Données personnelles : non, le réglement n’est pas un danger

Erasing History | Truthout | CC by-nc-sa | Flickr

En janvier 2012, la Commission européenne a émis un projet de règlement visant à harmoniser les législations nationales sur les données personnelles.

Or, depuis quelques semaines, l’Association des archivistes français (AAF) a mis en ligne une pétition dénonçant ce texte et appelant les citoyens à s’opposer à ce projet de règlement.

Selon l’AAF, en effet, l’Union européenne s’apprêterait, au nom du droit à l’oubli, à interdire la conservation des données personnelles dans un but historique. Une telle disposition serait bien entendu une catastrophe pour le patrimoine culturel européen. Sa principale conséquence serait de mettre en place une amnésie collective, rendant impossible la quasi totalité des recherches historiques.

Un tel constat ne pouvait qu’inquiéter les archivistes, les usagers des services d’archives et, au-delà, les citoyens dans leur ensemble. La pétition a ainsi rencontré un succès considérable, recueillant, à l’heure où nous rédigeons ces lignes, plus de 37.000 signatures.

SavoirCom1 ne peut cependant soutenir cette pétition car l’AAF se trompe. Contrairement à ce que l’association indique dans le titre même de sa campagne, le projet de règlement européen ne suggère aucunement la destruction des données personnelles. Au contraire.

Ainsi, dès le considérant 53 (pages 28-29), le texte du projet prévoit bien les possibilités de conservation :

« Toutefois, la conservation des données devrait être autorisée lorsqu’elle est nécessaire à des fins statistiques ou de recherche historique ou scientifique, pour des motifs d’intérêt général dans le domaine de la santé publique, ou à l’exercice du droit à la liberté d’expression, si elle est requise par la loi ou s’il existe une raison de limiter le traitement des données au lieu de les effacer. »

Le projet précise donc bien que le droit à l’oubli ne saurait primer sur les exigences de la recherche historique.

L’article 83 (page 105) est même entièrement consacré aux « Traitements de données à des fins de recherche historique, statistique et scientifique », précisant le cadre général dans lequel ceux-ci peuvent avoir lieu.

Redisons-le, contrairement à ce que prétend l’AAF, le projet de règlement européen n’est en aucun cas une menace pour la mémoire des citoyens. Au contraire, s’il était adopté en l’état, il constituerait un excellent cadre de travail pour les archivistes et leur permettrait de mener à bien leur mission de constitution et de préservation du patrimoine en toute sérénité.

Que s’est-il donc passé ? Comment l’AAF a-t-elle pu se tromper de la sorte, entraînant avec elle les 37.000 signataires de la pétition et les divers organismes qui la soutiennent, dont rien moins que l’ICA, le Conseil international des archives ?

En réalité, l’AAF s’est tout simplement trompée de texte. Ni plus, ni moins.

En effet, en janvier 2013, la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures a rendu un rapport, connu comme le « rapport Albrecht« , du nom de son rédacteur. Ce texte est une série de propositions d’amendements au projet de réglement. Ces amendements, eux, sont bien porteurs de tout ce qui suscite les inquiétudes des archivistes. Toute mention de la nécessité de préservation à des fins de recherche a systématiquement été enlevée par le rapporteur.

Mais ce rapport n’est pas le règlement. Pas plus qu’il n’en constitue une nouvelle version. Il ne s’agit, nous l’avons dit, que d’une série de propositions faites par un rapporteur.

Bien entendu, cela n’en rend pas la teneur plus acceptable. Les amendements proposés par le rapport Albrecht doivent être combattus avec force. Ils doivent être combattus parce qu’ils vident le projet de réglement de son sens.

Mais en appelant les citoyens à rejeter le réglement lui-même, l’AAF se tire une balle dans le pied. Elle a appelé à combattre ce qu’elle aurait dû chercher à protéger à tout prix : c’est une erreur stratégique.

Ce n’est hélas pas la seule erreur. Dans le texte de la pétition, l’AAF indique en effet que l’amendement 83 du rapport Albrecht serait le principal porteur des menaces annoncées. Mais une simple lecture du rapport permet de découvrir que cet amendement (p. 68) traite de la territorialité du règlement. Son périmètre géographique. Rien d’autre. En réalité, l’AAF voulait cette fois-ci parler des amendements à l’article 83 qui se trouvent à la fin du rapport (pages 212-216).

L’AAF a confondu le numéro des amendements avec celui des articles auxquels ils se rapportent.

Que de graves erreurs pour une pétition aussi importante !

Les propositions du rapport Albrecht représentent un danger pour notre patrimoine. Elles doivent être combattues. Il convient pour cela de tout faire pour sauver le projet de réglement tel qu’il est actuellement rédigé.

Les erreurs d’analyse commises par l’AAF ne peuvent que desservir son initiative et ses signataires.

Pour cette raison, Savoirs Com1 ne peut pas soutenir cette initiative.

 

Via un article de navarrojordi, publié le 7 avril 2013

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