Demain les mondes virtuels (2/11) : Des univers limités

Reprise d’un article publié par Internet actu
Dans : Médias, P2P, Interfaces, Image, Enjeux, débats, prospective, Articles - Par Rémi Sussan le 27/09/2007

(magazine en ligne sous licence Creative Commons)

Des univers limités par la bande passante et la conception

Le premier goulot d’étranglement qui s’oppose à une extension massive des mondes virtuels est la lourdeur du système client serveur. En moyenne, un serveur Second Life est capable de gérer les mouvements d’une quinzaine de personnes. Cela fait de la Réalité virtuelle (RV), du moins lorsqu’elle est multi-utilisatrice, l’affaire de grosses compagnies. Selon la Technology Review, “Linden Lab doit acheter et installer plus de 120 serveurs par semaine pour intégrer les nouveaux membres qui accroissent la demande en calcul lorsqu’ils créent de nouveaux objets ou veulent acquérir leur propre terrain”. 120 serait un chiffre largement exagéré selon certains, mais le nombre reste probablement très important.

Cela limite, semble-t-il, la création d’univers virtuels à des sociétés capables de se lancer dans d’assez gros investissements…

Une technologie comme celle de Croquet, un logiciel pour la création et le développement d’environnements pour mondes virtuels, pourrait démocratiser quelque peu le processus. Ce système tout à fait original repose en effet sur une technologie peer to peer. Chaque monde développé avec Croquet se situe sur un ordinateur particulier, et le calcul est distribué entre les machines : pas de “gros serveur” centralisant les données de nombreux visiteurs, chacun gère son espace virtuel et les informations partagées sont “répliquées” entre les machines. Une bande passante très faible est suffisante pour cela.

Les différents “mondes sont reliés entre eux par des portails, et il possible de “téléporter” son avatar d’un monde à l’autre en le faisant traverser un de ces portails, dans la grande tradition de la science fiction série B, école Stargate SG-1 !

Mais Croquet est bien plus qu’un simple environnement virtuel : c’est un système d’exploitation conçu comme une environnement collaboratif et tridimensionnel, disposant d’un langage de programmation puissant (Squeak, issu de Smalltalk) ; il est ouvert à la création d’une multitude d’applications. Par exemple, il devrait être possible de concevoir et modéliser un objet 3D à plusieurs. A l’origine du projet, on trouve en autres Alan Kay qui fut l’un des cerveaux du Xerox Parc, l’un des inventeurs du micro-ordinateur moderne. Croquet est de surcroit gratuit et open source.

Mais ici encore, il faut faire la différence entre la technologie et le comportement humain qui en découle. Les mondes virtuels sont avant tout des métaphores. Second Life en est une très simple : c’est une grosse planète, avec des coordonnées fixes et une cartographie. Lorsque deux personnes veulent se voir dans Second Life, il leur suffit de se donner rendez-vous en tel ou tel lieu, comme ils le feraient dans le monde physique. L’un des participants au rendez-vous peut être absent, mais au moins sera-t-on sûr de retrouver le lieu. Second Life est littéralement un “web3d” : les internautes voyagent au coeur d’une géographie (relativement) fixe, où des coordonnées remplacent des urls.

Croquet est un monde virtuel d’une nature différente. Son modèle n’est pas le Web, mais les applications pair à pair, comme Emule… Avec ces programmes, rien n’est fixe, l’environnement accessible est constitué par les internautes branchés simultanément. Contrairement au Web, on a du mal à imaginer de tels réseaux ad hoc comme des “espaces”. La configuration de l’univers est chaque fois différente, dépendante de la connexion entre les machines présentes sur le réseau. Un “monde” peut disparaître tout simplement par ce que son possesseur aura décidé d’éteindre sa machine… Avec ses mondes isolés, mais reliés par des “portails” qui peuvent ou non aboutir à leur destination, avec une géographie en constant flux, Croquet ne ressemble en rien à une “seconde terre“.

Peut être considèrera-t-on cet aspect fluctuant de Croquet comme une limite. Et si c’était plutôt l’annonce d’un véritable changement de nos conceptions ? Dans un article du blog Terra Nova, “Mort à Snow Crash“, Mike Sellers (qui ne mentionne pas Croquet) dénonce une réalité virtuelle « à la papa », prenant la forme d’un monde unique que visitent une multitude d’avatars : “La centralisation n’est pas le futur. Plutôt que faire entrer le web dans une espèce de Metavers unique, (…), nous ferions mieux de réfléchir au futur d’une multitude de mondes distribués, certains grands et certains petits, parfois en 3D et interactifs, d’autres fois en 2D et en lecture seule, et comment ceux-ci peuvent se combiner en une mosaïque d’éléments, de sites, de places indépendants mais potentiellement connectés“. Si réellement, comme le pense Harry Drew du MIT, la réalité virtuelle ressemble trop à notre monde, l’abandon d’une cartographie traditionnelle pourrait peut être s’avérer le premier pas vers une libération de codes trop rigides suggérés par notre environnement quotidien…

Posté le 30 septembre 2007

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