Entretien de Michel Bauwens : les accès publics Internet et politiques publiques TI en Thaïlande

Chiang Mai – Thaïlande
par Valérie Dagrain 20 juin 2008


Présentation

  • Installé depuis 2002 en Thaïlande, Michel Bauwens est un
    ancien entrepreneur Internet et spécialiste en gestion des connaissances (KM, Knowledge Management) pour la société civile.
    Michel intervient lors de séminaires et de conférences pour aider les personnes à concevoir qu’ils peuvent créer de la valeur par le biais de ’communautes productives’, c.a.d. sans l’état et le marché, sans être dépendant du modèle actuel de propriété intellectuelle et proposer la pratique d’"open business model".
  • M.B : "L’innovation est devenue sociale, une propriété émergeante des réseaux sociaux plutôt qu’un processus qui se passe à l’interieur des institutions."

Vous participez au développement de la « Foundation for P2P Alternatives ». Pouvez-vous nous présenter cette organisation et son rôle ?

  • M.B : « Mes activités principales consistent à la création d’un réseau de recherche collective sur les phénomènes p2p. Ce groupe comprend des personnes situées dans le monde entier et tous les continents sont représentés sauf l’Afrique pour l’instant.
  • Le but de ce réseau est de créer une base de connaissance sur le P2P. Ce système d’auto-agrégation, possible par le biais de la technologie, crée des projets de production de valeurs en commun : production entre pair, gouvernance entre pair et propriété entre pair. On peut travailler ensemble, par le biais de processus inclusifs plutôt qu’exclusifs, c’est une matière ouverte de travailler où chacun peut participer."

Vous êtes installés depuis 5 ans en Thaïlande. Quels sont les types de services dans les espaces informatiques et Internet que vous avez rencontré ?

  • M.B : « Je dirais qu’il y a essentiellement des cybercafés. Internet est un phénomène citadin : il y a des centaines de cybercafés à Bangkog et à Chiang Mai. En fonction du débit, du confort et de la nationalité 1H d’internet coûte entre 10 et 30 bath (ndr : entre 20 et 60 centimes d’euro).
  • Internet sur le territoire : « Internet est l’outil d’une minorité (surtout les classes moyennes, bien que les cybercafés soit accessibles à beaucoup de jeunes des strates plus pauvres, à condition qu’ils vivent en ville) et les services d’accès sont rarement desservis dans les campagnes. Dans les campagnes ce sont surtout les ONG qui font le lien. John Hawker, un ami à Bangkok s’occupe d’une ONG Telecentre, avec une connection satellite, pour délivrer des cours en Thaïlandais dans les campagnes, pour pallier au manque d’accès à Internet".
  • Des activités essentiellement centrées sur le jeux et la relationalité :
    Pour les jeux, « c’est actuellement Ragnarok qui avec plus de 1.000.000 de joueurs et developpé en Corée à un grand succès auprès des jeunes Thaïs.
    Relationalité et diversité des outils de communication : « Les jeunes filles ont leurs blogs. Il y a un véritable engouement des jeunes filles aussi pour les réseaux sociaux. Il y a plus de blogs en Asie qu’en Europe et une étude a Shangai a demontré que la majorité des travaillers en cols blanc utilisaient des blogs. Il faut comprendre que dans une société hiérarchique, la place prise dans la société est déterminée par le statut et le contrôle social est fort. Le blog joue alors un rôle de libération de l’individu par rapport au groupe, un moyen de dépasser certaines limites, une révolution identitaire. Cela permet aux jeunes d’avoir une vie autonome. Ils utilisent les blogs pour faire du « dating » et l’utilisent de façon anonyme vis à vis de la famille. Le téléphone mobile est aussi très important. »
  • Relationnel et cognitif : « Les thaïlandais sont des personnes très souriantes et réservées. C’est une société hédoniste, une culture de la joie de vivre. La composante affective, le relationnel, la famille, les amis sont très importants. C’est pourquoi dans les cybercafés, durant les parties de jeux vidéos les émotions et l’aspect collectif ressortent. L’usage de l’Internet en Thaïlande a reproduit le relationnel plus que le cognitif. »

Quelles représentations et usages représente l’Internet auprès des Thaïlandais ?

  • M.B :
    « - Du fait de ce poids hiérarchique cité précédemment, l’Internet est perçu comme un outil individuel : d’une part car les sites webs officiels sont hiérachiques, il y a des contrôles et ils ne sont pas dynamiques et d’une autre part car il y a beaucoup de censure en Thaïlande, des milliers de sites sont bloqués. Ce qui est censuré ici est tout ce qui à trait au Roi, les guerres civiles dans le sud (Malaisie), la politique partisane et la pornographie. Les Thaïlandais ont internalisé certaines choses comme ne pas parler de la royauté et ils considèrent légitimes de ne pas critiquer le roi.
  • Le problème avec la censure en Thaïlande c’est que le mécanisme n’est pas clair au point que l’on ne sait pas quand un site va être inaccessible et qui décide. Lorsque le ministre responsables des ICT dit qu’il a seulement censure sur 4 sites, en fait ce sont 10000 sites ont été censurés, on voit bien qu’il y a un problème. Ou sont les recours ? Nous sommes livrés au flou et à l’arbitraire. La censure se fait a la source, cela se passe directement sur les serveurs et les sites peuvent être bloqués directement au niveau du DNS. Étude sur « La censure Internet en Thaïlande.
  • En 2005 il y eu un mouvement social contre Thaksin Shinawatra (ndr : Premier ministre Thaïlandais de 2001 à 2006) et l’Internet a joué un rôle de mobilisation. Même si l’Internet est une nouvelle forme de socialité, tout comme le téléphone mobile et pour mobiliser ses amis, l’Internet n’est pas vu comme un outil de transformation social. L’Internet demeure un usage personnel. »

Quelles sont les politiques quant à l’accès et la formation en informatique et à l’Internet ? Des exemples d’utilisations avec des logiciels libres, en santé (génériques)...etc ?

  • M.B : « Sous Thaksin Shinawatra, il y avait une politique pro-technologique, il voulait augmenter le débit Internet, les espaces de connection (hubs) et soutenir la création logicielle ainsi que l’industrie de l’animation.
  • Durant son mandat, plus d’1 million de PC avaient été vendus avec Linux.
    Puis en 2006, il y a eu un gouvernement militaire sans que rien ne se passe au niveau technologique. Actuellement il y a un gouvernement qui soutient Thaksin mais qui est controversé. Cette crise politique crée une stagnation, le pays est en attente. Il n’y a pas de stimulation alors comparée à la Thaïlande toute la population Coréenne est sur Internet .
    - Médecine générique : le gouvernement militaire avait décidé de soutenir le développement des médicaments génériques et de diminuer le prix, pour les soins relatifs au SIDA par exemple. Le gouvernement actuel a mis ces gens a la porte et mis les amis des multinationales à la place.
  • Représentativité des classes : « Le problème c’est qu’il n’y a pas de représentation des classes populaires comme un parti ouvrier, paysan et démocrate. Il n’y a que des partis qui représentent l’élite et qui tentent de mobiliser des alliances avec des groupes dans le peuple. Les ONG sont très présentes. Il y a une société civile, des syndicats mais ils sont difficilement représentés : d’une part car la population souhaite montrer une harmonie sociale, d’une autre part car la Thaïlande étant extrêmement rurale la grande ville de Bangkok attire toute les forces vives. Le capitalisme est récent (1980) et actuellement nous sommes dans un hyper-capitalisme. »

Quels sont les projets pilotes d’exploration et d’échanges dans les technologies de l’information sur Chiang Mai ?

  • M.B : « En 2005 s’est déroulé un premier Bar Camp a Bangkok tout public et international mais la plupart des participants étaient des occidentaux. Le thème portait alors sur le web 2.0. Plus d’informations : http://barcamp.org
    En 2008 s’organise un nouveau Bar Camp, cela se déroule à Chiang Mai à l’Université de Payap http://www.barcampchiangmai.org. Le thème sera une nouvelle fois le Web 2.0 et cette édition sera co-organisé avec une grand majorité de jeunes de Thaïlandais. »

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Posté le 25 juillet 2008 par Valérie Dagrain

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