
comme homogène, des situations et des
expériences très hétérogènes ; soit on construit des
typologies qui tentent de rendre objectives des
intentions déclarées par les acteurs eux-mêmes à
propos de leurs expériences et de leurs situations
personnelles, par le truchement de la vision des
chercheurs. Dès lors, comme le souligne Conein, il
convient de s’interroger non pas seulement sur
l’usage et le non-usage mais sur les circonstances
sociales et humaines qui participent à l’émergence
de ces catégories [Conein, 2005].

  • La question qui vient immédiatement après est
    bien celle de la manière de définir le non-usage.
    On se rend compte alors, qu’il n’y a pas une forme
    de non-usage mais une pluralité. Autrement dit,
    comment déterminer où commence et où finit le
    non-usage par rapport à l’usage ? Le ’comment’
    signifie de poser les définitions pertinentes pour
    rendre compte des situations. Le ’comment’ signifie
    également de trouver les méthodes pour alimenter
    ces définitions. Nous verrons que la démarche la
    plus courante est celle de la typologie. Mais se
    pose à nouveau la question de la manière dont sont
    construites les catégories de non-usagers cherchant
    la représentativité dans la diversité des situations
    concrêtes ? C’est-à-dire, quels indicateurs sont
    pertinents pour discriminer les situations ?
    Comment rendre ces indicateurs opérationnels ?

Dans cet article, nous proposons de mener une
analyse critique des travaux qui ont été conduits
sur les usages et sur les non-usages avec pour
objectif d’en extraire les points forts et les points
faibles. Nous poursuivrons avec la présentation
d’un travail exploratoire que nous avons mené dans
un quartier brestois sur ces problématiques. Enfin,
nous terminerons par des propositions sur la
manière d’aborder cette problématique tant dans
les contenus que dans la méthodologie.

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Posté le 5 décembre 2008

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