Pour une TVA différenciée sur le livre numérique, au delà du bibliocentrisme !

T V ASavoirsCom1, Framasoft, April, Vecam et La Quadrature du Net et l’ABF et moi soutenons l’idée suivante :

Actuellement, tous les livres, quel que soit leur support, sont soumis à un taux de TVA réduit (5,5%). Les députés proposaient de faire la distinction entre les livres dont l’acheteur a la pleine propriété, c’est-à-dire les livres sans DRM et dans un format ouvert, où l’utilisateur dispose des mêmes droits que pour les livres papiers (possibilité de les prêter, de les lire autant de fois qu’il le souhaite, de les lire partout, …), et les livres pour lesquels les consommateurs n’ont que des droits limités. Seuls les premiers seraient considérés comme des livres à part entière et pourraient donc bénéficier de la TVA à taux réduit. Les livres numériques verrouillés se verraient appliquer le taux en vigueur pour les services (19,6%).

Le texte de l’amendement n° 22 :

I. – Le 3° du A de l’article 278-0 bis du code général des impôts est complété par les mots suivants : « sauf si le ou les fichiers comportent des mesures techniques de protection, au sens de l’article L331-5 du code de la propriété intellectuelle ou s’il ne sont pas dans un format de données ouvert, au sens de l’article 4 de la Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. »

II. – Le présent article s’applique à compter du 1er janvier 2015.

Cet amendement a d’abord été adopté par l’Assemblée nationale en séance publique le jeudi 14 novembre 2013 avant d’être supprimé le lendemain par un amendement du gouvernement. Le gouvernement a utilisé comme argument un supposé risque juridique pour masquer une absence de volonté politique de lutter contre les systèmes qui enferment les utilisateurs et les rendent captifs. L’argument étant que l’amendement des Verts risquerait de fragiliser la négociation que mène la France auprès de la Commission européenne pour généraliser le taux réduit de TVA à tous les livres numériques. La députée Isabelle Attard a par la suite publié une réponse montrant qu’au contraire, cette proposition de TVA différenciée peut ouvrir une piste de conciliation avec la Commission.

Je pense qu’il est particulièrement important de soutenir cette initiative qui, par un dispositif simple et efficace, va dans le sens des droits des lecteurs.

La location d’accès est bien concernée puisque le projet est ainsi rédigé :

« La taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux réduit de 5,5 % en ce qui concerne : (…)

3° Les livres, y compris leur location. Le présent 3° s’applique aux livres sur tout type de support physique, y compris ceux fournis par téléchargement sauf si le ou les fichiers comportent des mesures techniques de protection, au sens de l’article L. 331-5 du code de la propriété intellectuelle ou s’il ne sont pas dans un format de données ouvert, au sens de l’article 4 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. »

J’ai été étonné d’entendre certains professionnels s’opposer à cette mesure au nom des problèmes qu’elle pourrait poser dans le monde des bibliothèques. Par exemple dans cette tribune libre parue sur Idboox

J’ai d’abord été ravie que cet amendement du député Attard ait été déposé et voté par les députés. J’ai ensuite été choquée que le gouvernement le supprime en « catimini devant un hémicycle quasi vide ». Puis, je me suis posée pour y réfléchir. Même si le texte ne parle pas explicitement des bibliothèques et des modèles de lecture en streaming, le sujet est implicite.
Je m’explique, nous les bibliothécaires convaincus que les livres numériques doivent être proposés à nos usagers en bibliothèques avons déjà grand mal à être acceptés par les éditeurs.

Une TVA à 20% pour les bibliothèques ?

Par ailleurs, les modèles de lecture en streaming comme le français Youboox ou Izneo pourraient aussi être mis en danger si une telle loi était votée. Eux aussi ont des modèles assimilables à une licence d’utilisation. En effet, Madame Attard vise les géants comme Amazon mais quid dans ce cas, de la TVA pour les bibliothèques et autres acteurs ? Devrons-nous payer une TVA à 20% ou 21% comme dans certains pays pour proposer du contenu numérique à nos abonnés ?
Non, ceci est hors de question ! Le vrai souci et c’est là que le gouvernement pourrait récupérer de l’argent, c’est que les vrais géants, Amazon, Apple et consorts devraient payer leurs impôts et on pourrait faire entrer des millions dans caisses de l’Etat !
Qu’on arrête de trouver des rustines et que l’on s’attaque aux vrais problèmes !

Je suis le premier à défendre des modèles d’accès qui n’obligent pas à la reconstitution des collections comme je l’avais expliqué longuement dans ce billet. Il est clair que la location de licence est une voie à explorer dans certaines conditions. Mais de là à refuser une mesure destinée au marché global du livre numérique au nom des conséquences sur les bibliothèques il y a un pas que je ne franchirai pas. Cette position me semble un symptôme d’une maladie très fréquente que je qualifie de bibliocentrisme aiguë, maladie très néfaste qui fait passer les intérêts institutionnels des bibliothèques avant ceux pour lesquels cette mesure est conçue : pour les lecteurs ! C’est cette même maladie qui fait que le « prêt numérique » est facilement vendable à des bibliothécaires infectés par le bibliocentrisme.

Pour Youboox et Iznéo, ils ont explicitement choisi de devenir des Spotify du livre numérique, ce n’est pas négatif en soi, mais ce n’est pas de la vente de livres ou de BD mais de la location d’accès. Il est juste de dire qu’ils ne vendent pas des livres numériques mais bien des accès, tout comme Spotify ne vend pas des Mp3.

Au contraire, je pense que pour les bibliothèques une telle mesure nous permettrait d’appuyer des négociations en faveur de l’achat pérenne de livres numériques pour les bibliothèques patrimoniales ou celle qui souhaitent reconstituer des collections de livres numériques, sans rien changer à la situation actuelle pour laquelle nous payons déjà une TVA à 19,6% sur des abonnements…

Saluons tout particulièrement l’ABF qui par son communiqué montre que la principale association de bibliothécaires en France soutien la mobilisation autour de cette TVA différenciée pour le livre numérique.

Bref, il faut se méfier du bibliocentrisme, et il est encore temps de soutenir la mobilisation visant à demander au Sénat de déposer et de voter cet amendement ! Toutes les informations dans ce billet.

N’oubliez pas de signer la pétition !

 

 

Via un article de Silvère Mercier, publié le 27 novembre 2013

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