D’Obama à Royal : les mutations de la communication politique

Repris de l’article publié par Homonuméricus
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Il n’a pas échappé aux meilleurs observateurs que Barack Obama a su utiliser mieux qu’aucun de ses concurrents la puissance d’Internet pour se rallier les suffrages des américains.

La puissance de feu financière dont il a bénéficié, d’abord lors de primaires contre Hillary Clinton, puis lors des élections présidentielle contre John McCain fut l’une des clés de son succès. Or, cette capacité à lever des fonds doit beaucoup à l’habileté dont il a su faire preuve dans l’utilisation du réseau en général et des réseaux sociaux en particulier.

Dès le mois de juin The Atlantic montrait combien le candidat était soutenu par les entrepreneurs les plus innovants de la Silicon Valley, à l’exemple de Chris Hugues, fondateur de Facebook et qui a pris en main la stratégie de communication en ligne de son champion :

Depuis, plusieurs articles ont mis en évidence les qualités objectives des dispositifs de communication mis en place par l’équipe de Barack Obama. Récemment, le blog Web Profit analysait la très grande efficacité du site Barackobama.com, entièrement conçu de manière à déclencher une action de soutien, quelle qu’en soit la forme, de la part des visiteurs.

Plus récemment, Sarah Lai Stirland analysait sur Wired les armes secrètes du candidat démocrate : Internet, les bases de données et la psychologie. L’article montre bien que la grande force de cette campagne a résidé dans sa capacité à organiser le travail militant autant qu’à le susciter.

Des bases de données militantes, des sites web et de la publicité en ligne, des campagnes de mailing et téléphoniques, des spots télévisés et des groupes sur les réseaux sociaux, des formulaires de dons en ligne ; rien de radicalement révolutionnaire en apparence dans l’utilisation de chacun de ces outils pour développer une campagne politique en ligne. Ce qui l’est plus, affirme Benoît Thieulin, directeur de la Netscouade, une agence spécialisée dans la communication en ligne, c’est d’avoir su mobilier et articuler tous ces éléments pour les orienter dans une même direction. Il développe cette analyse dans Place de la Toile, émission de radio consacrée aux questions numériques :

  • Ecouter l’analyse de Benoît Thieulin : Baumgartner, Thomas, et Caroline Broué. “Les Parrains Place la Toile #6.” Ram. Place de la Toile. Paris : Radio-France, Novembre 7, 2008.

Benoît Thieulin n’est pas un observateur neutre sur cette question : il est le maître d’oeuvre de la campagne en ligne de Ségolène Royal aux dernières élections présidentielles. Venu du Service d’Information du Gouvernement où il s’était déjà essayé à la mise en pratique de stratégies de communication innovantes en politique, il a tenté, lors de la dernière campagne présidentielle, de faire fonctionner un volet participatif à partir du site Désirs d’Avenir, destiné à mobiliser au-delà de l’habituel électorat socialiste. Rencontrant un succès certain, Désirs d’Avenir a manifestement réussi à ouvrir un nouveau canal de communication politique, non plus du politique vers ses administrés, mais en sens inverse, avec la possibilité pour chacun de venir affirmer une position, argumenter dans une arène publique articulée aux propositions portées par la candidate socialiste.

  • Lire l’analyse de Désirs d’avenir : Beauvallet, Godefroy. “Partie de campagne : Militer en ligne au sein de « désirs d’avenir ».” Hermès(Paris. 1988), no. 47 (2007) : 155-166.

Obama-Royal : le rapprochement pourrait sembler incongru, et il l’est à bien des égards. Pourtant, les similitudes ne sont pas si rares entre les deux lorsqu’on s’intéresse à leurs méthodes en matière de communication politique : celles-ci reposent sur la conjonction forte entre l’adhésion émotive que permettent les mass media, et la participation progressivement élaborée par l’intermédaire des espaces de discussion en ligne. D’un côté, une mobilisation des foules sentimentales par le moyen d’une rhétorique qui ose le lyrisme et mise sur les sentiments de pitié et de compassion pour unir (alors que leurs adversaires politiques s’appuient davantage sur la peur et l’agressivité pour opposer). De l’autre, des dispositifs favorisant la participation de tous, un effort évident pour permettre à chacun d’avoir le sentiment de pouvoir à nouveau influer sur le cours des choses. L’un et l’autre de ces deux volets ne peuvent évidemment se développer qu’à partir d’un effondrement idéologique : ils définissent des formes sans contenus, des modes de contrat social qui se positionnent au-delà de tout programme politique vertébré par une quelconque idéologie : d’un côté une recherche presque technique du compromis ; la fabrication méthodique du consensus ; de l’autre une relation fusionnelle, à la limite du mystique, comme l’ont bien relevé les détracteurs de l’américain et de la française. Pas étonnant que l’un et l’autre fassent l’objet d’attaques aussi virulentes de la part de leurs adversaires au sein de leur propre parti ; parce que ces derniers sont les tenants et les héritiers d’un mode d’action politique traditionnel, basé sur la représentation, qu’ils mettent en pièce.

La comparaison s’arrête à peu près là ; car si Obama a fait preuve d’un professionnalisme sans égal et d’une grande maturité dans le déploiement de cette nouvelle forme de communication politique, Royal n’en est qu’aux balbutiements. Mais ses derniers discours, ses tentatives étranges du côté de la scène de spectacle sont bien les signes qu’une voie est en train de se chercher de ce côté, et qu’elle peut réussir ; le succès de son équivalent américain lui ouvre en tout cas une voie d’avenir.

On verra bien si Barack Obama, devenu président, aura la volonté ou la possibilité de maintenir cette capacité d’innovation en matière de communication. Malgré les difficultés et les contraintes qui pèsent sur sa propre personne (il serait interdit de Blackberry pour des raisons de sécurité des communication), Obama semble bien décidé à continuer dans la même voie. La mise en ligne de son site, Change.gov spécialement dédié à la période de transition en est un premier signe. Sa décision de diffuser ses adresses à la nation via Youtube en est un autre, quoique contesté. Alors que des groupes de pression ont déjà pris date pour une amélioration de la transparence gouvernementale, spécialement sur Internet, on ne peut que constater l’espoir démocratique que représente cette présidence qui s’annonce atypique.

Posté le 23 novembre 2008

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