Quelle influence ont les jeux vidéos sur le comportement des jeunes ?

Lorsque l’on se pose cette question, on focalise souvent sur les jeux violents, en faisant abstraction d’autres types de jeux [1] qui ont eux aussi des conséquences sensibles sur le comportement des adolescents.

Repris d’un article publié par Cybergénération

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Voici différentes ressources intéressantes sur ces questions.

Tout d’abord, deux études un peu anciennes (2001) du professeur Larry R. Rosen, de l’université de Californie, dont nous avons déjà eu l’occasion de citer les travaux dans l’article Pratiques communautaires des jeunes sur Internet [2].

Ces deux études (voir "|Are computer, video and arcade games affecting children’s behavior ? An empirical study"->www.technostress.com/ADHDVideoGames3.htm]) s’intéressent aux pratiques culturelles de pré-adolescents (10-12 ans), d’adolescents (13-17 ans) et de jeunes adultes (18-25 ans) résidant en Californie, et aux conséquences de celles-ci sur des troubles de comportement (tels que perte de contact avec son entourage, difficulté à se déconnecter, perte de contact avec la réalité, désinvestissement scolaire fort... [3]).
Les pratiques au sujet desquelles ont été interrogés les jeunes se rapportent aux jeux vidéo (sur ordinateurs et consoles), à Internet et, en dernier lieu, aux « loisirs technologiques » : télévision, musique, téléphone.

Le premier résultat de ces enquêtes (auprès d’un échantillon total de 1500 personnes environ) est, bien sûr, que les pratiques diffèrent d’une tranche d’âge à une autre. La pratique des jeux vidéo représente 3 heures par jour pour les pré-ados, 2 heures pour les ados et 1,5 heure pour les jeunes adultes ; Internet respectivement 1 heure, 2 heures et 2 heures ; la télévision respectivement 3,5 heures, 3,5 heures et 2 heures ; la musique 2 heures, 3,5 heures et 3,5 heures ; le téléphone 1 heure, 2 heures et 2 heures. Le total des heures consacrées quotidiennement à ces pratiques s’élève à 10,5 heures pour les pré-ados, 13 heures pour les ados et 11 heures pour les jeunes adultes (en sachant que certaines pratiques peuvent être simultanées, comme être sur Internet et écouter de la musique).

Les pratiques diffèrent aussi légèrement d’un sexe à l’autre : les garçons jouent davantage aux jeux vidéo que les filles, qui pratiquent les loisirs technologiques un peu plus que les garçons. Filles et garçons utilisent autant Internet.

Les deux études montrent ainsi que, sur la population des jeunes californiens étudiée :

  • La pratique quotidienne des jeux vidéos baisse d’une heure par jour lorsque l’on passe de la tranche d’âge 10-12 ans (pré-adolescents) à 13-17 ans (adolescents) et la pratique d’Internet augmente d’une heure,
  • les jeux vidéo augmentent les troubles du comportement chez tous les publics, à l’exception des pré-ados filles (chez qui ils semblent ne pas avoir d’influence notable),
  • l’usage d’Internet a une influence faible ou positive sur les comportements des groupes étudiés,
  • l’usage des loisirs technologiques accroissent les troubles du comportement chez les pré-ados garçons et les ados filles, et a une influence presque nulle sur les autres groupes,
  • dans l’ensemble, tous les groupes étudiés jouent à des jeux pour des publics plus âgés qu’eux (en moyenne, 1/3 des garçons et entre 5 et 10% environ pour les filles),
  • l’activité que disent préfèrer pratiquer les ados garçons reste toutefois les "vrais" sports, et parler au téléphone pour les ados filles.

Larry D. Rosen conclue ces études en s’interrogeant : pourquoi des adolescents qui semblent si capables de rester des heures devant un jeu vidéo ont souvent tant de mal à rester attentifs à l’école (cette question pourrait aussi être posée à tous les adultes capables de rester des heures face à un poste de télévision ou un écran d’ordinateur) ?

Parce que la capacité des jeux vidéo à capter l’attention est plus importante que celle de l’école, qui, comparée à ces jeux, possède plutôt un "pouvoir de désengagement". L’adolescent recherche à l’école un autre environnement, plus proche de ceux des jeux vidéo qu’il apprécie. Certains le trouvent dans leur imaginaire, d’autres non, et cela provoque des troubles du comportement.

La question finale de ces deux études est celle-ci : si Internet a un effet positif (même faiblement) sur les comportements, pourquoi ne pas l’utiliser davantage en classe en essayant d’y introduire une partie de l’animation et de l’interactivité présentes dans les jeux vidéo ?

Une autre ressource intéressante est le dossier « Du virtuel au réel » [4]

Thomas Gaon, spécialiste du traitement de la dépendance et de l’addiction, précise qu’il vaut mieux parler de dépendance que d’addiction au sujet des jeux massivement multi-joueurs, ces jeux en ligne dont le nombre de participants et la durée peuvent être infinis. Exceptés des faits divers marginaux et non significatifs, on ne constate en effet pas de phénomène d’addiction lié à ces jeux, l’addiction se caractérisant par des comportements compulsifs et auto destructeurs. Par contre, la dépendance à ce type de jeux est renforcée par leurs caractéristiques suivantes :

  • leur durée pratiquement illimitée,
  • la situation d’attente constante dans laquelle ils placent le joueur, perpétuellement en position de réussite ou d’échec potentiel,
  • leur accès payant (la dépendance aux jeux dont l’abonnement est payant est plus importante que celle liée aux jeux gratuits),
  • l’illusion du contact social permanent à travers la relation avec les autres joueurs,
  • la possibilité, attrayante pour certains, d’être davantage reconnu et valorisé dans une communauté virtuelle que dans la « vraie vie »,
  • le fonctionnement « en spirale » de certains jeux, qui, au début, s’assimilent à une activité de loisir, puis, au fur et à mesure des avancées du joueur, augmentent les contraintes : implication plus importante demandée au joueur sous peine de dommages personnels ou collatéraux, « coups durs » qui arrivent au joueur, qui cherche alors un réconfort croissant auprès des autres joueurs, culpabilisation des joueurs qui tentent de sortir du jeu, etc.

Le dossier « Du virtuel au réel » donne aussi la parole aux joueurs. Ceux qui s’y expriment expliquent qu’ils y trouvent surtout un plaisir dont ils ne s’estiment pas dépendants, et que la dépendance constatée dans des cas minoritaires reflète avant tout l’existence d’un mal-être dans notre société.

Joueurs et éducateurs sont d’accord : il est important d’éduquer les jeunes (et en particulier les mineurs) et leurs parents sur les risques potentiels des jeux de rôle sur Internet de type massivement multi-joueurs. Aux parents qui s’estiment dépassés par un « fossé générationnel » lié aux nouvelles technologies, on peut apporter la même réponse qu’au sujet de MySpace (voir l’article Pratiques communautaires des jeunes sur Internet) : il s’agit avant tout de dialoguer et de comprendre l’usage, davantage que de rentrer dans la technique. Parents et éducateurs doivent être attentifs aux signaux d’alerte dont nous parlions plus haut : sensation de manque ressentie par le jeune, perte de contact avec son entourage, difficulté à se déconnecter, perte de contact avec la réalité, désinvestissement scolaire fort...

Autres ressources :

[1] Par exemple les univers persistants des jeux en réseau massivement multi-joueurs - les MMOGs (Massively Multiplayer Online Games), dont parle le dossier « Du virtuel au réel » abordé plus bas dans notre article.

[2] Professeur de psychologie à la California State University, Dominguez Hills, Larry Rosen est chercheur en psychologie, formateur en informatique et un spécialiste international de la « psychologie de la technologie ».

[3] Quant à des faits divers sanglants dont les médias se font parfois écho et qui montreraient une confusion très grande entre imaginaire et monde réel, Benoît Virole précise que l’association causale entre les jeux vidéo et le passage à l’acte n’a jamais été démontrée.

[4] « Du virtuel au réel », sur www.foruminternet.org.

Posté le 3 novembre 2006

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