Le logiciel libre et ouvert : révolution ou évolution ? : 3 CeCILL, une famille de licences de droit français

Une question fondamentale pour la communauté de la recherche, et plus particulièrement pour quelqu’un qui s’occupe de réussir le transfert des résultats de la recherche, est de comprendre, au-delà des clivages idéologiques, en quoi la dynamique du logiciel libre et ouvert facilite la création d’un dialogue permanent entre recherche, industrie et société.

Un article de Gérard Giraudon, chercheur à l’IN
RIA, a publié sur le site Interstices

Cette publication sur Interstices est illustrée de dessins dessins réalisés par François Cointe

Cet article est organisé en 3 parties distinctes :

  • La problématique du logiciel libre et ouvert
  • Le logiciel libre, objet de recherche et de transfert
  • CeCILL, une famille de licences de droit français

Une publication en licence CC : Paternité - Pas d’utilisation commerciale - Pas de modification

Pour amplifier le développement, la diffusion et l’utilisation des logiciels libres, les organismes publics et les entreprises ont donc besoin d’un cadre juridique clair : c’est le rôle des licences qui définissent les droits et devoirs des licenciés et des concédants.

Les licences de logiciels libres de type open source font pour la plupart référence au droit nord-américain. La conformité de ces licences au droit européen est sujette à débat, ce qui génère un manque de confiance notamment sur les principes de la garantie, de la responsabilité et du droit d’auteur.

C’est pourquoi, en 2004, le CEA, le CNRS et l’INRIA ont élaboré CeCILL, première licence française de logiciel libre. CeCILL document externe au site est maintenant diffusée en version 2, et deux autres licences sont disponibles, CeCILL-B et CeCILL-C.

Quelle licence choisir ?

C’est par les droits et obligations que confère la licence avec laquelle il est diffusé qu’un logiciel peut être qualifié de libre (ou open source) ou non libre.

  • CeCILL reprend les principes de la GNU GPL. Celui qui distribue un logiciel réalisé à partir d’un logiciel sous CeCILL est tenu de le distribuer sous CeCILL.
  • CeCILL-B donne une grande liberté au licencié au même titre que la licence BSD. Le licencié peut modifier le logiciel et diffuser le résultat avec une licence de son choix. La contrepartie est l’obligation de citation par le licencié de l’usage du logiciel à travers une page Web publique, ce qui répond à l’objectif fort de mesure bibliométrique d’impact.
  • CeCILL-C a été conçue pour le cas des bibliothèques et plus généralement des composants logiciels. Dans l’esprit de la LGPL (qui n’est plus vraiment adaptée à certaines situations), elle demande aux utilisateurs de rediffuser à la communauté les modifications qu’ils réalisent sur un logiciel sous CeCILL-C.

Le choix d’une licence est donc un élément clé pour la diffusion d’un logiciel et pour son succès. C’est une décision que les équipes de recherche peuvent prendre avec un spécialiste de valorisation industrielle, afin de trouver l’adéquation entre les objectifs recherchés et les conséquences pour le chercheur, son équipe et son employeur, qui est le détenteur des droits patrimoniaux.

Il y a des liens importants entre ces licences logicielles et la licence CreativeCommons document externe au site qui permet de partager librement mais de manière sûre des documents ou des œuvres sur Internet, ou des licences liées à la production artistique document externe au site.
Alors, révolution ou évolution ?

À partir de cette brève présentation des arguments liés à la diffusion sous licences libres et ouvertes des logiciels issus de la recherche, que peut-on conclure des changements induits dans les interactions de la recherche d’une part avec elle-même et d’autre part avec le reste de la société (entreprises, administrations, citoyens, etc.) ? Constituent-ils une révolution à accomplir ou plutôt une évolution à réussir ?

La première mission de la recherche est d’explorer l’inconnu, d’essayer d’apporter des réponses en développant de nouveaux savoirs, de nouvelles connaissances. Faciliter, grâce à des diffusions sous licences libres, la réutilisation de connaissances implicites qui sont matérialisées dans des lignes de programme, s’inscrit dans la tradition de la publication des résultats de la recherche depuis la fin du XVIIe siècle. Il n’y a vraiment rien de révolutionnaire dans cette modalité. Il s’agit juste de s’adapter à cette évolution, et notamment d’adapter un des mécanismes importants pour la carrière des chercheurs : la mesure de notoriété et de citations. Il y a, cependant, un changement notable, une évolution majeure dans le rythme de création. En facilitant la réutilisation rapide de savoir et savoir-faire, la diffusion libre et ouverte de logiciel accélère notablement la création de connaissances disciplinaires, mais aussi, et c’est peut-être cela le plus important, dans les disciplines connexes voire dans des communautés plus éloignées.

Parce qu’elle est immergée dans le monde réel et donc en fait partie, la recherche doit écouter les problèmes issus de ce monde, afin tout à la fois de ressourcer son questionnement et de proposer des technologies aptes à participer à l’élaboration de solutions satisfaisant les besoins socio-économiques de ce monde. La diffusion de savoir et de savoir-faire, par les logiciels libres et ouverts, apporte trois évolutions majeures. Elle accélère le transfert de technologie issue de la recherche vers le monde socio-économique avec un coût de transaction quasi-nul. Elle contribue à la standardisation et à l’interopérabilité, donc accélère encore plus la réutilisation et l’accumulation rapide de technologie. Et, de manière plus générale, elle favorise le dialogue entre recherche et société.

Justement, du point de vue de la société, le logiciel devient de plus en plus un objet du quotidien, c’est l’avènement de la société numérique. Les conséquences des choix faits dans ce domaine ont un impact majeur sur des pans entiers de la société et de certains secteurs économiques qui devront s’adapter. Pour eux, c’est une vraie révolution. Tout changement est difficile, surtout si on ne l’a pas anticipé... Or des forces conservatrices sont accrochées à des modèles d’affaires n’ayant pas évolué depuis des plusieurs décennies. Un bon exemple en est le récent débat autour du projet de loi DADVSI (Droits d’Auteur et Droits Voisins dans la Société de l’Information), où les fournisseurs de logiciels libres P2P seraient condamnables pour un usage illicite de leur logiciel : c’est le fabricant de l’outil qui est responsable, et pas celui qui utilise illicitement l’outil... comme si le constructeur de voitures était responsable de l’accident commis par un chauffard alcoolique, ou encore le fabricant de marteaux lorsqu’un psychopathe tue sa victime avec cet outil. Il y a donc danger.

Ouvert et partagé, mais applicable aux mutations structurelles d’une économie de services complexes, telle est ma conception du logiciel libre et ouvert : mondialiser les savoirs, mutualiser les savoir-faire, et encourager ici les nécessaires applications industrielles du « libre ». La culture du logiciel libre est légitime dans sa propension à partager des savoirs et à créer une dynamique vertueuse de mutualisation des technologies structurantes. Je considère que c’est une chance à saisir pour la recherche et comme vecteur de transfert et d’innovation industrielle. Mais si la diffusion du logiciel libre et ouvert est une alternative crédible au logiciel dit propriétaire, ce n’est ni un renoncement à ce mode de diffusion, ni une opposition de fait aux logiques commerciales. C’est une occasion d’ouvrir de nouveaux espaces d’expression et de collaborations, de promouvoir d’autres modèles et, pourquoi pas, de favoriser la mutation et l’évolution du paysage économique. (Ce dernier paragraphe reprend la conclusion que j’ai formulée dans une tribune publiée dans Les Echos daté du 23 février 2006 et dont la publication témoigne que le monde économique est en train d’entendre ces arguments.)

Posté le 30 mai 2006

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Nouveau commentaire
  • Mai 2006
    18:00

    Le logiciel libre et ouvert : révolution ou évolution ? : 3 CeCILL, une famille de licences de droit français

    par emma

    bon article. merci !

    voir aussi le site d’information sur cecill