Entretien croisé avec Thomas Fourmeux et Eric Garnier : Bibliobox, CDIBox, un pas de plus vers les Communs à l’Ecole

Depuis la brève publiée en septembre dernier « BiblioBox, dispositif de partage de ressources numériques pour les bibliothèques », la BiblioBox ne cesse d’intéresser les enseignants, et les professeurs documentalistes plus particulièrement.
Ces dernières semaines, plusieurs enseignants relatant des expérimentations autour des BiblioBox ont émergé sur la toile. Il suffit pour s’en convaincre de suivre le mot dièse #BiblioBox (et #CDIBox) sur Twitter.
La BibloBox fait l’objet de nombreuses présentations et déclinaisons. Voici une petite sélection :
- Éric Garnier en mars dernier relatait son expérimentation en CDI
- Dans le cadre de #Bibdoc37 « La bibliothèque augmentée : regards croisés sur la co-construction des savoirs » à Parçay-Meslay (Tours nord) le 16 avril 2015 : La présentation de Cyrille Jaouan
- Alors que nous préparions cet entretien, Corinne Christophe a lancé un appel sur le forum du site BiblioBox pour en créer dans le cadre de Ecritech6 à Nice :
- Armelle Mourtada a mis en ligne quelques liens dans un billet.

Nous avons voulu en savoir plus... avec

  • Thomas Fourmeux, bibliothécaire, membre du collectif SavoirsCom1, et auteur du blog http://biblionumericus.fr/ "Je suis assistant multimédia au sein du réseau des bibliothèques d’Aulnay-sous-Bois (93). Je participe au développement du numérique sur le réseau des bibliothèques. Le lien entre la BiblioBox et les bibliothèques était tout naturel. On a mis en place une BiblioBox après une expérimentation sur la lecture numérique en partenariat avec le Motif. On voulait pouvoir continuer à proposer des ebooks sans avoir à prêter des appareils de lecture."
  • Eric Garnier, professeur documentaliste qui a décliné la BiblioBox en CDIBox.
    "Je suis professeur-documentaliste au lycée Claude Monet du Havre. Depuis 3 ans, je fais partie du pôle de compétences académique Tice en documentation. A ce titre, j’anime des journées d’information autour des pratiques pédagogiques et des Tice à destination des professeurs-documentalistes de l’académie. Je suis également IA-Tice de l’académie de Rouen depuis cette année."

BiblioBox ? Définition

Tout d’abord un grand merci à vous deux de vous plier au « jeu » des entretiens pour le site Doc pour Docs.
Pour commencer : en quelques mots : Qu’est-ce qu’une BiblioBox ? et une CDIbox ? Quelles sont les nuances, s’il y en a, autre que celle du lieu dans laquelle on les trouve ?

Eric : Je reprends ici la définition du site Bibliobox.net : Il s’agit d’un dispositif de partage de ressources numériques (livres électroniques, vidéos, musique, logiciels, photos). La BiblioBox génère un réseau auquel on se connecte en wifi via un smartphone, une tablette ou un ordinateur portable puis on télécharge les contenus disponibles.
Thomas : (Même définition ^^)

Par facilité pour cet échange, nous allons choisir ici le terme de BiblioBox. Eric ce n’est surtout pas pour minimiser le terme CDIBox : qu’en penses-tu ?

Aucun souci pour moi ! J’ai moi-même de plus en plus tendance à utiliser le terme de BiblioBox.

Eric, qu’est ce qui t’a motivé à créer une CDIBox ?

Les thématiques de travail de l’académie de Rouen ces 2 dernières années, les biens communs de la connaissance et les médiations, m’ont naturellement fait penser à la BiblioBox. Et l’idée de « bidouiller » me plaisait beaucoup ! Le faible coût du dispositif était également un argument facilitateur.

Thomas, tu es à l’origine de la création du site de BiblioBox. Depuis, une communauté semble s’être organisée autour de ce site. Peux-tu nous raconter les origines ?

Pour être précis et rendre à César ce qui appartient à César, je suis co-auteur de BiblioBox.net avec Sylvain Naudin (@naudinsylvain). Nous avons eu l’idée de mettre en place cette plateforme après l’organisation du premier BiblioBoxCamp s’est tenu en avril 2014 dans une des bibliothèques d’Aulnay. L’objectif était de rassembler la documentation la plus large possible relative à ce dispositif d’échange notamment pour faciliter les personnes qui souhaitaient se lancer dans l’aventure. On s’était dit que ça pourrait servir la communauté d’avoir une porte d’entrée qui rassemble différentes infos autour de la BiblioBox et de pouvoir échanger notamment sur la question des ressources. En s’inscrivant sur le forum, chacun peut partager des sites où l’on peut trouver des fichiers pour la BiblioBox. Enfin, il y avait aussi la volonté de pouvoir se compter. C’est pourquoi on a mis en place une cartographie des BiblioBox qui s’internationalise de plus en plus. (une en Belgique et une en Angleterre).

As-tu bricolé toi-même ta BiblioBox ? Quelles compétences et habiletés faut-il pour se lancer ?

Eric : Oui. Ce n’est pas toujours évident car il faut utiliser des protocoles peu usuels. Heureusement, il existe des tutoriels très bien faits sur les internets et en étant appliqué, il n’y a pas de difficultés majeures. Je viens de rencontrer un collègue professeur-documentaliste, Thomas Bréant du lycée de Verneuil S/Avre, qui s’est lancé dans l’aventure et qui n’a pas rencontré de difficultés à monter sa BiblioBox.
Thomas : Nous avons effectivement mis en place nous-même notre BiblioBox. Nous avons fait partie des « early adopter » de la BiblioBox. A l’époque l’installation était beaucoup plus fastidieuse. Il fallait brancher son routeur à un modem internet puis faire le paramétrage par des lignes de commandes. Pour ma part, j’ai « brické » (bloquer le routeur suite à une mauvaise utilisation) plusieurs routeurs avant de réussir à avoir une BiblioBox opérationnelle. La version 2 issue du crowdfunding de Jason Griffey (un bibliothécaire américain) a grandement facilité les choses et participe du développement progressif des biblio-pédago-cdi-box. Désormais, les compétences nécessaires pour se lancer ne sont pas extraordinaires. Il suffit de se faire confiance, de savoir un lire un tutoriel et de ne pas se précipiter.

En pratique...

Quels sont les retours des usagers ?

Eric  : Les élèves sont assez enthousiastes mais il est absolument indispensable de les guider, à la fois dans la démarche d’utiliser son téléphone portable au CDI et techniquement pour se connecter à la BiblioBox. Au CDI, je constate qu’il est également primordial de concrétiser un espace où les élèves peuvent s’asseoir, sortir leurs téléphones et explorer la BiblioBox
Thomas : En bibliothèques, les retours sont plutôt variés. Ce dispositif nécessite un énorme travail d’accompagnement et de médiation pour que les usagers s’approprient ce service. En outre, la taille plutôt réduite du boîtier et le signal invisible du wifi limitent sa visibilité. Il est important de mettre en scène la BiblioBox à travers de la décoration, des affiches pour attirer l’attention des usagers.

Le dispositif permet-il de développer des pratiques culturelles, numériques ?

Thomas : Dans la mesure où il faut un appareil spécifique (tablette, ordi, smartphone...) pour télécharger des ressources immatérielles, cela fait appel à des notions de cultures numériques. Mais je ne pense pas que cela développe des pratiques culturelles numériques. J’aurais tendance à penser que cela alimente des pratiques déjà existantes. C’est d’ailleurs une des raisons qui explique les retours aléatoires des usagers. Ceux qui n’ont pas ou peu de pratiques culturelles numériques ne vont pas spontanément explorer les contenus de la BiblioBox. C’est alors qu’intervient le professionnel pour favoriser ces usages.

En quoi la BiblioBox est-elle un « dispositif de médiation numérique » ?

Eric : C’est un dispositif numérique par sa nature même. C’est un dispositif de médiation puisque le contenu mis à disposition des élèves a été sélectionné par le professeur-documentaliste.
Thomas : Si on s’appuie sur la définition de Silvère Mercier de la médiation numérique, on s’aperçoit que la BiblioBox est définitivement un dispositif de médiation numérique. La BiblioBox est un dispositif passerelle qui favorise "l’accès organisé ou fortuit, l’appropriation et la dissémination de contenus à des fins de diffusion des savoirs et des savoir-faire".

Qu’est-ce que la BiblioBox apporte de plus qu’un dispositif dans le cloud tel que Dropbox par exemple ?

Eric : Je ne vois pas de comparaison possible, ces 2 dispositifs sont fondamentalement différents.
Précision : certes, la dropbox permet la mise à disposition de fichiers mais :
1/ les fichiers sont également présents sur les serveurs de dropbox
2/ Il faut une connexion internet depuis un téléphone portable pour les visualiser/récupérer et si beaucoup d’élèves en sont équipés, ils n’ont pas tous un abonnement 3G/4G
3/ La BiblioBox est installée localement. J’y vois une étagère « virtuelle » où il est aisé de visualiser les documents présents, y compris les vidéos. Je reprends également ici l’argument de la qualité des connexions internet dans les établissements scolaires évoqué plus bas.
4/ L’accès à la BiblioBox me semble beaucoup plus facile pour un usage en autonomie des élèves.
Thomas  : je rajoute 5/ La protection des données personnelles. Il ne faut pas oublier que la BiblioBox est un fork de la Piratebox qui a été développée dans un contexte de surveillance généralisée des moyens de télécommunications. L’objectif de David Darts (le développeur de la Piratebox) était de créer un réseau local alternatif à Internet capable de mettre en réseau différentes personnes qui s’échangent des informations sans sacrifier leurs données personnelles. Aucun log ni donnée à caractère personnelle ne sont conservés quand on se connecte à la BiblioBox. Au regard du contexte actuel et des problématiques relatives à la vie privée sur Internet, il me semble important que les professionnels de l’information et de la documentation se positionnent sur ce terrain-là et sensibilisent leurs usagers.

Mais au fait : ce dispositif est-il bien légal ? N’y a-t-il donc aucune limite à la mise en œuvre ? Que réponds-tu à ceux qui avancent des arguments tels que piratage, illégalité ?

Eric : Le professionnel qui met en œuvre la BiblioBox, qu’il soit bibliothécaire ou professeur-documentaliste, est le garant de la légalité des contenus mis à disposition du public ou des élèves. L’épouvantail du piratage et de l’illégalité m’agace prodigieusement dès lors qu’on parle de partage.
D’ailleurs, la piste pédagogique d’utiliser la BiblioBox pour aborder les notions de biens communs et de domaine public est très pertinente.
Thomas  : Puis il ne faut pas oublier que la BiblioBox est un dispositif asymétrique, les usagers ne peuvent pas téléverser de contenus. Ils ne peuvent que télécharger des contenus proposés par le prof-doc ou le bibliothécaire.

La BiblioBox permet de mettre à disposition, entre autres, des documents avec une licence libre ou des documents appartenant au domaine public. Est-ce une dimension à laquelle vos usagers sont sensibles ? Comment les aides-tu à porter leur attention sur ces points ?

Thomas : Le caractère patrimonial des œuvres diffusées à travers la BiblioBox est aussi un frein à l’utilisation. Il y a beaucoup de préjugés sur les contenus du domaine public ou publiés sous licence type Creative Commons. Si c’est vieux, c’est nul et si c’est gratuit, c’est un auteur raté qui n’a jamais réussi à être publié. Il y a gros travail de déconstruction des représentations à mener. Une des solutions pour dépasser ce jugement de valeur est de constituer des sélections thématiques qui vont permettre d’attirer l’attention des usagers. Les différentes échéances culturelles locales et nationales sont toutes des prétextes pour proposer des contenus riches et variés relevant du domaine public ou publiés sous licences libres. (Printemps des poètes, centenaire de la Première guerre mondiale, fête de la musique, fête de l’Internet...)
Eric  : J’ajouterais que pour le professeur-documentaliste enseignant les notions de biens communs, la BiblioBox est un outil formidable !

Ces contenus, où peut-on les trouver facilement ?

Thomas :

  • Pour les livres, je vous invite à consulter ce slideshare dans lequel j’ai rassemblé différentes sources d’approvisionnement. http://fr.slideshare.net/Biblioveilleur/des-ides-libres-dans-des-livres-libres-47138028
  • Pour la musique, il y a l’excellent Ziklibrenbib
  • Pour les vidéos c’est un peu plus compliqué. Ce média est plus compliqué en terme de propriété intellectuelle, il y a beaucoup plus de titulaires de droits qui interviennent dans sa production.

Eric : Il est néanmoins possible de mettre à disposition des films du domaine public et pour les enseignants, des vidéos issues de catalogues tels que Jalons, Lesite.tv etc...

Concrètement as-tu quelques exemples d’usage pour nos CDI ? En particulier, Eric, tu parles dans ton billet http://documentation.spip.ac-rouen.fr/spip.php?article730 d’une banque de documents pour faire travailler les élèves. Peux-tu développer ? Trouve-t-on un usage similaire en bibliothèque ?

Eric : Je parle de banque de documents, j’aurais pu dire également serveur de fichiers. Le professeur met sur la BiblioBox les documents nécessaires à sa séquence. Les élèves, via une classe mobile de PC portables ou de tablettes, s’y connectent, travaillent sur les documents, lisent les textes, regardent des vidéos etc.... Toute connexion a lieu entre la BiblioBox et les tablettes, il n’y a pas de dépendance à la qualité de la connexion Internet de l’établissement.
Thomas : Je ne connais pas d’équivalent en bibliothèque mais ce serait une piste à envisager. Cela permettrait de construire une bonne passerelle entre l’Ecole et les bibliothèques. La chose qui pourrait s’envisager serait de constituer une BiblioBox avec des ressources en lien avec le programme des élèves qui leur permettrait de réviser le bac ou le brevet.

La BiblioBox pour valoriser les Communs de la connaissance

La BiblioBox est un moyen de valoriser et de s’approprier des Communs de la connaissance. Comment définis-tu ces Communs. En quoi la BiblioBox permet-elle cette appropriation, par qui et pourquoi ?

Thomas : Il me semble que la BiblioBox participe au mouvement des Communs dans sa capacité, en tant qu’outil, à mettre en relation des ressources et une communauté. Les œuvres numérisées du domaine public ne sont pas des communs tant qu’une communauté n’a pas décidé de s’emparer de ces ressources pour les rendre communes. Grâce à sa grande ouverture et sa facilité d’accès (pas d’identifiant), la BiblioBox favorise l’appropriation des communs de la connaissance. Toutefois, on peut se poser une question : si les règles ne sont fixées que par un de ses membres (le prof-doc ou le bibliothécaire) peut-on parler vraiment de règles fixées et adoptées par l’ensemble de la communauté ?

En quoi la BiblioBox permet-elle de participer au mouvement des Communs ?

Eric : Elle permet justement la mise à disposition de ces Communs. Elle est un outil permettant aux élèves de concrètement posséder ces Communs
Thomas : Comme je l’ai évoqué juste avant, la BiblioBox participe au mouvement des Communs dans sa capacité à diffuser les Communs de la connaissance et par conséquent à permettre son appropriation par les usagers. Mais à mon avis, il ne faut pas entendre appropriation uniquement au sens de possession des fichiers mais de façon plus large. C’est la possibilité pour les usagers de s’approprier ces Communs de la connaissance, d’enrichir leurs connaissances pour pouvoir, peut-être, les amener à produire par la suite d’autres communs.

Penses-tu que la BiblioBox puisse modifier notre approche de l’accès à l’information ?

Thomas : Je ne sais pas si la BiblioBox modifie notre approche de l’accès à l’information. Mais une chose est sûre elle permet de nous interroger sur plusieurs éléments. Tout d’abord, la BiblioBox est un excellent moyen de démonter la problématique des DRM. Quand vous téléchargez un livre numérique sans DRM depuis une BiblioBox et que vous pouvez le lire immédiatement, cela vous amène automatiquement à vous poser des questions sur l’existence de ces verrous. Par extension, cela nous conduit donc à nous poser des questions sur le téléchargement illégal et les alternatives qui pourraient être mises en place et qui prennent en compte la rémunération des auteurs. Autrement dit, la BiblioBox ouvre des possibles qu’il nous faut rendre réels.

Quels sont tes arguments pour inviter nos collègues professeurs documentalistes à se lancer ? Par quoi commencer ?

Eric  : Il faut commencer par acheter le boîtier :-) Puis bien lire les tutoriels expliquant comment le flasher, donc le transformer en BiblioBox. A partir de là, la réflexion devient pédagogique. Qu’en faire ? Que mettre dessus ? Vais-je m’en servir pour mettre simplement à disposition des documents (E-books entre autres) ou comme support numérique lors de séquences ? Seul ? Avec des collègues ?
La réflexion est vaste et je suis preneur de toutes les pistes !

En guise de conclusion

Pour poursuivre :
Un groupe Facebook
Un compte Twitter

Nous ne résistons pas non plus au plaisir d’évoquer l’Ideas Box de l’association Bibliothèques Sans Frontières présentée au congrès de l’IFLA en août 2014.
Expérimentée depuis janvier 2014 au Burundi, l’Ideas Box répond à trois objectifs :

  • Rendre autonome par l’éducation en donnant accès à des ressources
  • Connecter les réfugiés au monde en fournissant un accès Internet en permettant d’accéder à l’information
  • Construire la résilience, construire les futurs en contribuant à reconstruire des vies et des communautés. Permettre la création de « leurs propres contenus (films, dessins, écrits, cartographie, blogs, etc.) et d’encourager ainsi le développement et l’autonomisation intellectuels des individus et des communautés ».

Docpour Doc

URL: http://docpourdocs.fr/
Via un article de Hélène Mulot, publié le 25 avril 2015

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