La consommation collaborative : éléments de définition et analyse (1) : Notre vision de la consommation collaborative.

Première partie d’un article repris du site de Collporterre

Depuis le mois d’avril 2013, Collporterreet Telecom Bretagne s’associent pour mener une recherche-action sur les dynamiques territoriales de la consommation collaborative en Bretagne (dyte2co). Soutenu par la Région Bretagne, ce projet d’une durée de 2 ans vise 3 objectifs :

  • Améliorer la compréhension de la consommation collaborative en Bretagne, en réalisant notamment un état des lieux des projets existants.
  • Identifier les enjeux, freins et leviers du développement de la consommation collaborative en Bretagne.
  • Favoriser l’appropriation sociale des dynamiques territoriales de la consommation collaborative en Bretagne.

Après une première année d’exercice, nous avons souhaité partager nos réflexions et analyses, notamment concernant l’aspect de caractérisation et de définition du mouvement.

Nous traiterons ainsi de ces deux aspects dans cet article, dont l’original est publié sur le site du projet :

  • Notre vision de la consommation collaborative.
  • Notre définition de la consommation collaborative.

(1) Notre vision de la consommation collaborative.

Une croissance exponentielle depuis quelques années

  • En trente mois, 350 Ruches se sont ouvertes en France, ce qui représente un réseau de plus de 2 500 producteurs et 50 000 consommateurs [Source : ]].
  • Et au cours des dix dernières années, plus de 1600 AMAP ont été créées en France, ce qui représente plus de 66 000 familles et près de 270 000 consommateurs [1].
  • La start up française Blablacar, qui propose un service web de co-voiturage, connaît une croissance de 135% depuis 2009 [2].

Depuis cinq ans, la consommation collaborative connaît une croissance exponentielle, tant du point de vu du nombre de projets initiés que des pratiques développées par les français. L’alimentation, le tourisme, la mobilité, le service, l’habitat, l’équipement, ce sont tous les secteurs de la consommation qui sont concernés.

Si cet essor est tiré par le succès de quelques plateformes web telles que Airbnb, Blablacar mais aussi Drivy, taskrabbit, Zilok, la consommation collaborative se développe aussi à travers des services non numérique. Les Services d’échanges locaux (SEL), les Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP), les réseaux d’échange de savoirs, les recycleries rencontrent également un vif intérêt en France. Le point commun a tous ces projets : la promotion des valeurs liées au partage.

La consommation collaborative s’inscrit ainsi dans des formes organisationnelles plurielles (réseau informel, association, entreprise sociale, start up) et prend racine dans deux dynamiques majoritairement déconnectées l’une de l’autre : l’économie numérique et l’économie sociale et solidaire.

Des pratiques anciennes revisitées par le numérique

Si ce mouvement est très récent, les logiques à l’œuvre ne sont pas nouvelles : le don, le troc et le partage ont toujours existé et participent du fonctionnement de notre économie, même si ce n’est que de façon marginale parfois. Historiquement, le troc a précédé l’échange monétaire. De nombreuses économies anciennes comme celle de l’Egypte des Pharaons reposait sur ce système d’échange et des peuples tels que les amérindiens l’utilisent toujours. En période de crise (Argentine à partir des années 90) ou de guerre, le troc redevient même un mode d’échange courant dans nos sociétés.

Cependant, le développement du numérique renouvelle ces logiques traditionnelles de l’échange. Le système pair-à-pair, en permettant à plusieurs ordinateurs de communiquer et de partager a rendu possible l’échange de biens, de services, de compétences entre un grand nombre d’utilisateurs connectés. Il est désormais possible d’accéder à des biens ou à des services sans les posséder ; chacun pouvant devenir fournisseur de services, tel que le décrivait J. Rifkin [3]. Ainsi, le Web 2.0, en favorisant l’accès à l’information et aux savoirs, rend-il les acheteurs mieux à même d’intervenir dans les circuits de distribution des produits, voire dans les processus de production, face aux producteurs et aux vendeurs. Le tout facilité par des fonctionnalités ou des services tels que la géolocalisation, l’instantanéité des données et des communications, augmentation de la capacité potentielle de vendeurs et d’acheteurs.

L’outil numérique a donc porté et amplifié ce phénomène de la consommation collaborative. Comme le démontre une étude réalisée en 2011 par le cabinet Latitude pour le magazine Shareable, l’échange « en ligne » est souvent un moyen pour passer à l’échange « hors ligne » : après la première expérience « online » réalisée, les réflexes de partage s’installent très rapidement [STU11]. Pour autant, ces échanges de biens et de services ne peuvent se réaliser sans une réelle confiance entre les acteurs de l’échange, qui peuvent ne jamais se rencontrer, comme le montre une récente étude de J. Piclin [4]. Cette confiance s’instaure par l’entremise des systèmes de réputation mis en place par les sites de consommation collaborative (notation, feed-back, système de sanction, etc.), lesquels définissent des formes de comportements que l’on a souvent tendance à décrire sous les termes de « bonnes » et de « mauvaises » pratiques.

Des changements de comportement

Si cette révolution technologique a permis le développement de nouvelles pratiques de consommation, le contexte de crise économique et financière, mais aussi environnementale et alimentaire, auquel notre société est confrontée a certainement accéléré ce phénomène. Cette nouvelle façon de penser la consommation s’exprime à travers une demande croissante de produits offrant une satisfaction personnelle plutôt que du signe et du prestige, des produits durables dans le temps plutôt que jetables, mais aussi des produits utiles et partagés, plutôt que des produits possédés.

Pascale Hébel, directrice du département consommation du CREDOC, explique ce phénomène : « Par rapport à la crise qu’a connue la France en 1993, les arbitrages ne sont plus les mêmes qu’il y a vingt ans : les biens de consommation durables (automobile, électronique...) et les loisirs avaient été les plus touchés. Aujourd’hui, outre la voiture, ce sont surtout les postes de base qui sont affectés - principalement l’alimentation et l’habillement. Il est clair que les plus jeunes, notamment, privilégient les loisirs au détriment du poste alimentaire, qui est vu comme une variable assez simple à ajuster : il suffit par exemple de remplacer la viande par les œufs » [5].

De plus, le rapport à la consommation évolue : en 2009, 45% des Français associent le fait de consommer à une nécessité plutôt qu’à un plaisir, contre seulement 29% des Français en 1993. On peut cependant se poser la question de ce que recouvre le terme « nécessité » : une nécessité physiologique ? Sociale ? Matérielle ? Une nécessité d’ordre social (par exemple, posséder un téléphone portable) renverrait au besoin de réalisation de soi, dans une société où « la consommation devient alors un outil au service de l’individu, lui permettant moins de définir son nouveau projet de vie que de le réaliser et le faire reconnaître à autrui » [HEBEL Pascale et al. (2009), Le consommateur va-t-il changer durablement de comportement avec la crise ? Cahier de recherche n°268, CREDOC, Décembre 2009]. L’utilisation de la consommation à cette fin revient à donner plus de sens à l’action des consommateurs.

Le consommateur aborde en effet une nouvelle phase « tournée vers la valorisation de soi qui s’exprimera selon les sensibilités de chacun par de la consommation durable, éthique, solidaire, locale, en priorité dans le secteur du loisir ou encore de la virtualité » [6].

En résumé, les principales tendances observées depuis le début de la crise de 2008, au sujet des besoins des consommateurs sont :

  • Recherche des bas prix ;
  • Retour vers les fondamentaux et la simplicité ;
  • Recherche de sens en période de remise en question de l’hyperconsommation ;
  • Retour vers du plaisir accessible.

Cela représente selon ces auteurs, un mouvement exponentiel et généralisé.

Vers une société collaborative ?

Au-delà de notre rapport à la consommation, les valeurs de partage, de transparence, de coopération que nous retrouvons dans le web social (ou web 2.0), infiltrent aujourd’hui notre économie, mais aussi nos façons de voir et d’agir sur le monde. Monnaies complémentaires, cours massivement en ligne (MOOC), service d’autopartage, espaces de travail partagés, financements participatifs ou crowfounding, ces quelques exemples illustrent le fait que de plus en plus de pratiques de partage se diffusent dans les différentes sphères de notre société, questionnant notre rapport à l’économie mais aussi aux autres, à la culture, à l’environnement et surtout au territoire.

Le développement de la consommation collaborative s’adosse ainsi à la culture du web 2.0. Plus horizontale, moins hiérarchique, ce fonctionnement en réseau favorise le pouvoir d’agir individuel, encourage le « do it yourself » et valorise le partage. Les dynamiques en réseaux inspirées d’Internet infiltrent nos manières de faire société et constituent par là-même un terreau favorable au développement d’une société collaborative.

L’adresse originale de cet article est http://www.pratiques-collaboratives...

[2Source : site Internet « you make me share », consulté le 20 juin 2014 °°.

[3RIFKIN J. (2012), « La troisième révolution industrielle : comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde », Mayenne, Editions Les Liens qui libèrent.

[4PiCLINJ. (2012), « Le rôle de la confiance ans l’économie du partage », Mémoire de recherches appliquées, Groupe Sup de Co-Amiens/Picardie

[5DUTHEIL Christophe et GREIJTER Myriam (2012), « Consommer autrement » in MAIF magazine 160 / octobre 2012

[6HEBEL Pascale et al. (2009), Le consommateur va-t-il changer durablement de comportement avec la crise ? Cahier de recherche n°268, CREDOC, Décembre 2009

Via un article de Briand, publié le 10 août 2014

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