Rendons Le Petit Prince et le Boléro de Ravel au domaine public !

Mercredi prochain, la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale examinera un projet de loi visant à transposer trois directives parmi lesquelles celle allongeant les droits voisins des interprètes et des producteurs de 50 à 70 ans. Prenant prétexte de l’allongement de la durée de vie, ce texte va une nouvelle fois porter atteinte au domaine public et restreindre les droits fondamentaux du public sur la culture. Les études contradictoires menées à l’occasion du vote de la directive en 2011 avaient pourtant montré que cet allongement ne profiterait que de manière marginale aux artistes. 90% des sommes engendrées tomberont directement dans la poche des labels et pour la grande majorité des artistes le passage de 50 à 70 ans de protection ne représentera en moyenne que 30 euros par an.

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Quasiment inutile pour les artistes, ce nouvel allongement des droits de propriété intellectuelle écornera encore un domaine public déjà malmené à plusieurs reprises au niveau européen. Il n’existe hélas quasiment aucune chance que l’Etat français s’oppose à cet allongement en refusant cette transposition au niveau national, alors même que la France ne s’est pourtant pas parfois privée de faire obstacle à une directive européenne. Néanmoins, il reste possible à l’occasion de la transposition de ce texte d’agir en faveur du domaine public et c’est ce que propose la députée Nouvelle Donne Isabelle Attard par une série d’amendements.

A titre de compensation face à ce nouvel allongement de la durée de protection, Isabelle Attard propose d’introduire dans le Code de Propriété Intellectuelle une définition positive du domaine public, afin que cette notion soit davantage reconnue juridiquement et mieux garantie. Elle s’appuie pour cela sur les termes d’une proposition de loi déposée par ses soins en décembre 2013, à laquelle SavoirsCom1 avait déjà apporté son soutien.

Isabelle Attard propose également de compenser le nouvel allongement des droits voisins en procédant à une diminution de la durée du droit d’auteur, que la France aurait déjà dû acter depuis longtemps. En effet, une directive européenne est intervenue en 1993 a augmenté la durée du droit d’auteur de 50 à 70 ans, en visant l’objectif d’une harmonisation au sein de l’Union européenne. La France a transposé cette directive, mais en laissant persister le mécanisme des prorogations de guerre, adoptées afin de « compenser » pour les auteurs les pertes subies du fait des difficultés d’exploitation de leurs oeuvres durant les deux guerres mondiales.

La Cour de Cassation en 2007 a eu l’occasion de supprimer ces prorogations, en estimant qu’elles avaient été « absorbées » par l’allongement du droit d’auteur à 70 ans. Mais elle les a laissées persister pour les oeuvres musicales, pour lesquelles la durée des droits était déjà de 70 ans après la mort de l’auteur au moment de l’adoption de la directive et pour les autres oeuvres, quand l’auteur est mort pour la France. Il en résulte actuellement un régime juridique byzantin et aberrant, en vertu duquel la durée de protection des oeuvres musicales peut se trouver augmentée de 14 ans et 272 jours. Non content de rendre le calcul de la durée des droits effroyablement complexe, ces règles profitent essentiellement à des oeuvres déjà rentabilisées depuis longtemps.

Le Boléro de Ravel se trouve par exemple dans cette situation. Composé en 1928 par Maurice Ravel disparu sans descendance, les droits sur cette oeuvre ont connu ensuite un destin qui résume à lui seul toutes les pathologies les plus graves du droit d’auteur. Alors que le frère de Ravel avait l’intention de faire don des droits à la ville de Paris afin d’organiser un prix Nobel de musique, ils furent finalement captés dans des circonstances douteuses par une infirmière lui ayant prodigé des soins, avant de faire l’objet pendant des années d’un invraisemblable feuilleton judiciaire impliquant un ancien responsable des affaires juridiques de la SACEM. En supprimant les prorogations de guerre, cette oeuvre majeure, ayant déjà généré des dizaines de millions de droits, serait soustraite à la prédation et rendue au domaine public auquel elle devrait appartenir depuis longtemps.

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Maurice Ravel 1925. Domaine public. Source : Wikimedia Commons.

Isabelle Attard préconise aussi de supprimer le « bonus » de 30 ans de protection du droit d’auteur accordé aux auteurs « morts pour la France ». Ce régime dérogatoire peut paraître généreux de prime abord. Mais il aboutit également aujourd’hui à des situations complètement aberrantes, qui sont à mille lieues de rendre hommage à la mémoire des auteurs disparus. A moins que la loi ne soit débarrassée de cet archaïsme, l’année 2015 en sera la triste illustration, puisque l’oeuvre d’Antoine de Saint-Exupéry accèdera au domaine public partout dans le monde… sauf en France ! Peut-on imaginer que Le Petit Prince rejoigne ainsi le patrimoine commun de l’Humanité, mais reste dans la patrie d’origine de son auteur aux mains de descendants ayant livré durant des années un triste spectacle en se déchirant en justice pour le contrôle des droits.

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Antoine de Saint-Exupéry à Toulouse. Domaine public. Source : Wikimedia Commons.

Sans modification de la loi, il faudra attendre en France 2032 avant que l’oeuvre de Saint-Exupéry ne rejoigne le domaine public, alors que l’amendement d’Isabelle Attard permettait que nous puissions fêter cette accession en France dès le 1er janvier 2015.

L’allongement des droits voisins de 50 à 70 ans est assurément une défaite pour tous les défenseurs des Communs de la Connaissance. Mais il n’y a pas de fatalité à cette tendance poussée par les maximalistes de la propriété intellectuelle en dépit du bon sens et contre l’intérêt général. Montrons que le domaine public peut être reconnu et que les droits exclusifs peuvent être réduits sans plus attendre ! Soutenons les amendements proposés par Isabelle Attard et rendons au domaine public le Petit Prince, le Boléro de Ravel et tant d’autres créations moins illustres attendant le domaine public pour renaître !

Vous pouvez agir pour qu’une telle évolution devienne réalité ! Ecrivez ou téléphonez aux membres de la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale en vue de l’examen du texte le mercredi 12 novembre !

Via un article de SavoirsCom1, publié le 11 novembre 2014

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