Notre analyse du projet de loi sur les oeuvres orphelines

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A. D’Ennery & Cormon, Les Deux Orphelines. Paris : Tresse, Éditeur, Eugène Fasquelle, Éditeur, 11, rue de Grenelle, 11, 1875. | …
(618 × 950 (123 Kio)) – 6 avril 2012 à 08:27

Notre collectif a été auditionné par le CSPLA dans le cadre de l’élaboration du texte législatif visant à transposer la directive 2012/28/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 sur certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines Nous avons reçu l’avant projet de loi et les avant-projets de décret et d’arrêté d’application de ce texte législatif, qui ont également été publiés par Next INpact.

Voici notre analyse vous pouvez télécharger ici amendements svc1 orphelines

Points positifs :
Les usages prévus comportent bien la mise en ligne sur Internet, sans restriction de type DRM ou contrôle d’accès. La loi dit exactement : « Mettre à la disposition du public une œuvre orpheline de manière que chacun puisse y avoir accès de sa propre initiative ». Cette formulation implique la mise en ligne à notre sens sans mesure de protection technique. Mais afin de clarifier ce point dans le texte SavoirsCom1 a proposé un amendement pour lever toute ambiguïté.
Les titulaires de droits qui réapparaissent peuvent bien autoriser s’ils le souhaitent, l’utilisation de l’oeuvre par institution culturelle.
- Alors que la directive écarte de son champ d’application les photos et images fixes, la loi les inclut « à l’exception des photos et images fixes qui existent de manière indépendante ». Cela signifie par exemple qu’un tableau servant d’illustration dans un livre ne serait pas couvert, mais une image produite spécifiquement pour un livre pourrait l’être. Il était difficile d’aller plus loin puisque le verrou est dans la directive. Mais en l’état la formulation devrait être précisée, car elle paraît difficile à appliquer.
- Le dispositif de la directive n’est pas neutralisé par la loi sur les livres indisponibles. Les deux voies vont co-exister. Une bibliothèque peut soit faire la démarche d’établir qu’un livre est orphelin et ensuite numériser et mettre en ligne, en assumant le fait de devoir payer si le titulaire réapparaît. Soit elle attend 10 ans et elle peut demander une autorisation à la SOFIA pour une mise en ligne seulement sur extranet, mais sans avoir à payer si le titulaire se manifeste. L’exception votée au niveau européen n’est pas neutralisée par la gestion collective française. En l’état SavoirsCom1 trouve que cette coexistence est positive, même si un déséquilibre trop fort existe entre les deux dispositifs (voir ci-dessous).
- Quand on ne peut déterminer la date de décès des auteurs, alors le régime des oeuvres anonymes s’applique, c’est-à-dire que la durée des droits sera seulement de 70 ans après la publication au lieu de 70 ans après la mort de l’auteurt. Le collectif avait suggéré au CSPLA ce mécanisme et se félicite de voir cette proposition retenue dans le texte.
- Le résultat des recherches diligentes est mutualisé au niveau européen, par le biais d’une base de données tenue par l’Office européen de l’harmonisation du marché intérieur. Quand une œuvre a déjà été établie comme orpheline, les institutions culturelles n’ont pas à refaire les recherches.
- Les titulaires de droits pour se retirer doivent remplir des formalités qui ressemblent à celles du registre ReLIRE : produire une pièce identité pour l’auteur, mais un acte de notoriété pour les descendants. Les éditeurs par contre doivent prouver qu’ils détiennent bien les droits sur l’oeuvre et en ce qui concerne les droits numériques, il leur faudra produire un contrat d’édition mentionnant clairement les droits numériques.
- La réutilisation de l’oeuvre est autorisée, si l’œuvre est partiellement orpheline et que les ayants droits des parties non orphelines l’autorisent (l’article L 135-5) : le projet de texte retient la définition française de l’orpheline, et non la définition européenne, plus restrictive.
Points négatifs :
En cas de réapparition d’un titulaire de droits, il a droit à une « une compensation équitable du préjudice que celui-ci a subi du fait de cette utilisation. »Cette compensation tient compte, lorsqu’ils existent, des accords ou tarifs en vigueur dans les secteurs professionnels concernés. » La négociation se fait entièrement entre ce titulaire et l’établissement culturel. L’usage gratuit en ligne est vu comme un préjudice à compenser. Les tarifs peuvent être encadrés par des sociétés de gestion collective, qui seront les seules à les établir. Nous regrettons que l’élaboration de ces tarifs ne puisse pas être partagée avec les représentants des publics et nous appelons à la plus grande prudence sur les montant retenus qui sont susceptible de vider de son sens l’ensemble du dispositif s’ils venaient à être dissuasifs pour les établissements culturels. Si un conflit existe entre l’établissement et le titulaire sur le montant, l’établissement ne peut que proposer une conciliation.
Plus largement, nous regrettons que la logique de la compensation figure dans le texte. Elle relève d’une conception maximaliste du droit d’auteur selon laquelle tout accès en ligne gratuit est un préjudice pour l’auteur et ou ses ayant-droits. A rebours de cette conception, il faut considérer que c’est le dispositif mis en œuvre au niveau européen qui est une occasion (inespérée) pour des auteurs ou des ayant-droits d’avoir à leur disposition des contenus numérisés par la puissance publique au nom de l’intérêt public pour lesquels ils peuvent recouvrer des droits. Il n’y a donc pas de préjudice mais au contraire un effort considérable consenti par les Etats via les services publics d’accès à la connaissance que sont les bibliothèques et établissements culturels. L’idée d’une exploitation commerciale ou même d’une simple exploitation comprise comme un préjudice devant être compensé va à l’encontre des missions des organismes culturels rappelés dans les considérants de la directive.
L’économie générale du texte du fait des contraintes pesant sur les bénéficiaires, entre en contradiction avec la volonté du projet de transposition de ménager de manière équitable deux voies : RELIRE et l’application de la directive. Si les deux voies sont réellement placées sur un pied d’égalité, les freins ne doivent pas être plus importants pour une voie que pour l’autre.
- les recherches diligentes restent lourdes à effectuer. C’est le gros défaut de ce texte. L’arrêté qui précise les sources à consulter ne fait que reprendre le texte de la directive, sans apporter de précisions quant aux sources à consulter. Cette charge repose entièrement sur les établissements qui doivent consulter toutes ces sources et établir un dossier prouvant la consultation. Le caractère indéfini des sources de recherche mentionné au décret 135-1 : « Les recherches doivent en outre être effectuées auprès des sources similaires existant dans des Etats n’appartenant pas à l’Union européenne lorsqu’il résulte de celles effectuées en application des alinéas précédents que des informations pertinentes sur les titulaires de droits sont susceptibles d’y être disponibles » constitue une insécurité juridique très grande pour les établissements, là encore susceptible de vider de son sens l’intérêt d’entrer dans le dispositif au niveau des établissements concernés. Rien ne garantit en outre la gratuité de ces recherche pour les établissements publics, ni de la base européenne qui répertorie les oeuvres orphelines. SavoirsCom1 a proposé des amendements pour remédier à cette situation, notamment pour exiger que la consultation des sources listées soit gratuite pour les organismes bénéficiaires à but non lucratif.
- Nous regrettons que la mise en place d’un tiers de confiance pour valider juridiquement ces recherches n’ait pas été retenue.
- Par ailleurs, à l’heure où le Sénat vient de remettre un rapport ambitieux et imparfait sur l’ouverture des données publiques, nous regrettons que rien dans le projet ne mentionne l’ouverture des métadonnées de la base européenne mentionnée dans le texte ni celle des bases des société de gestion des droits. SavoirsCom1 a proposé un amendement pour résoudre ce problème.
- La mention figurant à l’article L. 135-6 2° « Reproduire cette œuvre à des fins de numérisation, de mise à disposition, d’indexation, de catalogage, de préservation ou de restauration. » nous semble ambivalente, car s’il est nécessaire de pouvoir indexer et de développer des usages de text et data mining, il n’est pas nécessaire normalement d’une autorisation légale pour procéder à des opérations comme le catalogage des oeuvres. Une telle mention étendrait de facto les actes soumis à l’emprise du droit d’auteur dans une conception particulièrement maximaliste.
- Enfin SavoirsCom1 regrette qu’à l’heure où tous les rapports et les politiques menées par ETATLAB vont dans le sens d’une suppression des redevances pour l’accès aux données, cette logique soit mentionnée dans le texte : « Lorsqu’un organisme bénéficiaire met à la charge des usagers une participation financière, le montant de celle-ci ne peut excéder celui des frais de numérisation et de mise à disposition de l’œuvre orpheline. » SavoirsCom1 demande que les coûts ne portent que sur les services et ne soient en aucun cas des redevances pour l’accès aux données.

Via un article de SavoirsCom1, publié le 20 juin 2014

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