Comment avoir plus de lecteurs sur internet ?

Après des semaines, des mois, que dis-je, des années de recherche intensive, de tentatives ratées, d’expérimentations plus ou moins fructueuses, je suis en mesure de vous révéler un grand secret. C’est tellement simple que personne n’y avait pensé auparavant, et pourtant ça marche ! C’est même mathématique. Comment obtenir plus de lecteurs pour votre nouveau roman autoédité, pour votre blog santé ou pour votre comic-strip quotidien ? Eh bien c’est très simple : vous ne pouvez pas. (j’assume le clickbait)

Bon, d’accord, je grossis un peu le trait : la prolifération des best-sellers prouve que les lecteurs, espèce qu’on dit menacée, existent bel et bien. D’accord, une large portion d’entre eux lit la même chose. L’attention, une denrée tout aussi rare que les lecteurs et les lectrices, se polarise en direction des mêmes sources de divertissement ou d’information (quelquefois même ces sources se recoupent). Bien sûr, il y a toujours la possibilité de bénéficier d’un effet de « buzz » — une publication jusqu’ici inconnue est massivement partagée sur les réseaux sociaux et multiple aussitôt son audience par 1.000. Ça arrive tous les jours. Mais plus je m’intéresse aux artistes qui publient sur le net, plus je constate que la qualité des travaux n’est plus nécessairement le seul critère pour susciter l’engouement des masses.

Je pense aux illustrateurs·trices dont j’admire le travail, par exemple. Il y en a des tas, des gens vraiment talentueux, pour tout dire ils sont si nombreux que leur nombre donnerait presque le tournis. J’aimerais qu’ils aient tous l’attention qu’ils et elles méritent, mais force est de constater qu’on est loin du compte : de nombreux artistes créent dans l’indifférence la plus complète. En fait, c’est même la majorité. Romancières, illustrateurs, musiciennes, vidéastes, personne n’est épargné. Et ça n’ira pas en s’améliorant. Aujourd’hui, de plus en plus de gens créent avec talent et régularité. La frontière entre amateurs et professionnels se trouble chaque jour un peu plus. Et dans ce paysage, la ressource primordiale, le pétrole de la création artistique, l’attention, se raréfie. C’est comme ça. C’est mathématique. Plus nous sommes nombreux à créer, plus l’attention du public se répartit entre les différents artistes. Et même si, comme j’aime à le répéter, une créatrice est aussi une lectrice, une spectatrice, une auditrice, la division de l’attention est un phénomène que plus personne ne peut nier.

Alors il va falloir s’y faire. Je veux dire, partager ce qu’on fait avec peu de gens. Certains sortiront toujours du lot. Certaines se mettront à vendre des centaines de milliers d’exemplaires d’un roman, d’autres verront soudain leur blog faire un pic de popularité. Comme les étoiles filantes, ils resteront des phénomènes observables, mais imprévisibles. Le talent et la persévérance ne suffisant plus, la chance aura un impact de plus en plus important. Injuste peut-être pour celles et ceux qui dédient leur temps et leur énergie à leurs travaux, mais nous n’aurons pas le choix.

J’avais écrit il y a quelques mois un article sur l’idée de créer local — oui, même sur internet. Cela suppose de considérer son lectorat comme un jardin à entretenir (avec amour, si si) et de n’envisager son agrandissement que dans un second, voire un troisième temps. Les auteurs indépendants connaissent bien le plafond de verre des 50 exemplaires vendus : la plupart du temps, on ne le franchit pas. Eh bien il faut peut-être faire avec ces 50 lecteurs. Trouver d’autres moyens de se réaliser, qui ne soient pas liés à des chiffres de vente ou à des statistiques de visites sur une page donnée. Ce ne sera pas facile, parce que nous sommes habitués à quantifier notre succès — ou du moins notre réalisation personnelle — avec des chiffres. Mais je suis convaincu que c’est une voie sans issue. Ou alors nous allons droit vers la dépression générale.

Si votre blog ne dépasse pas les 1.000 visites par mois, ça ne signifie pas que vous n’avez pas de talent. Si vous n’avez vendu que 18 exemplaires de votre dernier roman, ce n’est pas nécessairement parce qu’il est mauvais. Si votre vidéo n’a pas été regardée par autant de gens que vous l’auriez souhaité, ce n’est pas parce que vous êtes nul devant une caméra ou que votre contenu n’était pas intéressant. C’est juste que nous sommes nombreux, de plus en plus nombreux, sur cette petite planète qu’on appelle internet, et qu’il faut qu’on se pousse pour faire de la place à tout le monde. Je suis convaincu qu’on peut toujours faire la différence. Ce ne sera peut-être que pour une ou deux personnes, et ce n’est pas avec ça que vous allez vous faire creuser une piscine dans le jardin, mais ça a son importance. Ce n’est pas parce qu’on atteint moins de gens qu’on les touche moins fort.

Nous changeons le monde en peer-to-peer. De pair à pair. Ça n’a l’air de rien, mais c’est incroyablement puissant. Quelque chose est en train de se passer sans que nous puissions clairement l’identifier. Cela implique internet et la création. Je n’ai pas de mots pour le décrire clairement. Je crois juste que jusqu’ici, nous fonctionnions en meutes de loups. Nous étions des mammifères, avec un système précis de rangs et de castes. Nous nous transformons petit à petit en insectes. Nous collaborons. Nous sommes une fourmilière en ébullition.

Devinez qui, des loups ou des fourmis, survivra le plus longtemps ?

Photo : Sancho McCann via Flickr (CC-BY)

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Via un article de Neil Jomunsi, publié le 23 juillet 2016

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