Nouvel accord sectoriel sur l’exception pédagogique : une avancée à tous petits pas

Un nouvel accord sectoriel sur la mise en œuvre de l’exception pédagogique a été publié au BO de l’Éducation nationale le 29 septembre 2016.
Valable pour les quatre années à venir, ce protocole concerne la reproduction et l’utilisation de livres, périodiques, partitions et images fixes. Il a été conclu entre le Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, la Conférence des Présidents d’Universités et les représentants des titulaires de droits intéressés.

Globalement, le texte s’inspire largement des dispositions d’un accord précédent paru le 1e janvier 2015, qui a avait été analysé par Lionel Maurel sur son blog.
On relève cependant une différence importante, avec la suppression de l’obligation de devoir vérifier, texte par texte, sur le site du CFC (Centre Français d’exploitation du droit de Copie), si les œuvres à réutiliser figurent dans son répertoire. C’était une des grosses incohérences du dispositif antérieur, puisque l’exception pédagogique a une valeur législative et qu’il n’est donc pas nécessaire d’articuler sa mise en œuvre au système de gestion collective volontaire du CFC pour les œuvres comprises dans son champ d’application.

L’accord autorise les mêmes types d’usage que le texte précédent, sans évolution :

Le présent protocole prévoit l’utilisation, en particulier numérique, d’extraits de livres, de publications périodiques, d’œuvres musicales éditées, ainsi que l’utilisation dans leur forme intégrale d’œuvres des arts visuels, par les utilisateurs autorisés des établissements définis à l’article 2 et par les services du ministère, à des fins d’illustration des activités d’enseignement et de recherche, notamment dans le cadre de la diffusion numérique de documents pédagogiques pour les apprenants, de représentations en présence, de la réalisation de sujets d’examens ou de concours et d’utilisations pour des actes d’enseignement, de formation des enseignants et des chercheurs ou des activités de recherche.

On déplore que l’accord maintienne une lourde formalité, qui limite singulièrement l’applicabilité de l’exception. Les personnes qui mobilisent l’exception : enseignants, professeurs, mais aussi élèves et étudiants, sont censés remplir une déclaration des œuvres réutilisées, à conserver par leur établissement pour transmission au CFC. Cette exigence est irréaliste et la loi ne prévoir nullement qu’elle doit être accomplie pour pouvoir bénéficier de l’exception.

Ce texte va fixer pendant 4 années l’encadrement de l’exception pédagogique en France. Celle-ci reste trop restrictive, attendu qu’hormis certaines hypothèses limitées (illustrations d’une thèse en ligne, publication de sujets de concours ou captations d’interventions dans des colloques, séminaires ou conférences), elle n’est pas applicable aux usages sur Internet.

Des changements pourraient cependant arriver par le biais de l’Union européenne, car le projet de nouvelle directive proposé par la Commission comporte un volet sur les usages pédagogiques, avec une exception obligatoire pour les Etats-membres. En l’état cependant, il n’est pas certain que les propositions de la Commission élargissent les usages autorisés en France.

En résumé, l’exception pédagogique concerne 

  • Les livres : intégralité dans la classe, extraits seulement si incorporation dans un travail pédagogique diffusé via ENT ou intranet, défini comme « partie ou fragment d’une œuvre d’ampleur raisonnable et non substituable à la création dans son ensemble », sauf s’il s’agit d’œuvres courtes (telles que des poèmes).
  • Les périodiques imprimés : intégralité dans la classe, extraits seulement si incorporation dans un travail pédagogique diffusé via ENT ou intranet, défini comme « partie ou fragment d’une œuvre d’ampleur raisonnable et non substituable à la création dans son ensemble », sauf s’il s’agit d’œuvres courtes (telles que des poèmes).
  • Les arts visuels  (arts graphiques, plastiques, photographiques, architecturaux, etc.)  : diffusion en intégralité dans la classe, incorporation en intégralité possible dans un travail pédagogique diffusé via ENT ou intranet, à condition de se limiter à 20 images par support.
  • La musique enregistrée : diffusion en intégralité possible dans la classe, ainsi que représentation par les élèves ou enseignants. Extraits de 30 secondes peuvent être incorporés dans un travail pédagogique diffusé via ENT ou intranet.
  • Les vidéos : En classe, extraits de 6 minutes (ou 10%) seulement à partir de supports du commerce, diffusion possible en intégralité pour les œuvres diffusées par le canal hertzien gratuit. Extraits de 6 minutes (ou 10%) peuvent être incorporés dans un travail pédagogique diffusé via ENT ou intranet.
  • Les partitions : utilisation d’extraits possible en se limitant à trois pages consécutives, dans la limite de 10 % de l’œuvre concernée (paroles et/ou musique), par travail pédagogique ou de recherche.
  • Les manuels : utilisation d’extraits possible en se limitant à 4 pages consécutives dans la limite de 10 % de la pagination de l’ouvrage.

Voici une série de questions- réponses reposant sur les textes en cours dans le cadre d’un établissement scolaire

 

– Puis je diffuser en classe une vidéo de Youtube ?

Oui, mais seulement un extrait de 6 minutes et pas l’intégralité de la vidéo. Attention cependant à ce que la source soit bien licite, c’est-à-dire à ne pas diffuser une œuvre qui aurait mise à disposition par un utilisateur de YouTube sans autorisation préalable des ayants droit. C’est parfois difficile à déterminer sur YouTube. Du coup, il vaut mieux privilégier les chaînes officielles des producteurs de contenus. A noter que pour les courtes vidéos, l’extrait doit être limité à 10% maximum de la durée de l’œuvre.

– Puis-je diffuser un extrait d’un DVD que j’ai acheté dans le commerce ?
L’utilisation de « supports édités du commerce » (VHS, DVD, etc.) est couverte par l’accord de 2009, à condition qu’elle se limite à des extraits de 6 minutes. Pour diffuser des DVD en intégralité, il faut acquérir des supports particuliers comprenant un droit de diffusion, auprès d’organismes comme l’ADAV ou CVS.

– Puis je diffuser un film diffusé à la TV ? Est-ce possible de le faire en direct ?

L’accord couvre les représentations « d’œuvres intégrales diffusées en mode hertzien, analogique ou numérique, par un service de communication audiovisuelle non payant ». Donc il est possible de projeter un film diffusé à la télévision à condition que ce soit une chaîne hertzienne gratuite (ce qui exclut Canal+, Canalsatellite, TPS, Netflix les services de vidéo à la demande, etc.). Pour les programmes diffusés par les services payants, des extraits de 6 minutes maximum restent néanmoins possibles.

– Puis-je utiliser les replay des chaines hertzienne pour une diffusion en classe ?

Oui, à condition que l’accès à ces contenus soit gratuit.

-Combien de temps puis-je conserver un enregistrement au sein de l’établissement ? Peut-il intégrer le fonds documentaire du CDI ?

L’accord précise que sont autorisées » les productions temporaires de telles œuvres exclusivement destinées à cette fin. » Cela signifie que les copies ne doivent être conservées que le temps nécessaire à la diffusion en classe et qu’elles ne peuvent rejoindre de manière permanente les fonds d’un CDI. Pour constituer des fonds audiovisuels, il faut se tourner vers les fournisseurs de supports vendus avec des droits négociés (ADAV, CVS, etc.).

– Puis-je diffuser une publicité ?

En théorie oui, à condition de l’enregistrer à partir d’une diffusion effectuée sur une chaîne hertzienne gratuite ou d’une plateforme comme YouTube (depuis un compte officiel). Mais seuls des extraits peuvent être diffusés en se limitant à 10% de la durée totale de la publicité, ce qui limite sérieusement l’intérêt de l’exception pour ce type de contenus courts.

– Qu’en est-il pour un podcast de radio ?

On peut les assimiler à des œuvres diffusées par voie hertzienne par des services de communication audiovisuelle non payants. Ils peuvent donc être diffusés en intégralité dans la classe, mais pas être archivés de manière permanente.

– Puis-je utiliser un extrait d’une chanson pour illustrer une présentation (type diaporama) ou une présentation numérique (type prezi, powtoon…) ou encore une présentation vidéo mise en ligne sur la chaine Youtube de ma classe ?

L’accord prévoit que des extraits de 30 secondes d’enregistrements musicaux ou de vidéo-musiques peuvent être incorporés à des « travaux pédagogiques », qui peuvent correspondre à des présentations numériques ou à des vidéos. Par contre, l’accord ne permet pas la mise en ligne directement sur Internet de tels travaux. Il faut se limiter à une diffusion sur ENT, intranet ou extranet.

-Puis je diffuser une playlist (type Deezer) au sein de l’établissement puisque elle est disponible gratuitement en ligne ?

Dans le cadre de la classe, il est possible de diffuser des enregistrements musicaux en intégralité, dans un but d’illustration de l’enseignement et à condition que la source soit licite. C’est bien le cas pour une playlist Deezer. Par contre, l’exception exclut l’utilisation des œuvres à des fins récréatives ou pour de la simple sonorisation d’espaces. Pour sonoriser un espace, un contrat annuel doit être conclu avec la SACEM, qui permet ensuite de sonoriser le lieux à partir de n’importe quelle source licite (y compris un site comme Deezer).

– Puis faire la capture d’un site et le poster sur un ENT ou un intranet ?

Oui, mais seulement si l’image est intégrée à un « travail pédagogique » (c’est-à-dire qu’elle sert à illustrer un propos, une argumentation, une démonstration) et chaque support peut contenir 20 images au maximum.

– Puis-je mettre à disposition des élèves une œuvre d’art ou d’un texte littéraire en ligne ?

L’image d’une œuvre des arts visuels ou un texte littéraire peut être téléchargée en ligne depuis une source licite, si elle est utilisée ensuite » dans le cadre d’une représentation en présence, afin de permettre l’étude de l’œuvre ». A noter qu’une limite spéciale de 10% maximum s’applique pour les œuvres conçues à des fins pédagogiques (manuels) et les partitions de musique.

SI la mise à disposition ne vise pas l’étude en classe, mais la réalisation de « travaux pédagogiques », seules les « œuvres courtes (tels que les poèmes) et les œuvres des arts visuels » peuvent être utilisées en intégralité. Les autres textes littéraires ne peuvent être utilisés que sous forme d’extraits, définis comme « partie ou fragment d’une œuvre d’ampleur raisonnable et non substituable à la création dans son ensemble ».

Remarque : ces restrictions ne s’appliquent plus si l’œuvre appartient au domaine public, à condition de pouvoir trouver une source qui ne rajoute pas de nouvelles couches de droits s’opposant à l’usage en classe (hypothèse hélas assez fréquente, notamment sur les sites des institutions culturelles).

– Puis-je recopier dans mes cours des extraits de sites web ?

Oui, d’abord dans le cadre général de la courte citation prévue à l’article L. 122-5 du Code de propriété intellectuelle.

Mais l’exception pédagogique permet d’aller au-delà des seules courtes citations en incorporant à des courts des extraits de sites internet, à condition de se militer à des « partie ou fragment d’une œuvre d’ampleur raisonnable et non substituable à la création dans son ensemble ».

– Puis-je utiliser un article de presse en ligne pour illustrer un cours ? Qu’en est-il de la presse gratuite ?

Que la source soit gratuite ou payante n’a pas d’incidence, de même que la nature du support (papier ou numérique). Dans tous les cas, un article de presse pourra être utilisé pour illustrer un cours, en intégralité s’il est distribué sous forme numérique aux élèves « dans le cadre d’une représentation en présence, afin de permettre l’étude de l’œuvre ». Si l’article est incorporé à un dossier destiné à être diffusé aux élèves via un ENT ou intranet, il faudra se limiter à des extraits entendu comme « partie ou fragment d’une œuvre d’ampleur raisonnable et non substituable à la création dans son ensemble ». Dans le cas où l’article constitue une simple brève, on peut admettre la réutilisation en intégralité (au titre des « œuvres courtes (tels que les poèmes) ».

– Puis-je diffuser une musique en intégralité devant un groupe d’élève ?

Oui, l’accord précise qu’en ce qui concerne la musique « sont autorisées la représentation intégrale dans la classe, aux élèves ou aux étudiants, d’enregistrements musicaux » (à condition que la source soit licite).

– Puis-je enregistrer des élèves en train de lire une poésie, un conte ou une nouvelle et diffuser cet enregistrement sur le site de l’établissement ?

Si les œuvres lues appartiennent au domaine public, seule sera nécessaire l’autorisation des élèves au titre des droits voisins dont ils bénéficient en tant qu’interprètes.

Si les œuvres sont encore protégées par le droit d’auteur, il n’est pas permis de diffuser l’enregistrement directement sur le site de l’établissement. L’enregistrement ne pourra être diffusé que sur un ENT ou intranet, à condition d’être intégré à un travail pédagogique et de se limiter à un extrait entendu comme « partie ou fragment d’une œuvre d’ampleur raisonnable et non substituable à la création dans son ensemble ».

– Puis-je utiliser l’image de la 1e de couverture d’un ouvrage pour illustrer un travail d’élève en ligne ?

L’incorporation d’images à des travaux pédagogiques est possible (à condition de se limiter à 20 par support), mais pas pour une mise en ligne directement sur Internet. Le travail de l’élève ne peut être diffusé que via un ENT ou un intranet.
En droit pur, les couvertures d’ouvrage constituent des œuvres à part entière et ne bénéficie d’aucune exception particulière. En pratique, il existe une certaine tolérance de fait à leur endroit, surtout pour les usages non-commerciaux.

– Pour une représentation théâtrale ou un concert en établissement, dois-je demander à l’auteur une autorisation ?
L’accord de 2009 autorise « la représentation dans la classe d’œuvres musicales intégrales par les élèves ou étudiants, à des fins exclusives d’illustration de l’enseignement ». Les élèves ou les enseignants peuvent donc jouer un morceau de musique dans le cadre de la classe si cela fait partie de l’enseignement. Pour les œuvres théâtrales, l’accord de 2016 couvre la « représentation en présence, afin de permettre l’étude de l’œuvre ». Dans les deux cas, les œuvres peuvent être jouées en intégralité.
Par contre, l’exception législative ne s’applique pas à l’usage des œuvres « à des fins récréatives ». S’il s’agit donc d’organiser des représentations théâtrales ou des concerts sous la forme de spectacles ponctuels, des autorisations spécifiques seront à négocier (avec la SACEM pour les concerts et avec la SACD pour les pièces de théâtres).
Ces restrictions ne s’appliquent pas si les œuvres appartiennent au domaine public.

– Qu’en est-il de l’utilisation ou du partage d’un lien ?

Il est toujours possible de pointer vers une œuvre par le biais d’un lien hypertexte (à condition de ne pas contourner par ce biais un mur payant). Néanmoins la Cour de Justice de l’Union Européenne a été amenée récemment à préciser que le fait d’établir un lien vers une œuvre mise en ligne sans le consentement des titulaires de droits (source illicite) constituait une violation du droit d’auteur.
Dans le cadre d’un usage non lucratif, la bonne foi de la personne qui établit le lien sera présumée, mais il importe néanmoins de vérifier la licéité des sources vers lesquelles on pointe, car cette présomption peut être renversée en justice s’il est avéré que la personne savait qu’elle a fait le lien hypertexte vers un contenu illicite en connaissance de cause.

 

 

Via un article de SavoirsCom1, publié le 3 octobre 2016

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