Rapport du Sénat : comment taxer les interactions entre particuliers ?

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La commission des finances du Sénat a rendu le jeudi 17 septembre un rapport de 60 pages intitulé  l’Economie Collaborative  : proposition pour une fiscalité simple, juste et efficace. Bonne nouvelle : le Sénat semble prendre toute la mesure des enjeux qui se dessinent dans une économie de plateformes, aussi bien en termes d’évolution des usages que de volumes d’affaire (après tout, 70% des français ont déjà pratiqué la vente ou l’achat entre particuliers).

Le document peut surprendre par ses jugements souvent sévères sur notre système fiscal “complexe et illisible” (page 42) et prend soin de préciser que « l’administration fiscale apparaît bien démunie face à cette croissance des échanges marchands entre particuliers » (page 8). On y trouvera deux propositions centrales : instaurer une franchise unique de 5 000 euros pour les revenus issus de l’économie collaborative ainsi qu’une déclaration automatique en partenariat avec les plateformes.

Mieux encadrer, pour mieux collecter

Parlons donc impôt, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit. Il était illusoire de penser que les transactions entre particuliers pourraient continuer à se développer sans que l’Etat ne vienne en réclamer sa part. D’autant que si l’on admet que les nouveaux entrants grignotent peu à peu des parts de marché aux acteurs existants, ce sont autant de recettes qui n’entreront bientôt plus dans les caisses de l’Etat. Comme on peut le lire dans le rapport :

Ce ne sont donc pas tant les acteurs de l’économie collaborative qui sont en cause que le système fiscal lui-même, qui apparaît en décalage par rapport aux évolutions récentes et à venir. Or cette défaillance du système fiscal est problématique à double titre. D’une part, elle aboutit à des pertes de recettes pour l’État. D’autre part, elle constitue une concurrence déloyale à l’égard des entreprises traditionnelles intervenant sur les mêmes secteurs (page 9)

Quelles différences entre un particulier et un professionnel ?

Qu’est-ce qu’un particulier ? Comment distinguer précisément l’usage occasionnel de l’usage régulier d’une plateforme ? Autant de questions épineuses que le rapport ne parvient pas à élucider, tout en expliquant que «  le nouveau système devra assurer une juste imposition des revenus professionnels ou quasi-professionnels, tout en exonérant les compléments de revenu modestes et occasionnels pour laisser vivre l’économie collaborative.  » (page 9)

Cela semble pourtant une évidence. Sur eBay ou Le Bon Coin, vous trouverez aussi bien des particuliers que des professionnels. Ces deux groupes ne sont pas toujours soumis aux mêmes règles ni présentés de la même manière. Le rapport propose d’en prendre acte et d’établir une distinction en fonction du volume d’affaires. Reste que sur ce qu’on appelle “plateformes” au sens large, le partage de frais (BlaBlaCar), la location d’un bien (Airbnb), l’échange (Guest to Guest), la prestation de service (feu Uber Pop) ou la revente (le Bon Coin) sont autant de modèles différents. Sans oublier non plus que les ventes d’occasion par un particulier ne sont pas imposables et, que le covoiturage est un cas spécial encadré par le code des transports.

Le travail au Noir c’est Noir, il n’y a plus d’espoir (ni de zone grise)

C’était le grand mythe des plateformes : la zone grise. Sorte de no man’s land juridique où l’on ne savait pas sur quel pied danser quand il s’agissait de déclarer ses revenus ou non. Dois-je créer un statut auto-entrepreneur ? Faire une fiche de paye ? Qui doit émettre la facture ? Or comme chacun sait (ou devrait savoir) :

En théorie, les revenus des particuliers sur les plateformes Internet sont en effet imposables dans les conditions de droit commun. Ils doivent être déclarés et sont soumis à l’impôt sur le revenu (IR), au titre des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) dès lors qu’ils présentent un caractère répétitif. En réalité l’absence de déclaration et de paiement des impôts est la norme et non pas l’exception. (page 21)

Bref, jusqu’à aujourd’hui, tout le monde faisait plus ou moins du black.

Un cadre fiscal, ça a parfois du bon

Taxer, c’est déjà reconnaître l’existence des usages pair-à-pair. On peut même y voir un signal encourageant pour les entrepreneurs : on précise enfin le cadre fiscal qui leur permettra de rester dans la légalité. Cet enjeu de sécurité juridique devrait également faire le bonheur des investisseurs : finies les startups qui risquent de tout perdre du jour au lendemain à cause d’un contrôle fiscal malencontreux. Les usagers, de leur côté, sauront enfin à quoi s’y tenir. Oui, vous devrez déclarer vos revenus, mais à partir d’un certain seuil.

Venons-en aux deux mesures phares préconisées par le rapport.

Mesure 1 : L’Aspirateur fiscal

La première proposition consiste à mettre en place un système de déclaration automatique des revenus des particuliers, avec l’aide des plateformes collaboratives. Celles-ci ont en effet l’avantage, pour beaucoup d’entre elles, de connaître à l’euro près et en temps réel le revenu de leurs membres : les plateformes sont la clé d’un recouvrement efficace. C’est d’ailleurs ce que suggère la mise en place de la collecte de la taxe de séjour par Airbnb à Paris à compter du 1er octobre 2015, et sa possible extension à tout le territoire et à d’autres plateformes dans les prochains mois. (page 10)

En suivant ce raisonnement, on pourrait même imaginer que des plateformes telles que Traity ou Famust, qui sont aujourd’hui des agrégateurs de confiance, deviennent des standards obligatoires. Pour se connecter à ces plateformes vous n’utiliseriez plus votre bouton Facebook Connect, mais un identifiant unique recensant vos interactions financières. 

Mesure 2 : 5 000 euros maximum

Le rapport propose une franchise unique de 5 000 euros, commune à l’ensemble des plateformes collaboratives. Les règles proposées sont donc les suivantes :

  • en dessous de 5 000 euros annuels, les revenus générés par un particulier sur une plateforme sont non imposables : ils bénéficient d’une franchise totale et n’ont pas besoin d’être déclarés ;
  • au-delà de ce seuil de 5 000 euros, les revenus sont imposables dans les conditions de droit commun, c’est-à-dire à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux.

Pourquoi ?

4 500 euros par an sur une plateforme de services ne sera pas imposé, alors qu’il l’était auparavant à hauteur de 1 107 euros (24,6 %). Pour un revenu de 8 000 euros par an, l’imposition serait de 738 euros (9,2 %), tout compris (IR et prélèvements sociaux), contre 1 968 euros (24,6 %) aujourd’hui. Enfin, pour un revenu de 20 000 euros par an, l’imposition serait de 3 690 euros (18,5 %), contre 4 920 euros (24,6 %) aujourd’hui. Le changement est du même ordre pour les ventes de marchandises, avec un impôt moindre. On peut constater que plus le revenu augmente et s’apparente à revenu “professionnel”, plus le taux d’imposition effectif se rapproche du droit commun. […] Un impôt moins élevé mais plus sûrement collecté, c’est avec un tel compromis que pourra se développer l’économie collaborative. (page 11)

La limite du plafond

Les plateformes collaboratives ne constituent pas un secteur d’activité à proprement parler. Proposer un plafond de chiffre d’affaires sans y associer les frais qui lui sont liés est peut-être très limitant. Par exemple, les frais associés à la fabrication et à l’expédition d’un meuble sur A Little Market n’ont rien de commun avec la mise en location de votre voiture le temps d’un week end sur OuiCar ou Drivy.

Et de conclure :

L’administration fiscale est démunie et peu mobilisée. Même s’il existait des règles fiscales claires et adaptées, leur portée serait de toute façon modeste compte tenu du caractère déclaratif de l’impôt sur le revenu et de l’absence de système de déclaration efficace. (page 27)

La suite au prochain épisode, donc. En attendant, il est certain que nous n’avons pas fini d’entendre cette “fable qui fait trembler le Fisc”.

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Via un article de Marc-Arthur Gauthey, publié le 8 octobre 2015

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