Le Petit Prince sort au cinéma, mais n’est toujours pas entré dans le domaine public en France

Ce mercredi 29 juillet sort au cinéma une transposition à l’écran du Petit Prince, l’œuvre majeure d’Antoine de Saint-Exupéry.

Cette adaptation cinématographique n’est pas anodine. En effet, le film sort en 2015, année à partir de laquelle Antoine de Saint-Exupéry est entré dans le domaine public partout dans le monde – partout, sauf dans son pays d’origine : la France. On peut pousser un peu plus la symbolique en rappelant que le film sort quasiment le jour de l’anniversaire de la mort de l’auteur du Petit Prince disparu le 31 juillet 1944. Saint-Exupéry ayant disparu au cours d’une mission à la fin de la Seconde guerre mondiale, il bénéficie de la distinction « Mort pour la France ». En vertu de l’article 123-10 du Code de la propriété intellectuelle, les auteurs « morts pour la France » bénéficient d’une extension de 30 ans de la durée de leurs droits patrimoniaux. Mais l’auteur étant mort, cette prolongation bénéficie évidemment uniquement à ses ayants droit. L’auteur n’ayant pas eu d’enfants, il s’agit d’un groupe assez divers mêlant famille élargie et d’autres héritiers.

La France comme îlot du monopole des ayants droits

A l’occasion de son élévation dans le domaine public, plusieurs hommages ont été rendus à l’auteur et à son œuvre, à l’image de ce site belge. Ces hommages soulignent l’absurdité de la situation. Elle est d’autant plus flagrante quand on réalise que nos voisins belges peuvent légalement réaliser des copies, partager par tous les moyens possibles et adapter les œuvres de Saint-Exupéry. En France, et en France uniquement, elles restent la propriété privée des nombreux héritiers de l’aviateur !

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Toujours impossible de publier l’image du Petit Prince depuis la France…

Le collectif SavoirsCom1 s’interroge profondément sur cette extension de 30 ans du monopole des ayants droits des auteurs « Mort pour la France » comme concept visant à rendre hommage à un auteur. Le plus bel hommage que la France aurait pu rendre à Antoine de Saint-Exupéry aurait été d’inciter quiconque à s’emparer de son œuvre pour donner lieu à de nouvelles créations.

La ré-appropriation par la culture contemporaine, via l’adaptation, le remix, le mashup, est probablement la plus grande reconnaissance qu’un auteur peut recevoir du public. Le Petit Prince est une œuvre riche, composée à la fois de texte et d’illustrations propices à cette réadaptation et à cette appropriation. Mais aujourd’hui, rien de tout cela n’est permis aux résidents Français.

Les artistes vivant en France qui souhaiteraient exprimer leur créativé en s’inspirant des œuvres de Saint-Exupéry devront patienter trente années supplémentaires. Le domaine public est une liberté créatrice, il offre à chacun la possibilité de créer à partir d’œuvres relevant des communs de la connaissance.

Une adaptation stratégique ?

Nous sommes donc ce mercredi 29 Juillet en présence d’une adaptation cinématographique officielle, la seule légalement possible en France. Cette adaptation ne se prive pourtant pas de transformer l’œuvre en l’entremêlant d’une histoire inédite, qui est donc elle même entièrement sujette à de nouveaux droits.

Ce sont bien les ayants droit de Saint-Exupéry qui ont voulu ce film. On peut se poser des questions sur leurs intentions, quand on sait que le Petit Prince est l’une des oeuvres les plus traduites au monde ! En lançant la réalisation de film quelques temps avant son entrée dans le domaine public, les ayants droit ont pu préempter cette initiative en coupant l’herbe sous le pied à d’éventuel projets similaires à l’étranger. Pire, les titulaires de droits pourraient facilement faire valoir que d’autres adaptations à venir s’inspirent fortement de ce premier film et menacer de plagiat les éventuels réalisateurs, comme l’illustre le cas du Magicien d’Oz. Ainsi, les titulaires de droits conservent par des biais détournés une forme de monopole général sur l’exploitation des œuvres de Saint-Exupéry.

Il faut consacrer positivement le domaine public

En conclusion, la ministre de la Culture a raison quand elle affirme que la discussion autour du domaine public est un débat philosophique, mais c’est aussi et surtout un débat politique. Plusieurs propositions se sont succédées ces dernières années pour consacrer positivement le domaine public en France, la dernière en date étant celle du Conseil National du numérique. Par son inaction, le gouvernement est responsables de la situation totalement absurde dans laquelle se trouve le Petit Prince, qui rappelle la nécessité de reconnaître officiellement le domaine public comme étant la règle s’appliquant à toutes les œuvres sans discrimination à l’issue d’une période de protection uniforme.

Pour aller plus loin :

Via un article de SavoirsCom1, publié le 30 juillet 2015

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