Sur le chemin de l’école 2.0

Reprise d’un article publié par Internet actu
Dans Articles, Communautés, Coopération, Education et formation, Usages, par Jean-Marc Manach, le 29/01/2008.

(magazine en ligne sous licence Creative Commons)

En France, Alain Finkielkraut proposait récemment de supprimer le Net dans les écoles, au motif qu’”Internet, ça ne sert à rien“. Et si, a contrario, on se servait des multiples usages engendrés par les TIC pour inventer, sinon la société, du moins l’école de demain ?

Le Time, qui se demandait récemment, en “Une”, comment sortir l’école du XXe siècle et former l’étudiant du siècle présent, évoquait ainsi Curriki, une plateforme éducative en mode wiki créé par Scott Mc Nealy, de Sun, qui recense quelques 8300 cours, et près de 35 000 membres (enseignants, parents, étudiants, experts). Sur la plateforme d’hébergement Wikia, on trouve aussi un certain nombre de wikis éducatifs créés et maintenus par les élèves, avec leurs enseignants (le wiki en français, abandonné, est d’ailleurs “à adopter“).

Mais, et à l’image des lauréats des “premiers Trophées nationaux des usages des TICE” (c’est-à-dire les Technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement), remis lors du récent salon Educ@Tice, on constate que la notion d’usage reste encore ainsi majoritairement dominée par la fourniture de matériels, de logiciels, de scénarios pédagogiques et autres “supports” de cours.

Intervenant à Educ@Tice, Xavier Darcos a ainsi annoncé un plan d’équipement en visioconférence de 1000 écoles “afin de faire dialoguer les élèves avec un locuteur natif de langue anglaise“, la généralisation en 2008 de l’opération “Une clé pour démarrer” (une clé USB avec des logiciels pour l’éducation) à tous les professeurs sortant d’IUFM, et le développement de “classes numériques nomades” équipées de portables avec connexion Wi-Fi, d’un vidéoprojecteur et d’un tableau blanc interactif.

Mais quels seront les usages initiés par ces nouveaux outils, et comment éviter qu’ils ne finissent aux fonds de tiroirs ou de débarras, comme c’est souvent le cas en matière de TICE, faute de formation, de préparation, de soutien et de support technique ? Et comment se départir de cette logique top-down, peut-être fidèle à la tradition académique de l’éducation nationale, mais guère adaptée aux perspectives offertes par les nouvelles technologies ?

De l’école de la République à l’”écosystème” scolaire mondial

Dans une démarche à la fois plus humble et plus ambitieuse, le bureau des technologies éducatives du Département de l’éducation américain a pour sa part lancé un site web intitulé School 2.0 illustrant à quel point la question n’est plus tant celle de la connexion à l’internet des écoles, non plus que du matériel ou du logiciel, mais de la mise en réseau de ceux qui y sont impliqués, élèves, enseignants, parents, personnels administratifs, politiques et techniques.

School 2.0 n’a pas pour objectif de recenser les outils en ligne susceptibles d’intéresser élèves et enseignants (voir, pour cela, le répertoire de Brian Benzinger), mais d’inciter à la réflexion, et d’inviter au débat, au motif qu’”il n’y a pas un chemin unique pour aller vers l’école de demain“, et que l’intégration des technologies à l’école est de la responsabilité de tous.

Le site, sous-titré “Rejoignez la conversation” se résume ainsi à une plaquette, ou plutôt à un poster, dont l’objet est moins de répertorier les usages des TICE que de démontrer qu’ils s’insèrent dans “écosystème” scolaire, et que c’est l’avenir de cet écosystème dont il convient de discuter, plus que des outils à privilégier. En effet, si la mode est aujourd’hui à Facebook et autres MySpace, qui sait quels outils seront utilisés dans 2, 5 ou 10 ans ?

Comme le soulignait, pour stimuler la réflexion sur l’avenir de l’éducation, la désormais célèbre vidéo “Did you know” (elle a été visionnée plus de 10 millions de fois, en moins d’un an), “nous préparons actuellement des étudiants pour des métiers et des technologies qui n’existent pas encore… afin qu’ils puissent résoudre des problèmes dont nous n’avons encore aucune notion“.

La vidéo Les temps changent ! Le saviez-vous ?, traduction de “Did you know” par Jean-Marie Leray

En attendant de savoir à quoi ressemblera l’école dans 10, 20 ou 30 ans, Classroom 2.0 a réuni une communauté de plusieurs milliers de personnes intéressée par les technologies collaboratives en matière d’éducation, et School20.net a pour sa part entamé la rédaction d’un manifeste, en mode wiki, recensant nombre de pistes de réflexions :

  • tout ce qui est enseigné, et partagé, en classe, devrait aussi l’être avec l’extérieur, afin d’être amélioré,
  • les questions sont plus importantes que les réponses, et les questions amènent les conversations : au XXIe siècle, l’éducation relèvera de la “conversation“,
  • ce n’est pas une question de technologie, mais de pédagogie,
  • etc.

Quand les élèves reprennent la main

En attendant, élèves et étudiants ont eux aussi commencé à s’organiser. En Allemagne, un juge vient ainsi de reconnaître que les élèves avaient le droit, au nom de la liberté d’expression, de “noter“, sous forme d’évaluations, leurs enseignants. Le site incriminé, SpickMich, qui aurait permis à 400 000 étudiants de noter plus de 150 000 enseignants, est cela dit loin de se résumer à ce seul système de notation largement relayé par les médias.
Créé par et pour des étudiants, il s’agit plus d’une communauté en ligne à la manière d’un Facebook, faite par et pour élèves et étudiants.

Aux Etats-Unis, relève SmartMobs, on voit apparaître de nombreux sites communautaires dont l’objectif est d’aider les étudiants, et leurs parents, à sélectionner les établissements dans lesquels ils iront étudier. Dans la foulée, écoles et universités utilisent de plus en plus blogs, podcasts et sites communautaires afin d’attirer à eux les étudiants, qui ont pris la désagréable habitude de jeter, systématiquement, les prospectus papiers qui leur sont envoyés ou qu’ils peuvent trouver : “c’est leur monde, et nous voulons qu’ils se sentent comme chez eux“ ! ;.

Dans certains lycées, on décerne même le titre de “techno-sherpas” aux jeunes chargés d’aider leurs enseignants à apprivoiser les nouvelles technologies, qu’il s’agisse de débuguer leur ordinateur, de contribuer au cours en allant chercher des informations sur l’internet, ou tout simplement de l’aider à apprendre à s’en servir. Non seulement leurs notes ont tendance à s’améliorer, mais cela contribue aussi à améliorer les relations, et le respect, entre enseignants et lycéens.

Pour le professeur David Williamson Shaffer, spécialiste des jeux vidéos et de la psychologie éducative, c’est toute l’école qu’il faut repenser : “au sein de l’école 2.0, les rôles sont interchangeables. (…) Les étudiants cessent d’être des miroirs, et deviennent amplificateurs des savoirs. Leur travail ne consiste plus à réfléchir ce qu’ils rencontrent, mais d’ajouter de la valeur. (…) La participation et la mobilisation des énergies sont ici valorisées.” (via Stéphanie Vincent).

En juillet dernier, leGroupe Compas, qui réunit des chercheurs en science cognitive intéressés par les relations entre éducation, cognition et nouvelles technologies, organisait, à l’Ecole Normale Supérieure, un colloque consacré à l’”Ecole 2.0“. Il y fut question de communautés d’apprenants (virtuelles ou non), de leur “nouveau nomadisme numérique“, mais aussi de l’importance de l’”éducation informelle“, le numérique “forçant à réfléchir à un éventuel changement de paradigme“…

Le web, meilleur ennemi de l’école ?

A l’occasion d’une “non-conférence « Vers l’éducation 2.0 »” organisée en septembre dernier, Mario Asselin, qui avait démissionné de son poste de directeur d’école pour s’impliquer dans le web, notait pour sa part que “l’enseignant 2.0, c’est celui qui accepte que la connaissance passe ailleurs que par l’état, la classe et le professeur. C’est d’accepter la collaboration et la cocréation des connaissances“.

Dans son manifeste sur l’école 2.0, traduit en français à l’occasion de ce non-colloque, Christopher D. Sessums avançait pour sa part qu’”une école, c’est avant tout du monde ordinaire“, et que si l’”internet est un réseau formé d’individus. La technologie en éducation porte sur ces individus“. Dans le même temps, il rappelait aussi que “l’utilisateur a le pouvoir. Si les écoles ne comprennent pas cela, alors les étudiants seront en droit d’aller ailleurs“.

Poussant le bouchon un peu plus loin, dans un billet titré “Le Web tuera l’école“, Mario Asselin avance même que “l’école doit mourir. Et si le Web peut servir d’accélérateur pour que les jeunes et les enseignants reprennent l’initiative, je veux bien dire que l’École du futur sera celle où les seuls murs seront ceux qu’on voudra bien se donner !“.

Le sujet est vaste, les propositions nombreuses, et les questions soulevées fusent de tout côté. On peut néanmoins dégager trois axes de réflexion :

  • On a le sentiment que le débat est beaucoup moins présent en France, et que l’approche des “TICE” reste (comme leur nom l’indique, d’ailleurs) extrêmement cloisonnée, focalisée sur l’équipement et les “contenus”, et soigneusement tenue à l’écart de toute réflexion en termes de transformation de l’enseignement, ou du système…
  • On assiste en tout cas, aujourd’hui, à un foisonnement d’idées, de réflexions, d’expériences et de témoignages autour d’une “école 2.0” plus coopérative (entre les acteurs du système éducatif), participative et clairement, constructiviste. Le point de départ commun de ces démarches est la conviction que face à l’allongement de la vie et de la vie active, à l’accélération des changements qui ont pour conséquence que les élèves d’aujourd’hui exerceront pour la plupart des métiers qui n’existent pas encore, et l’accès à la connaissance et à l’expertise qu’offrent les réseaux, on ne peut plus enseigner la même chose qu’avant, ni de la mêm ! e manière. Ce postulat formulé, on sent bien que les réponses se cherchent encore.
  • Un constat commun, néanmoins : se “servir” de l’internet à l’école présente peu d’intérêt si l’enseignement, la relation entre enseignants et élèves, et l’écosystème éducatif, n’évoluent pas dans le même temps. Sans démarche de transformation, le réseau apporte finalement assez peu, et il importe avant tout de décloisonner le système. Mais à quoi ressemblerait une telle démarche ? Là-dessus, les avis (du moins ceux qui admettent la nécessité d’une telle transformation) ne convergent que pour dire qu’elle n’aboutira pas à un modèle unique…
Posté le 1er février 2008

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