[Etude OuiShare / HopWork] Freelances : fiers, épanouis mais incompris

Au-delà de l’Uberisation qui réduit le phénomène des indépendants à la précarisation rampante de notre société, le mouvement des freelances est certainement l’une des incarnations les plus stimulantes de l’évolution du travail de ces dernières années. Epanouis, fiers de leur situation, les 800 000 freelances français sont néanmoins victimes de multiples formes de réticences culturelles et politiques. Echange avec Vincent Huguet, fondateur et CEO de Hopwork, autour des principaux enseignements d’une étude élaborée à partir d’un questionnaire auquel 1 000 freelances ont répondu et à laquelle OuiShare est associé depuis la conception.

Bonjour Vincent ! Quels sont les principaux enseignements de l’étude selon toi ?

Vincent Huguet. De cette étude il ressort clairement un enseignement principal qui est que les freelances ont choisi ce format de travail non pas par obligation mais bien par choix, à hauteur de 90% (et cela va jusqu’à 97% chez les développeurs) ! C’est un contraste très net avec le discours général qui associe souvent freelancing et précarité. On voit par ailleurs qu’ils sont heureux dans ce statut : 75% se disent « épanouis », et 74% « fiers ».

75% des freelances se disent épanouis, et 74% fiers

A l’inverse, ils pensent à 97% qu’ils ne sont pas pris en compte dans les débats politique et économique, souvent par manque de visibilité. Il est d’ailleurs étonnant d’entendre parler si régulièrement d’ »uberisation » qui est un phénomène certes très fort, mais qui ne concerne que quelques dizaines de milliers de chauffeurs VTC, livreurs, coursiers, etc. en France, alors que l’on parle ici d’une population de 830 000 freelances sur des professions de type « intellectuelles », en croissance de 126% sur 10 ans !

Il semble qu’il y ait un décalage énorme entre la fierté que ressentent les indépendants et la perception de leurs proches : qu’est-ce que cela t’inspire ? Comment y remédier ?

V. H. Oui ! Même si les freelances qui ont répondu à l’étude ont en moyenne 35 ans et ne sont donc pas des nouveaux entrants sur le marché du travail, il y a clairement un décalage de générations. Je suis convaincu que la fameuse génération Y s’est préparée à l’idée de vivre une carrière en multi-activités, voire d’être « slasher » : à force de s’entendre dire qu’ils enchaîneraient stages et CD, même pour les plus qualifiés d’entre eux, ils ont fini par préférer une flexibilité choisie plutôt que subie, et ont donc pris les devants pour créer leur propre job.

A force de s’entendre dire qu’ils enchaîneraient stages et CD, ils ont fini par préférer une flexibilité choisie plutôt que subie

De façon plus macro, il y a aussi le fait que toutes nos institutions, banques, protections sociales, etc. se sont basées sur le modèle fordiste de la grande entreprise et du salariat. Ce modèle est aujourd’hui remis en cause comme n’étant plus le seul et unique modèle de travail, et cela peut en effet générer une certaine incompréhension de la part des « insiders » qui ne comprennent pas comment certains peuvent faire d’autres choix.

En tout cas, on espère que cette étude, en montrant l’ampleur du phénomène, et la satisfaction des freelances, rassurera les papas, mamans et amis de tous les freelances 🙂

Autre enseignement : le retard des grands groupes dans leur capacité à travailler avec des freelances. Ce sont pourtant les premiers à rechercher la flexibilité et la maîtrise du coût des prestataires, non ? Au-delà des plateformes comme Hopwork, qu’est-ce qui pourrait faire évoluer les choses ?

V. H. Les freelances sont souvent déjà dans les grands groupes via des intermédiaires de type SSII, agence, brokers (on a déjà vu des cas où il y a 3 niveaux entre le freelance et son client !), mais les clients ne le savent pas ou ne veulent parfois pas le voir.

Aujourd’hui ils sont en train de prendre conscience que les meilleurs talents, en particulier sur les métiers de l’économie numérique, préfèrent le statut de freelance et qu’ils doivent savoir travailler avec eux, et de façon plus directe pour éviter cette sous-traitance en cascade qui est coûteuse et juridiquement instable.

Cette étude fait partie des éléments qui permettront une meilleure prise de conscience du phénomène de la part des grands comptes, je l’espère.

Quelles sont les nouveaux métiers de freelances qui sont apparues sur Hopwork ces deux dernières années ? Ceux qui connaissent la plus forte croissance ?

V. H. Il existe évidemment une très grosse demande de développeurs informatiques : en la matière, la pénurie est réelle. Au sein de cette population, le freelancing a le vent en poupe ces temps-ci, ils sont très nombreux à se lancer. Ils représentent environ 30% des 2 500 freelances qui rejoignent Hopwork chaque mois.

Les développeurs informatiques représentent environ 30% des 2 500 freelances qui rejoignent Hopwork chaque mois

Cependant, on voit aussi arriver des bataillons de nouvelles professions, qui n’existaient auparavant que dans le cadre du salariat, car liées à des fonctions support des entreprises, telles que des fonctions RH, achat, ou juridique par exemple.

Finalement on se dit que si les freins réglementaires et les réticences culturelles étaient levés, le mouvement pourrait concerner encore plus de personnes car il fait écho à des aspirations profondes et largement répandues. Partages-tu ce sentiment ? Y a-t-il des limites intrinsèques au développement du travail indépendant en France selon toi ? Des professions qui ne seront jamais concernées ?

V. H. Tu as raison de parler de réticences culturelles. Je crois que le principal frein est là, et en particulier, comme on l’a vu dans l’étude, sur l’image des proches pour qui c’est un « job de passage » avant de trouver un « vrai job », c’est à dire le sacro-saint CDI.

Cette difficulté est aussi réelle quand il s’agit d’aller demander un prêt bancaire ou louer un appartement et que l’on dénonce votre situation « peu stable » alors que la majorité des freelances sont justement plus adapté au monde du travail d’aujourd’hui et à ses fluctuations.

Enfin, une petite ouverture peut être sur les nouveaux modèles organisationnels qui émergent à l’heure du numérique – dont OuiShare est l’une des incarnations – et qui réunissent ces nouveaux indépendants. On parle de collectifs, de guildes de travailleurs, de communautés… Comment vois-tu les choses ? infrastructures de différentes natures qui abaissent Les barrières à l’entrée pour les indépendants sont-elles abaissées par les nouveaux types d’infrastructures à leur disposition : techniques, juridiques et fiscales (CAE, HopWork, etc.), physiques, culturelles et sociales (espaces de coworking, collectifs comme OuiShare, etc.) ?

V. H. L’homme est un animal social ! Même à son compte, et donc libre de choisir son lieu et ses horaires de travail, il a besoin d’autrui. J’aime beaucoup la devise de Mutinerie Coworking – « Libres ensemble » – qui résume tout l’esprit du freelancing. Le freelance seul sur sa plage en Thaïlande travaillant à distance pour ses clients, c’est finalement un épiphénomène. Nous voyons bien sur Hopwork comment les freelances, même s’ils travaillent de chez eux, se rendent régulièrement chez leur client, voire même exécutent leur mission dans les bureaux de ce dernier. Ce côté local est d’ailleurs une des idées fondatrices d’Hopwork, dès la Home Page notre moteur de recherche propose de chercher un freelance dans la ville du client, car on sait que dans la majorité des cas, ils voudront se rencontrer pour travailler ensemble.

Le freelance seul sur sa plage en Thaïlande travaillant à distance pour ses clients, c’est finalement un épiphénomène

On a aussi constaté sur Hopwork ce besoin de créer des groupes, de s’unir entre freelances. Spontanément, des freelances partout en France se sont proposés pour organiser des événements et jouer le rôle d’ambassadeurs de la communauté dans leur ville.

Nous travaillons par ailleurs sur un nouveau concept de groupes de freelances, car là aussi il y a en effet une demande de se regrouper. On pourrait bien tester ça avec OuiShare !

Question subsidiaire : est-ce que ces évolutions ne dessineraient pas, en creux, un nouveau modèle de société ?

V. H. La volonté d’autonomie est de plus en plus affirmée chez les générations qui deviennent les nouveaux acteurs de la cité. Le freelancing pose aussi des questions aux entreprises, où le management doit absolument prendre en compte ce désir d’indépendance des salariés, sans quoi il sera difficile de rester un cadre de travail attractif.

Au niveau de la société, si nous pouvions tous, en particulier en France, faire nôtre la proposition de JFK « don’t ask what your country can do for you but you can do for your country« , nous aurions beaucoup à gagner ! Malheureusement, nous en attendons encore manifestement beaucoup trop d’un Président monarchique et messianique !

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Via un article de Antonin Léonard, publié le 16 mars 2017

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