Le nouveau site « Images d’art » de la RMN : une chance manquée pour la diffusion de la culture

En septembre 2015, le collectif SavoirsCom1 appelait à une politique ouverte de l’accès aux reproductions d’œuvres des musées publics.

SavoirsCom1 rappelle qu’une politique de l’accès ouvert aux communs culturels numériques est à portée de main. Le bénéfice collectif apporté par l’accès ouvert est déjà connu, tant dans le domaine de la culture que dans celui des sciences. 

Nous regrettions la situation actuelle, dans laquelle « des enclosures des communs culturels numériques sont trop souvent créées par les institutions qui ont la charge d’en favoriser la diffusion et l’utilisation. » Nous proposions de : 1) Passer à la haute définition ; 2) Favoriser les usages de manière généreuse et cohérente ; 3) Encourager la collaboration avec les communautés créatives ouvertes ; et enfin 4) Faire cesser la fraude au droit d’auteur (copyfraud).

Certains établissements culturels étrangers ont déjà mis en place des politiques exemplaires en la matière, notamment le Rijks Museum d’Asmterdam qui a choisi d’ouvrir complètement les conditions de réutilisation des données et métadonnées qu’il diffuse.

Dans ce contexte, le lancement par la Réunion des Musées Nationaux (RMN) du nouveau site « Images d’Art » constitue une amère déception. Encore une fois, une occasion a été manquée de faire entrer un acteur culturel majeur dans la dynamique d’une politique d’ouverture et de contribution aux communs.

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A l’heure où la loi numérique s’apprête à généraliser l’Open Data et envisage de consacrer la notion de « domaine commun informationnel », les choix effectués pour mettre en place ce site manifestent un immobilisme inquiétant et relèvent presque de la provocation.

Images d’art, une vision « communicationnelle » de l’usage des œuvres

Dans ce billet, le wikimédien Sylvain Machefert synthétise bien les différents problèmes posé par ce nouveau site, en le qualifiant de « vaste blague ».

On espère qu’un jour la RMN évolue vers une vraie ouverture ou que sa tutelle prenne enfin la décision de se couper des maigres ressources issues de la vente de licences de diffusion pour enfin participer pleinement à la diffusion de la culture française.

Le projet est en effet symptomatique d’une vision purement médiatique – ou communicationnelle– du rôle du numérique : il s’agirait uniquement de « diffuser » des vignettes, permettant de communiquer sur les collections, sur les musées partenaires et (surtout ?) sur l’activité de vente de reproductions de la RMN.

Cette approche écarte la médiation et l’appropriation des contenus. La réutilisation, le remix, la transformation sont découragés par les contraintes imposées. Le partage communautaire est mis sous contrôle.

Par exemple, les Conditions Générales d’Utilisation (CGU) autorisent la redifusion des images sur les réseaux sociaux, mais uniquement sur Facebook ou Twitter. Pourquoi privilégier ces acteurs au détriment du reste de l’écosystème (Flickr, Tumblr, Pinterest, Framasphère et tant d’autres) ? Ce genre de restrictions participent au renforcement de positions dominantes de certains acteurs au détriment d’autres.

Les images peuvent être embarquées sur les pages web de site tiers, via un export en html (embedded), à condition que l’utilisateur ait ouvert un compte. Mais la RMN se réserve à tout moment le droit de retirer des images de son site, effaçant par ricochet les images diffusées sur des sites tiers par le biais de cette fonctionnalité d’intégration. De telles conditions fragilisent par avance la confiance nécessaire en l’institution pour construire un écosystème sain de réutilisation.

Un échafaudage de conditions bricolées

Les CGU contiennent d’autres clauses problématiques, dont la légalité paraît même parfois douteuse.

C’est le cas par exemple de celles relatives à la possibilité de faire un lien hypertexte vers des pages site « Images d’art ». Les CGU interdisent cette pratique lorsque l’établissement d’un lien est assimilable à une « utilisations à des fins commerciales/publicitaires/éditoriales ». Dans quel mesure un lien est-il effectué à des fins « commerciales » et encore plus « éditoriales » ? Ce sera extrêmement difficile à apprécier pour les utilisateurs. Mais de surcroît, ces restrictions n’ont aucune base légale : L’arrêt Svensson rendu en 2014 par la Cour de Justice de l’Union Européenne a en effet clairement consacré la liberté de faire des liens hypertexte publié en ligne à partir d’une source licite, y compris par les acteurs commerciaux.

Les conditions d’utilisation posent aussi problème en matière de réutilisation des données :

  La reproduction, la rediffusion, l’exploration ou l’extraction automatique par tout moyen de contenus ou données du Site est interdite. Ainsi l’emploi de robots, programmes permettant l’extraction directe de données ou contenus est rigoureusement interdite.

 De plus, toute extraction et utilisation substantielle des Images mises à disposition sur le Site, au sens du droit sui generis des bases de données prévu par le Code de la Propriété Intellectuelle, est rigoureusement interdite.

Ces interdits sont complètement à contre-courant du mouvement d’Open Data qu’embrassent de plus en plus largement les administrations françaises. Certains établissements culturels, comme la BnF, ont déjà donné l’exemple en diffusant des données sous Licence ouverte. Le Ministère de la Culture avait lui-même pourtant fortement incité ses établissements à s’engager dans cette voie dans un rapport publié en décembre 2013.

« Images d’Art » propose toutefois une API potentiellement intéressante. Mais là encore, les conditions imposées s’avèrent trop restrictives et imprécises. Une autorisation préalable est ainsi demandée pour obtenir une clé de développement, ce qui ne peut que freiner la réutilisation. Les images diffusées via l’API sont certes placées sous une licence Creative Commons (NC), mais les CGU maintiennent dans le même temps l’application du droit des bases de données :

 Par dérogation à la Licence Creative Commons CC BY NC SA 3.0 FR, toute extraction et utilisation substantielle par l’Utilisateur des Images et/ou des Métadonnées mises à disposition sur l’API Images d’Art, au sens du droit sui generis du producteur de base de données prévu par le Code de la propriété intellectuelle, est rigoureusement interdite.

Cette restriction crée une situation d’insécurité juridique problématique pour les utilisateurs de cette API, car le flou de la notion « d’extraction substantielle » empêche les utilisateurs d’apprécier exactement ce qui peut être fait en matière de réutilisation de ces données.

Copyfraud manifeste sur le domaine public

Nous regrettons également les atteintes au domaine public auquel se livre le site « Images d’art ».

Rien n’indique l’appartenance des oeuvres au domaine public. Au contraire, les reproductions sont frappées du logo « copyright » habituel de la RMN, ainsi que du nom des photographes ayant effectué les clichés.

Cet usage du droit d’auteur est largement contesté pour les reproductions fidèles d’oeuvres en deux dimensions, pour lesquelles il est extrêmement difficile de faire valoir une quelconque originalité. L’originalité existe, rappelons le, lorsque « l’empreinte de la personnalité de l’auteur » est manifeste dans l’oeuvre. Or une simple photographie d’une oeuvre en deux dimensions ne peut pas satisfaire une telle condition, au regard du standard élevé que les juges retiennent de plus en plus en matière d’appréciation de l’originalité des photographies.

On est donc ici en présence d’une appropriation brutale d’une oeuvre du domaine public par la RMN, une fraude de droit d’auteur (copyfraud) dénuée de toute valeur juridique.

Une culture vivante ou une culture à vendre ?

La justification avancée pour le maintien de ces entraves à la réutilisation est généralement d’ordre budgétaire.

La RMN mettrait en oeuvre les procédés que nous dénonçons ici pour obtenir un retour sur investissement, par le biais de la vente de reproductions. Mais un rapport récent du ministère de la Culture montre que ce modèle économique s’avère incapable en pratique d’assurer un financement durable pour la numérisation du patrimoine. La RMN accumule année après année un déficit croissant lié à des problèmes structurels et les redevances provenant de la réutilisation des images ne suffiront pas à y remédier.

Nous sommes à un tournant dans le lien entre culture du passé et culture vivante. Internet et la numérisation de plus en plus qualitative nous offre à portée de main l’accès universel à l’ensemble du patrimoine commun, pour l’utiliser, le réactualiser, le réintroduire sans exclusion dans la culture vivante – c’est-à-dire la culture en train d’être produite.

Combien de temps allons nous freiner ce qui est au bénéfice de l’ensemble des habitants du territoire, et au-delà ?

Via un article de SavoirsCom1, publié le 20 octobre 2015

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