Former les bibliothécaires à la médiation numérique

Layout 1L’ABES m’a proposé d’écrire un article pour le numéro 81 consacré à La formation en bibliothèque – Espaces de médiation, nouvelles perspectives.

Voici l’article qui a été publié, n’hésitez pas à lire l’ensemble du numéro, il est librement accessible en ligne. Merci à Marion G. pour l’accompagnement éditorial.

Je vous recommande également la lecture dans ce numéro de l’article d’Anne-Gaëlle Gaudion intitulé Médiation numérique : quelques recommandations pour une application en bibliothèque publique.

 En 2009, Jenny Rigaud, responsable du pôle Culture du CNFPT propose une démarche inédite a un petit groupe de formateurs : réinventer les formations sur le numérique et les bibliothèques. A cette époque, le web 2.0 est en pleine expansion et les catalogues de formation ne proposent d’aborder le numérique que sous l’angle d’une initiation aux principaux services participatifs du web 2.0, ou bien sous l’angle des ressources numériques. Sous l’égide du CNFPT, un petit groupe de bibliothécaires porte la conviction qu’il faut associer à une approche de découverte du numérique une approche opérationnelle orientée vers la médiation, bien au delà d’un solutionnisme technique. Face à l’omniprésence des formations “ressources numériques” il apparaît de plus urgent de proposer une appréhension raisonnée de la culture web et de l’économie numérique pour sortir du couple acquisition-valorisation de ressources payantes et donner aux pratiques de médiation toute la place qu’elles méritent.

La précieuse carte blanche offerte par le CNFPT permet de créer des formations complètes à destination des cadre de direction. Un cycle intitulé “Les impacts du numérique dans les bibliothèques” voit le jour en 2009 (nom de code BiblioQuest). Il est composé de 3 modules (indissociables) de 3 jours chacun. La conviction des concepteur de ce cycle est qu’il faut légitimer des pratiques et donner aux encadrants des clés pour soutenir les initiatives de leurs agents et pour se positionner par rapport aux élus et aux autres services des collectivités. L’ambition est forte puisqu’entre 2010 et 2015 le CNFPT permet à 17 professionnels de devenir formateurs au sein de ce cycle qui est doublé à Nancy et à Montpellier. Au delà des formations continues, c’est bien de construire un nouveau discours pour la profession dont il s’agit.

Au programme, une première session de 3 jours avec une nécessaire initiation aux outils et une acculturation au numérique pour un public peu familier de ce que d’aucun appellent encore des “nouvelles technologies”. L’enjeu est de proposer à ces cadres d’adopter des usages nouveaux et de découvrir des services en ligne en misant sur le fait qu’ils pourront réinvestir ces outils dans un cadre professionnel pour des usages internes et des usages de médiation numérique. La seconde session porte sur le coeur du projet : la médiation numérique telle que définie dans l’encadré ci-contre. L’enjeu est de donner les clés de compréhension pour développer une stratégie de médiation à travers les notions de dispositifs de médiation et d’identités numériques des institutions. Construire un discours de la médiation à un moment où les bibliothèques doivent se positionner par rapport aux autres services, notamment les services communication ou les directions des systèmes d’information, s’avère indispensable dans de nombreux cas. Comment positionner la bibliothèque à l’heure où tout devient numérique ? Comment renouveler le discours de l’utilité des bibliothèques pour des élus ? Comment en impulser la démarche et en proposer des traductions concrètes pour les équipes ? Les stagiaires apprennent également comment cerner une communauté d’intérêt sur internet, afin d’initier une veille thématique et de pouvoir alimenter des dispositifs de médiation numérique.

La troisième session porte sur les ressources numériques, vues sous l’angle de la médiation. En réalité, cette troisième partie vise à faire percevoir les profonds bouleversements entraînés par l’avènement de la recommandation et de l’économie de l’attention. Comment tenter d’être en phase avec les pratiques d’accès à l’information et la culture ? Comment ne plus seulement être aquéreur d’une offre commerciale mais devenir médiateur dans l’océan du web ?

Malgré leur longueur et l’engagement qu’elles représentent pour les cadres (un cycle de trois fois trois jours), ces formations rencontrent un franc succès. Au total, entre 2010 et 2015, le CNFPT programme 183 sessions de formation consacrées au numérique représentant 569 jours de formation. 1312 agents ont été formés, majoritairement des catégories A et B+, mais aussi A+.

Le public évolue fortement en quelques années et les stagiaires passent des personnels de direction à des profils de chargés de mission ou de chargés de médiation numérique. Il est clair que les collectivités entament un virage qui rend nécessaire une évolution de ces formations. Il est alors décidé de concentrer la formation sur un temps plus restreint afin de répondre à un public qui maîtrise de mieux en mieux les outils mais cherche des bonnes pratiques et des clés de compréhension pour développer des stratégies et porter des projets. La formation se recentre, passe de 9 jours à 6 jours et se réorganise. La nouvelle version de ce cycle est prévue en 2016.

Parallèlement, l’Institut National des Etudes Territoriales (INET) fait appel à certains membres de l’équipe initiale de créer une formation pour les conservateurs territoriaux. Ces formations intégrent des démarches stratégiques expliquant par exemple comment intégrer le numérique au sein des projets scientifiques et culturels et comment évaluer les impacts des projets mis en oeuvre. Elles font la part belle aux retours d’expériences. Au delà de la “fracture numérique” les politiques publiques intègrent de plus en plus le numérique dans des démarches mobilisant le concept d’inclusion. Les formations proposées par l’INET aux futurs directeurs et directrices des bibliothèques visent à leur donner toutes les clés pour contribuer à l’élaboration et l’évolution de ces politiques publiques.

En somme, la culture du “faire” et la montée en puissance des thématiques liées à la culture de l’information et des littératies numériques ont permis de distinguer de plus en plus nettement une approche de la médiation numérique orientée stratégie et évaluation pour les cadres en contact avec des élus et une approche opérationnelle misant sur les bonnes pratiques et la gestion de projet pour les cadres. Parallèlement, la “pensée design” c’est-à-dire l’expérimentation permanente et le prototypage participatif permettent d’envisager un repositionnement des bibliothèques vers la médiation.

Pour autant, ce mode de formation continue composé de stagiaires d’horizons divers trouve ses limites : comment atténuer l’effet “parenthèse enchantée” constaté en fin de formation ? Comment faire en sorte que la quinzaine de personnes qui participe à chaque module puisse réinvestir dans son quotidien les contenus proposés, sans avoir le sentiment de devoir refaire la formation à toute son équipe ?

Formations en intra : les clés de la réussite

Une des réponses est dans le développement de formations en interne, à destination de tout ou partie des professionnels des bibliothèques au sein d’une collectivité. Parfois articulées aux formations continues du CNFPT (4 ont été programmées en 5 ans) mais pas toujours, ces formations ont deux avantages majeurs : elles permettent de proposer un discours commun et de favoriser l’impulsion de projets par les directions. Pour réussir, les directions qui les organisent doivent nécessairement s’appuyer sur ces moment de réflexions et de pratiques pour initier des projets. Il est alors indispensable de prévoir un ou plusieurs coordinateurs de la médiation numérique capables de construire un projet sur les attentes, pratiques et envies suscitées par ces formations. La méthode est connue, mais elle est tout particulièrement efficace pour des projets de médiation numérique, étant donné qu’il s’agit essentiellement de projets internes requérant peu de moyens techniques mais un fort investissement en terme de coordination. Organisés en amont d’une orientation stratégique et articulée à un projet de réorganisation des tâches, ces formations en intra sont très efficaces pour initier ou appuyer des dynamiques de changement.

De la formation continue à la circulation des compétences en interne

Les formations à la médiation numérique intègrent de plus en plus l’après-formation. Il devient nécessaire non plus seulement de transmettre des méthodes ou des bonnes pratiques mais d’expliquer comment faire circuler les compétences au sein d’une équipe. A cet égard, l’initiation aux pratiques de veille et de partage d’information prennent une place toute particulière. Comment veiller en équipe et partager des contenus au sein de communautés d’intérêts ?

Un autre aspect vise à inciter les professionnels à sortir de l’attribution à une équipe restreinte des activités numériques. C’est à ce prix que les compétences peuvent se développer et chacun se sentir investi. De fait, le rôle des coordinateurs de la médiation numérique a fortement évolué en quelques années. Souvent envisagés comme des spécialistes des outils numériques, ils doivent avant tout se positionner en tant qu’animateurs d’une communauté de médiateurs. Certaines bibliothèques organisent ainsi des forums réguliers d’échanges de compétences entre professionnels. Ce n’est plus l’”équipe numérique” qui forme des profanes mais tous ceux qui maîtrisent des dispositifs de médiation et échangent leurs pratiques et compétences avec leurs collègues. Ces séances d’échanges de savoir-faire entre professionnels sont à encourager et permettent de constater que dans les bibliothèques comme ailleurs, le slogan de l’autoformation ne suffit plus. Ces usages doivent être liées à une veille documentaire mutualisée et articulées à des moments réguliers de mises en pratiques et d’échanges de compétences organisés dans les équipes.

Conclusion

On le voit, en quelques années, les pratiques de formation ont fortement évolué. Si les stages de formation continue restent des moment d’échanges, de prise de recul et de partage d’expériences nécessaires, ils ne sauraient suffire à accompagner le changement. Les savoirs pratiques liés au numérique et à son incarnation dans des dispositifs de médiation doivent être mis en circulation au sein de communautés apprenantes. On peut même penser qu’un des rôles des formateurs à l’avenir sera de plus en plus de provoquer des temps d’échanges et de montées en compétences à partir de pratiques d’autoformation reconnues et encouragées dans un quotidien où tout s’accélère…

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Via un article de Silvae, publié le 22 janvier 2016

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