Abondance d’auteurs et concentration des vecteurs

Un article d’Hervé Le Crosnier repris du site Vecam

En septembre Bertelsmann fera paraître une version imprimée dérivée du wikipedia allemand. Avec 27 pages serrées de noms d’auteurs, soit 90 000 auteurs. (Source : Noam Cohen)

De l’époque maintenant lointaine de mes études de bibliothécaire, je me souviens qu’au temps des fiches cartonnées, on considérait "anonyme par excès d’auteurs" les livres écrits à plus de cinq personnes.

Anonyme par excès d’auteurs wikipedia ? Dans Pédauque ne relevions-nous pas l’émergence d’oeuvres "sans auteurs"... erreur, pas "sans", "trop" !

On apprend aussi que Bertelsman va verser 1 euro par livre vendu à la Fondation Wikipedia. Pour un prix de 20 euros, on reste dans le cadre global de l’application des "droits d’auteurs" pour une édition de poche.

Bon, mais 1 euro divisé par 90 000, est-ce raisonnable ? Au fond, c’est l’agrégateur (la Fondation Wikipedia) qui rafle la mise du travail de la création.

C’est certainement cela l’économie de la "longue traîne".

On en trouve une véritable analyse critique autour de cette distinction entre les agrégateurs, véritables bénéficiaires et les producteurs, de plus en plus marginalisés dans le circuit économique, dans un texte publié par Kevin Kelly vendredi dernier.

L’analyse est si pertinente que Chris Anderson l’a reprise in extenso dans son blog "the long tail". Et pour ma faible gloire, je vous annonce que j’aurais un papier sur le même thème dans le prochain numéro de "Bibliothèque(s)", le journal de l’ABF (parution en septembre, déjà sous presse).

Oui, ce qui rapporte aux auteurs de la longue traîne, c’est un peu d’amour (Kevin Kelly titre son papier "Wagging the Long Tail of Love"). C’est ce qui meût les wikipedien(ne)s.

Pour l’économie, seule la concentration paye.

Tiens pour finir sur la concentration : Bolloré, dont vous vous souvenez tout le bien que j’ai écrit dans mon dernier billet, voudrait acheter Free. Et créer un réseau parallèle en Wimax couvrant toute la France, avec l’aide technique et financière de Google. Parions que malgré les refus et les dénégations, cela sera certainement sur de bons rails à notre retour de vacances (qui sont évidemment la seule bonne raison au silence de la pensée dans notre pays cet été).

Car fusionner une économie de compteurs et une économie de média est la véritable voie pour jouer dans la nouvelle économie des "vecteurs" qui se met en place. Le vectorialisme, c’est à la fois la capacité à monétiser la "longue traîne", à valoriser les productions de ceux qu’on ne paie pas, qu’on ne paie plus, associée à un modèle de type web-média. Média au sens de revendre l’attention à un tiers et web car la place de marché de cette revente fait coïncider une connaissance fine du lecteur (ce n’est plus la "ménagère de moins de cinquante ans" des médias de masse) et un ciblage comportemental des moments publicitaires. Mais pour réaliser ce projet, il faut aussi gérer toute la gamme des activités du lecteur (d’où l’intérêt de véritables "compteurs" et pas seulement "l’effet d’expérience") et si possible devenir son "administrateur" pour l’ensemble des services (par exemple la gestion de son carnet de santé électronique, comme Google, Microsoft et Orange le mettent en place).

Mais quand cette concentration aura épuisé ses "externalités positives" et sera au service du Chef (à moins que ce ne soit le Chef qui soit au service des vecteurs), nous nous réveillerons peut être dans un monde nouveau, une "société du contrôle". Comme dit Axel Türk, Président de la CNIL dans une interview à Ouest-France : "Je ne dis pas cela pour affoler, mais je crains que l’on ne se réveille un jour dans une société différente"

Mais ce sera après les vacances, isn’t it ?

Posté le 23 juillet 2008 par Michel Briand

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