A propos de la loi sur la modernisation de l’économie : l’analyse de l’AVICCA

LME : triplement de volume pour les communications électroniques

Repris d’un article publié par l’AVICCA, L’Association des Villes et Collectivités pour les Communications électroniques et l’Audiovisuel regroupe 56 Villes, 28 Communautés urbaines ou d’agglomérations, 18 syndicats de communes, 18 structures départementales et 5 régionales.


Les articles 29 et 30 de la Loi de modernisation de l’économie ont triplé de volume par rapport au texte initial.

Au total les débats ont été marqués par les préoccupations de couverture du territoire, même si nombre de réponses n’ont pas été fournies, avec une pression montante sur les régulateurs. La LME va accélérer le très haut débit, dans les zones qui ont déjà un bon haut débit, et rien n’est encore fixé pour le reste.

Trois mesures phares ont été précisées : le déploiement et la mutualisation dans les immeubles, qui marque le début d’une régulation symétrique du fixe, la connaissance des réseaux par les collectivités, l’attribution possible des fréquences aux enchères.

Des sujets nouveaux ont été introduits, balayant une bonne partie du secteur. Le câble a tenté en vain un come-back, très médiatisé, mais (effet boomerang ?) une mesure très importante a été introduite par le Sénat, passée curieusement inaperçue : le cablo-opérateur va devoir ouvrir son génie civil à ses concurrents quand il est en délégation de service public. L’Arcep hérite d’un pouvoir de sanction proportionné quand les opérateurs ne remplissent pas leurs obligations, ce qui pourrait servir pour le WiMAX. France Telecom devra proposer une offre d’ouverture de la sous-boucle locale, pour traduire effectivement l’obligation antérieure. Bilan quasi nul, par contre, pour la couverture mobile, en 2G comme en 3G. En revanche, la TNT, exclue initialement, est revenue dans le débat.

Le début d’une régulation symétrique

Cette loi donne le coup d’envoi d’une nouvelle régulation du fixe, qui ne se limite pas à ouvrir les réseaux et infrastructures d’un opérateur historique dominant. Elle devra faire ses preuves, sinon il faudra aller sans doute vers la séparation, fonctionnelle ou structurelle, de l’opérateur historique.

Pour la fibre optique jusqu’à l’habitant, il y aura bien une obligation de mutualisation, mais pas de fixation des tarifs orientés vers les coûts par l’ARCEP. Les opérateurs devront se mettre d’accord non seulement sur les tarifs, mais aussi sur les procédures (pour raccorder ou désabonner, pour les pannes...) ; il n’existe pas non plus de norme de câblage, ni de référentiel commun pour identifier les logements. Pour le dégroupage du cuivre, l’ARCEP avait défini les grandes conditions en amont, puis les avait affinées, en concertation (comité d’expert..).

La réussite de le régulation symétrique est donc très dépendante du nouveau jeu d’acteurs, et du poids de chacun : l’ouverture des réseaux sera d’autant plus effective que chacun aura besoin de l’autre sur une part significative du territoire. Un jeu plus facile pour FT et SFR/Neuf que pour Free, avec son architecture point à point et sa taille, et qui exclut pratiquement d’autres opérateurs à venir.

Tentative manquée de valorisation du câble

Toute cette tentative de symétrie et d’ouverture du jeu aurait pu être rompue par "l’amendement Numéricâble". Il donnait un passe-droit pour fibrer les immeubles sans accord préalable ; cette demande pouvait paraître étrange au demeurant puisque l’opérateur peut délivrer du très haut débit en amenant la fibre en pied d’immeubles. Alors à quoi bon faire signer une pétition à ses abonnés ? Si l’amendement avait été accepté, il aurait nettement valorisé Numéricâble : disposant de génie civil et de fibres à l’extérieur et d’un passe-droit à l’intérieur, cela valait sans doute quelques centaines de millions d’euros de plus pour tout candidat au très haut débit. Mais c’est la situation exactement inverse qui ressort de la LME : pour les réseaux en délégation de service public (un tiers des prises environ), le cablo-opérateur va devoir ouvrir son génie civil, à la demande des collectivités concédantes. Elles pourront même reprendre la jouissance des infrastructures en cas de blocage.

Pour les fonds d’investissement, qui cherchent à sortir du câble avec le maximum de plus-value, ce ratage et cette nouvelle donne n’ouvre plus qu’une voie : développer le parc d’abonnés ! Après tout, les atouts du câble le permettent, si la gestion n’est pas à court terme avec une réduction des coûts à marche forcée.

Le très haut débit professionnel, en filigrane

Le très haut débit pour les professionnels a été introduit dans le texte, à plusieurs endroits :

  • les immeubles "mixtes" sont soumis aux règles générales
  • "droit à la fibre" comme il existe un "droit à l’antenne" : le refus par le gestionnaire de l’immeuble de laisser un autre réseau fibre est limité : si le demandeur a des "besoins spécifiques" (professionnels par rapport au grand public), le gestionnaire ne pourra pas s’opposer au fibrage (cas des immeubles parisiens, souvent mixtes) ; de plus la convention immeuble/opérateur doit prévoir l’utilisation possible des fourreaux et goulottes disponibles
  • obligation de fibrage pour les immeubles neufs comportant plusieurs locaux professionnels

Cette évolution concerne principalement un tissu mixte, comme Paris, et des opérateurs spécialisés, comme Colt. Pour les zones d’activités, d’une part il n’y aura pas le moteur "grand public" pour initier le fibrage, d’autre part l’offre de fourreau FTTH de France Télécom n’y est pas ouverte.

Néanmoins, le déploiement massif de fibres dans les zones mixtes poussera à l’émergence de nouvelles offres professionnelles, et donc à une demande des entreprises situées en zones d’activités.

L’ARCEP et le CSA, au rapport

Le CSA ne récolte que d’un rapport à faire, mais il est de taille : publier une carte et des échéances de couverture de la TNT, pour atteindre les objectifs du basculement au numérique, et ce avant le 31 décembre 2008. Au rythme des planifications antérieures, c’est une accélération foudroyante qui est exigée.

L’ARCEP devra en fournir 4 : sur les réseaux d’initiative publique, sur l’effectivité du déploiement de la fibre et sur le très haut débit en zone rurale, sur les « perspectives de couverture » de la 2G, sur la mutualisation pour la 3G. L’ARCEP voit également ses pouvoirs de sanction renforcés au sujet des déploiements imposés par les licences hertziennes, en les proportionnant, et une extension du champ de règlements de différends (sur la mutualisation de la fibre ou l’ouverture du génie civil du câble).

Ces modifications traduisent une reconnaissance toujours plus importante des régulateurs, mais aussi une exigence montante quant à leur rôle pour la couverture du territoire.

Couvrir le territoire sans financement national

La préoccupation de couverture du territoire ne s’est pas traduite que dans des « rapports » à présenter au Parlement.

Un amendement oblige le Ministre chargé des communications électroniques et l’ARCEP à veiller désormais non plus seulement à la couverture du "territoire", mais de "l’ensemble du territoire". A voir comment ce codicille se traduira, par exemple dans les futures licences 3G pour les fréquences disponibles en 2,1 GHz.

La LME a fixé également plusieurs mesures en faveur des collectivités, dont principalement la connaissance des réseaux des opérateurs (sous réserve de préoccupations de sécurité), ce qui contribuera à leurs actions. Les syndicats d’eau et d’électricité pourront, sans transfert de compétence, établir et exploiter des fourreaux, mais à condition d’en obtenir le financement par ailleurs (subvention, droits d’utilisation...).

France Télécom devra faire une offre d’accès à sa sous-boucle locale : si le principe existait déjà, aucune offre n’avait été établie. Cela pourrait permettre aux collectivités de faire monter en débit cette sous-boucle, dans des conditions moins restrictives que celles existantes pour les NRA ZO par exemple.

Les amendements qui voulaient créer un fonds pour le déploiement n’ont pas été repris par le gouvernement, et n’ont pas été examinés en séance, grâce à l’utilisation des procédures qui restreignent l’initiative parlementaire sur le sujet.

En résumé, pour la couverture du territoire, comptons d’abord sur la régulation et les collectivités... Et pourtant, l’obligation de fibrer les immeubles neufs à partir de 2010/2011 est générale. Il faudra bien faire arriver la fibre en bas de ces immeubles. Le comment n’est pas encore fixé.

Posté le 7 août 2008

licence de l’article : Contacter l’auteur