Controverse autour de Décodex, un outil contre la désinformation ?

Entre démarche citoyenne et enclosures

Décodex est une boîte à outils des Décodeurs rubrique du site Lemonde.fr, lancée le 1er février 2017 qui cherche, en accès gratuit, à permettre aux internautes de distinguer les sites d’information fiables, de ceux qui ne le sont pas, à l’aide d’une classification couleur selon plusieurs critères. Sont concernés les sites, les blogs, les sites de presses mais aussi les comptes Youtube ou Twitter. Or, impossible de tout vérifier : les internautes sont donc mis à contribution pour répertorier les sites avec la possibilité d’envoyer une requête aux Décodeurs, ce qui place le projet dans une "démarche citoyenne", mais aussi d’éducation aux médias pour tous et dans les écoles.

Sont ainsi proposés :
- un moteur de recherche "Verificator" qui permet de faire une recherche par l’adresse d’une page web ou par le nom d’un site
- un logiciel de discussion sur Messenger de Facebook qui donne des réponses automatiques sur les sites à vérifier et des conseils sur la manière de vérifier l’information,
- un plug-in (extension) pour les navigateurs Chrome et Firefox qui installe un petit logo "D" dans la barre de navigation, qui change de couleur et en explicite les raisons avec description du site,
- des articles pédagogiques sous forme de kit à destination des enseignants avec une compilation de conseils, dessins, cas pratiques et exercices.

Ce sont donc des sites "majoritairement français mais aussi anglais et américains et quelques allemands, avec 5 niveaux de fiabilité, repérés par cinq couleurs" qui sont classés :
* Les sites "plutôt fiables"qui se montrent "mesurés" et "transparents" sont en vert.
* Les sites "militants" ou "insuffisamment précis", et qui "ne vérifient pas" ou "ne précisent pas" leurs sources se voient attribuer la couleur orange.
* Les sites "participatifs" pour lesquels la "fiabilité [est jugée] trop variable" (Wikipédia ou les comptes des réseaux sociaux par exemple) sont de couleur grise.
* Les sites "satiriques ou parodiques", qui sont "à lire au second degré", sont repérables par la couleur bleue.
* Enfin, en rouge, ce sont les sites qui "diffusent régulièrement de fausses informations" ou "des articles trompeurs".

Parmi les critères retenus on trouve :
- le respect des règles journalistiques (croisement des sources, vérification, etc.)
- le fait de préciser ses sources (quid de sites menant des enquêtes, comme le Canard Enchaîné ou Médiapart, par exemple, et qui ne peuvent préciser leurs sources pour des raisons évidentes ?),
- la référence à un ensemble d’études scientifiques, et non à une seule,
- la rectification des erreurs lorsqu’elles sont identifiées,
- la distinction entre un éditorial/ tribune aux analyses subjectives, et des articles purement factuels,
- le signalement des positions partisanes affirmées sur certains sujets qui ont déjà conduit à des erreurs.

Quelques éléments de débats :

Pour analyser cet outil, nous pouvons nous placer sous l’angle de la controverse et nous poser quelques questions.
L’outil peut avoir un réel intérêt pédagogique en invitant l’internaute à adopter une attitude critique lorsqu’il consulte le Web.
Pour autant, il semble essentiel de ne pas s’en tenir au seul jugement des Décodeurs, pour ne pas laisser à cette seule plate-forme privée le choix de labelliser et certifier les sites Web. Objectivement, l’éducation à l’information du "tout public" ne peut pas être cloisonnée à un seul acteur, d’autant que d’autres tels que les bibliothécaires, journalistes, professeurs documentalistes, enseignants de disciplines détiennent expertise et compétences dans le domaine de la culture de l’information.

Sans parler des conflits d’intérêt et des dérives multiples qu’un tel "service" va engendrer. On a là une régulation par un site (commercial) de presse, et on peut imaginer des plates-formes telles que Facebook, voire des sites conspirationnistes, proposer un outil similaire, ou même un État qui viendrait imposer sa régulation.

De plus, de tels systèmes semblent se heurter à des limites qui renvoient à nos propres filtres informationnels :
- ils concernent souvent des ressources déjà identifiées par ailleurs comme non ou peu fiables,
- ils se basent sur des connaissances, des croyances et des consensus valables localement (à un pays, à des croyances),
- ils ne remplacent pas l’expertise humaine individuelle ou mieux, collective telle que celle que préconise SavoirsCom1.

Quelles séances peut-on mener ?

A Doc pour Docs, nous trouvons fécond le travail sur la controverses et la cartographie des sources qui permettent aux élèves de dépasser le seul critère de la fiabilité d’une source mais de s’attarder sur ceux de pertinences, de discours, d’autorité énonciative (liée à l’auteur), l’autorité institutionnelle (éditeur, organisation…), l’autorité du support (liée au type de document), l’autorité de contenu (la « plausibilité intrinsèque » du texte). Lors des séances en info-documentation et EMI, il semble pertinent de faire travailler les élèves sur des sites puis de les amener à comparer leur analyse à celle de Décodex afin d’en dégager des critères communs ou divergents.
Plus encore, nous pensons qu’il faut être attentif à la qualité de l’information produite par nos élèves. Toute une série de savoirs et de connaissances sont alors en jeu : des savoirs informationnels et médiatiques liés à la propriété intellectuelle, des savoirs techniques liés aux contraintes des outils, et enfin des savoirs liés à l’éthique (comment est-ce que je prévois la manière dont autrui peut lire/interpréter/citer mon travail...).

Comprendre la notion de pertinence

Plus que la fiabilité, la notion de pertinence permet de questionner une source en réponse à un besoin d’information. Un document pourra être jugé pertinent s’il contient à la fois des informations fiables ET des informations intéressantes pour la recherche.
Ainsi, la source et son support devront être fiables, avoir pour but d’informer, l’information devra être vérifiée. Les informations devront aussi être adaptées au niveau de l’élève pour qu’il les comprenne, apporter des informations nouvelles ou complémentaires et être adapté à une consigne.

Comprendre les autorités informationnelles

Il s’agit, face aux informations qu’il trouve sur une sujet de recherche, d’amener l’élève à déterminer la valeur et la nature des informations d’un document afin de les intégrer ou de les situer par rapport à son propre discours. Ce sont ainsi le contenu et la forme de l’information qui sont analysés. Ce travail sur les sources permet d’identifier et clarifier les éléments d’un débat, les thèmes mais aussi l’historique de ce débat. Cette approche permet de dépasser la question de site fiable/non fiable mais plutôt de permettre aux élève de repérer des points de vue.

Interroger la crédibilité d’une source et décoder les arguments

Il s’agit ici de permettre aux élèves d’avoir une réflexion sur les discours portés par une intention de publication et de comprendre sur quoi se fonde l’évaluation de l’information.
On peut ainsi les amener à repérer des critères pour évaluer un site web sur un sujet qui fait débat : la source elle-même (à quel groupe d’acteurs elle appartient et quelle est son intention de publication), les arguments énoncés (qui dit quoi, les preuves scientifiques, témoignages, etc), l’analyse du discours (neutralité, propagande, commercial, politique, religieux, diffusion etc...) et les éléments qui appuient ce discours (charte graphique, commentaires, réputation de la source, etc.).

En conclusion, reprenons les mots de Vincent Glad dans son article :
"En somme, prenez les sentences du Décodex pour ce qu’elles sont : un intéressant apport au débat public, mais qu’il faut lui-même interroger. Qui décodexera le Décodex ?

Pour rappel :

Cartographier les sources d’information c’est demander aux élèves de présenter les sites trouvés lors d’une recherche d’information sous la forme d’une carte présentant une typologie des sites. Il s’agit d’utiliser la méthode de la carte mentale pour amener les élèves à se poser cette question, après la collecte d’information : « Qui parle sur ce sujet ? ».

Recherche documentaire et construction de discours

La cartographie des controverses

Essai de progression dans l’apprentissage des notions info-documentaires (document, source, information)

Docpour Doc

URL: http://docpourdocs.fr/
Via un article de Doc pour Docs, publié le 11 février 2017

©© a-brest, article sous licence creative common info