Prêt Numérique en Bibliothèque : SavoirsCom1 répond aux arguments du Ministère de la Culture

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Images Money, CC BY 2.0

SavoirsCom1 et Actualitté ont publié conjointement une étude prospective à propos de Prêt Numérique en Bibliothèque. Cette étude montre que le modèle de vente à l’acte de fichiers chronodégradables est insoutenable pour les finances publiques des collectivités.

Notre collectif se mobilise contre cette offre non seulement parce qu’elle est inabordable, mais aussi parce qu’elle est incompatible avec le point 9 de notre Manifeste qui affirme que les politiques publiques qui vont dans le sens des communs doivent tendre à monétiser des services et non pas à enclore la connaissance.

Le journal L’Express a publié un article qui reprend nos chiffres et rend compte de la réaction du Ministère de la Culture et de la Communication.

Le Ministère s’y défend sur la faiblesse de l’offre que nous avons mise en évidence : « L’objectif à terme est de rassembler tous les éditeurs et toute l’offre disponible. Et sur ce point, les progrès sont manifestes, puisqu’on devrait avoir, dès le premier trimestre 2015, 60 000 titres disponibles », se défend le ministère. »

Voilà qui n’est en rien un argument, puisque le développement de l’offre rendra encore plus insoutenable un projet qui l’est déjà ! Rappelons que notre étude montre clairement que si les villes de plus de 100 000 habitants investissaient l’intégralité du budget moyen qu’elles consacrent aux ressources numériques (et donc pas seulement à l’achat de livres numériques), elles pourraient acheter à peine 20% de l’offre actuelle de PNB ! L’engrenage est clair : plus l’offre se développera dans ces conditions et moins les bibliothèques pourront satisfaire les besoins de leurs publics. On peut s’interroger sur les objectifs d’un tel projet à l’heure où la première préoccupation des exécutifs locaux est précisément la gestion de la pénurie budgétaire.

La solution du bouquet, que nous suggérons, devrait être soigneusement négociée, de préférence avec l’appui des pouvoirs publics. Il est pour le moins paradoxal de voir le Ministère de la Culture défendre un système reconnu par la principale association de bibliothécaires (l’ABF) comme fondamentalement déséquilibré en faveur des éditeurs. N’est-ce pas le rôle de ce Ministère, qui a fait de 2014 l’année des bibliothèques , de favoriser un accord équilibré ?

Par rapport aux projections que nous avons proposées, l’Express rapporte : « Là encore, les attaques sont balayées par le ministère de la Culture, qui pointe du doigt le fait que les bibliothèques n’auraient aucun intérêt à numériser la globalité de leurs collections. Ni à proposer l’ensemble des nouveautés. Sous-entendu que le projet est avant tout une expérimentation « dans un environnement ou le modèle et la pratique de lecture sont encore naissants ».

Si PNB constituait réellement une expérimentation, il s’appuierait sur plusieurs modèles à tester, plutôt que d’en favoriser un seul. Par ailleurs, nous affirmons que la plupart des bibliothèques territoriales ont déjà élaboré des politiques documentaires pour acheter des livres imprimés permettant de trouver un équilibre entre l’offre et la demande pour les habitants d’un territoire. On voit mal, si à l’avenir la lecture numérique se développe, pourquoi elles seraient obligées d’avoir des critères différents alors que l’offre est homothétique du papier et que les besoins de la population sont les mêmes. Là encore, ce n’est pas une situation à court terme que notre étude souhaite mettre en évidence, mais bien le danger que représente à long terme un tel modèle !

Enfin, lorsque le Ministère indique qu’acheter toutes les nouveautés n’a pas de sens, il s’agit d’un contresens majeur sur l’étude que nous proposons. La projection proposée établit un rapport entre le budget consacré à l’achat de nouveautés imprimées et le même budget investi dans le numérique via PNB. En aucun cas nous n’avons préconisé l’achat de l’ensemble des nouveautés mais nous avons simplement cherché à évaluer ce que coûterait le maintien à jour d’un fonds de livres numériques ! Quant à la plateforme, le Ministère oublie de préciser que les éditeurs ont été largement soutenus par l’argent public du Centre National du Livre et que les collectivités doivent toujours financer elles-mêmes la brique logicielle permettant de connecter la plateforme PNB aux systèmes informatiques des bibliothèques.

Aux Etats-Unis, où le modèle d’accès au livre numérique est tout aussi détestable que celui proposé par PNB (DRM chronodégradables pour les usagers), le modèle d’achat est très hétérogène, ce qui pose de gros problèmes aux bibliothèques dans la gestion technique des accès et des offres. Ce billet de la série consacrée par l’ENSSIB au modèle américain de prêt numérique le met en évidence : « l’enquête sur l’usage des ebooks dans les bibliothèques américaines de 2013 parue dans Library Journal , Survey of Ebook Usage in U.S. Public Libraries, [souligne que] la plupart des bibliothèques acquièrent des livres numériques en multipliant les points d’entrée : seulement 29% des bibliothèques utilisent un modèle d’achat unique. »

La France avec PNB a au moins le mérite d’avoir initié un mouvement dans lequel nous avons une chance d’avoir un modèle regroupant la plupart des éditeurs. Nous pensons qu’il est urgent de repenser ce modèle qui pourrait permettre un accès à la connaissance numérisée sous droit cohérent avec les missions du service public. A condition que ce modèle soit soutenable et respecteux des droits des lecteurs, et des auteurs.

Est-ce vraiment trop demander à ceux qui doivent défendre l’intérêt général ?

Via un article de SavoirsCom1, publié le 23 décembre 2014

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