Extrait de l’interview publiée dans Libération
La propriété intellectuelle est-elle la face cachée de la mondialisation ?
Les déséquilibres de ce régime de droits exclusifs sont parmi les pires déviances du capitalisme actuel. Parce qu’il est question de vie ou de mort, comme on le voit dans la lutte pour des copies de médicaments à bas prix. Les hommes ou les brevets ? La faute originelle : avoir laissé aux ministres du Commerce et aux multinationales le soin de façonner les trips [en français, Adpic aspects des droits de propriété intellectuelle touchant au commerce , ndlr], en 1994. La PI est intégrée au commerce, pas à l’environnement ni aux normes de travail.
La propriété intellectuelle favorise-t-elle la privatisation du savoir ?
L’Etat finance la recherche fondamentale, le privé met les médicaments sur le marché. Une sorte d’impôt, vu le fossé entre le coût de production (marginal) et le prix à la vente (phénoménal). Le risque de verrouillage du savoir se multiplie. Prenez la course à la brevetabilité des gènes humains : Myriad Genetics, qui a breveté deux mutations du gène du cancer du sein, a exigé que les labos à but non lucratif qui travaillent sur le dépistage paient un droit de licence ! L’idéologie simpliste de la PI peut affecter le rythme des innovations. On l’a vu avec le dépeçage de Netscape, navigateur concurrent de Microsoft, ou l’obligation pour le créateur du BlackBerry (terminal de poche, ndlr) de payer 600 millions de dollars à la firme qui avait acquis le brevet. Début XIXe, ces mêmes brevets avaient failli tuer l’avion ou l’automobile...