C’est un immense plaisir de m’adresser à vous, dans ce colloque organisé par l’AVICCA sur
les réseaux d’initiative publique.
Les infrastructures de très haut débit constituent un élément déterminant de la capacité de la
France à répondre aux enjeux de demain. Il s’agit d’un défi équivalent à celui de
l’électrification de notre pays au début du 20ème siècle. Pas seulement parce qu’il emporte
des conséquences importantes pour le modèle économique de grands opérateurs. Pas
seulement parce que les réseaux sont un levier pour le développement économique de nos
entreprises, et partant, de nos territoires. Mais bien parce que les usages du numérique, et
on l’a entendu dans les interventions qui viennent de se terminer, sont en train de
bouleverser en profondeur notre société.
Songeons quelques instants aux usages connus qui sont en train de se développer, qui
s’accroissent tellement vite qu’on oublie à quel point ils ont changé notre vie : des réseaux
intelligents qui permettent la maîtrise des consommations d’eau ou d’énergie, le
développement de nouvelles mobilités et l’essor du télétravail qui révolutionnent les
transports et bouleversent notre rapport à l’espace tout simplement, l’émergence de l’esanté,
la généralisation de l’accès au savoir, au travers de projets de circulation des idées
comme l’université numérique, le bouleversement en profondeur de l’accès à la culture, tous
ces nouveaux usages chamboulent nos façons de consommer, de produire, d’habiter,
d’échanger, dans des proportions que nous n’avons sans doute pas encore bien identifiées.
Songeons aussi à ces nouvelles formes de citoyenneté, de participation, voire de solidarité
que porte la communauté des internautes et les réseaux sociaux qui abolissent les frontières
et les distances, ou qui créent aussi de nouvelles relations et de nouvelles capacités à nouer
des relations. Ils portent avec le logiciel libre, l’open data, les formats ouverts, un modèle de
société revivifié, auquel je suis particulièrement attentive.
Le numérique, c’est une certitude, est en train de révolutionner, sans le vouloir vraiment et
sans que l’on s’en rende compte, nos vies. Ce progrès doit être partagé par tous. Cette
évidence n’en est pas une, vous le savez ici mieux que d’autres. C’est un combat. Il est si
facile de réserver le bénéfice du progrès aux territoires les plus denses que les opérateurs
équipent spontanément.
C’est difficile qu’elles couvrent aussi les autres territoires parce que sans doute l’abandon de
l’idée d’aménagement du territoire a laissé croire que des pôles d’attractivité plus importants
aller tirer les territoires plus en difficulté, voire que des mesures de compensation seraient
suffisantes.
Alors même que je pense que doit être au coeur de nos missions, au coeur de la
responsabilité de l’Etat, celle de l’Egalité des territoires, Une lutte résolue contre la fracture
numérique. Je veux que toutes les Françaises, que tous les Français, conformément à
l’engagement du président de la République, puissent avoir accès au très haut débit d’ici dix
ans. Et donc aux services que je viens d’évoquer. Ca n’est pas un sujet technique, c’est un
sujet de vie en collectivité, c’est un sujet de société tout simplement, c’est un sujet d’égalité
au sens noble du terme. Nous devons absolument faire sortir ce débat : l’aménagement
numérique n’est pas qu’un sujet technique, un sujet d’opérateurs ou de quelques élus
spécialisés, c’est un des sujets majeurs de la question de l’aménagement du territoire, c’est
un des sujet cruciaux en matière d’égalité, puisque ces nouveaux usages peuvent très vite
aggraver la fracture numérique, puisqu’ils nécessitent des besoins en débit de plus en plus
importants, et donc l’écart entre territoires pourrait se creuser très rapidement et entacher
ces nouveaux usages notamment en terme d’utilisation de l’espace, de parcours de vie, de
capacités professionnelles des uns et des autres.
Vous savez très bien, On n’achète plus un logement si aucun accès au numérique n’est
possible. L’accès à la connexion est devenue, vous le savez tous, une question politique
majeure. Considérons le comme un droit social comme les autres, qui permet tous les
autres : le droit à l’éducation, à la culture, l’accès à des services chaque jour plus variés.
C’est pourquoi je cultive un intérêt quotidien pour la question de l’aménagement numérique
du territoire. J’entends en effet mettre sur le secteur qui est le mien mais de manière
déterminée tout mon poids politique à résoudre les problèmes qui sont ceux des habitants et
ceux des collectivités territoriales, en ne rentrant pas dans un débat technique entre les
opérateurs, vous le savez Fleur Pellerin, qui je le crois était présente hier, est pleinement en
charge de cette question. Néanmoins je vous le dis, cette question d’aménagement
numérique n’est pas une question de tuyaux, mais une question d’égalité entre les habitants,
d’égalité citoyenne tout simplement.
Depuis dix ans, l’État a souvent été le grand absent de la couverture numérique du territoire.
Les collectivités, et parfois celles qui étaient le plus en difficulté, ont été laissées seules face
à l’urgence des zones blanches téléphoniques.
Aujourd’hui, elles demeurent les moteurs des cent projets qui fleurissent un peu partout pour
répondre aux besoins des usagers.
Depuis mon arrivée en fonction, je consulte beaucoup, j’écoute beaucoup. Les avis sont
nombreux. Ils sont divers. Ils cachent parfois, sous les dehors de l’intérêt général, l’intérêt
particulier, voire l’intérêt bien compris. Mais je crois qu’il faut en être conscient, ce n’est pas
grave, c’est même en général les règles de l’existence en société, mais l’Etat doit prendre
dans ce cadre toutes ses responsabilités.
Je crois qu’il est temps en cette fin d’octobre d’esquisser devant vous les scénarios entre
lesquels l’Etat devra choisir. Je distingue, pour ma part, au travers des échanges que j’ai eus
avec les uns et les autres, cinq scénarios sur lesquels je n’ai pas d’opinion préconçue, j’ai un
avis c’est certain mais je souhaite que le scénario qui soit mis en oeuvre soit celui qui
permette d’avancer le plus rapidement possible et d’atteindre les objectifs que je viens
d’énoncer.
Le premier scénario est bien-sûr celui du fil de l’eau et de la poursuite à l’identique de la
politique du précédent gouvernement. Soyons clair, cette politique ne marche pas. Les
problèmes ne sont pas réglés. Si chacun d’entre vous a une idée pour faire évoluer le
système, c’est que le statu quo n’est pas acceptable.
Le deuxième scénario est celui d’un opérateur privé unique. Je n’y crois guère. Ce n’est pas
ma conception de la politique au service des Français que de favoriser les logiques de cartel.
Et je ne suis pas sûre que ce scénario garantisse l’accès de tous au très haut débit dans les
zones qui ont besoin d’initiative publique.
Le troisième scénario est celui de la mise en place d’un opérateur public unique pour
déployer l’infrastructure, en laissant l’accès ouvert aux opérateurs. C’est le scénario qui a
existé, j’ai parlé de l’électrification tout à l’heure, et c’est sans doute la référence à laquelle
on a envie de s’attacher. Peut-être, si nous étions quelques années en arrière, ce scénario
aurait sans doute été l’idéal. Il pose aujourd’hui des questions nouvelles. Que faire des
infrastructures existantes ? Faut-il exproprier les opérateurs ? Dans quel délai pouvons-nous
basculer vers cette solution alors que la fracture numérique gagne et que le temps est
compté ? Lorsque le gouvernement précédent a décidé de ne pas créer cet opérateur, les
Français ont sans doute été spoliés d’un service public universel essentiel et de revenus
pour l’entretien de la puissance publique. Mais je crois qu’il faut pouvoir dire que ce moment là
est passé. Nous en discuterons mais nous devrons bien composer, d’une manière ou
d’une autre, avec les occasions perdues, et la réalité qui est la notre aujourd’hui.
Le quatrième scénario consiste à essayer de lever des fonds privés vers des opérateurs de
gros organisés par la puissance publique, par plaque territoriale, en priorité sur les territoires
qui ne sont pas équipés et où l’initiative privée est défaillante, mais peut-être au-delà, nous
verrons.
Enfin, le cinquième scénario consiste à partir des énergies locales, à définir nationalement
un déploiement par défaut et à permettre à chaque collectivité d’accélérer son propre
déploiement en bénéficiant de la solidarité nationale et à la condition qu’après la mise en
service, le patrimoine soit transféré vers une unité de gestion plus grande pour l’exploiter à
long terme.
Pour choisir entre ces scénarios, entre lesquels le Gouvernement n’a pas encore arrêté son
choix, mais vous aurez peut-être entendu un avis légèrement éclairé sur les uns ou les
autres, il faut néanmoins décider de critères. Je revendique que la décision entre ces
scénarios soit une décision assumée, claire, posée, que tout n’est pas dans tout, que la
situation est complexe et qu’il n’y a rien d’idéal dans la situation dans laquelle nous nous
trouvons. Il est utile de poser ces critères pour pouvoir prendre une décision la plus éclairée
possible.
Le premier critère est celui de la vitesse. Je veux pouvoir répondre à temps aux impatiences
légitimes de ceux qui aujourd’hui ne bénéficient pas de services nécessaires, aux besoins
des agriculteurs qui ne peuvent remplir leurs formulaires pour la PAC, aux besoins des
élèves qu’il faut accompagner vers la société numérique, aux besoins des habitants qui n’ont
pas tous accès à une offre triple play. Plus nous attendons, plus la question de la vitesse et
de la fracture est importante. Je veux donc que l’Etat agisse pour répondre à l’urgence qui
est celle de la fracture numérique.
Le deuxième critère, ne nous cachons pas derrière nos difficultés, est celui du coût pour la
puissance publique. La France affronte une crise majeure et les deniers publics sont
comptés. L’objectif du Président de la République, qui est celui du redressement des
finances publiques, est un facteur essentiel à prendre en compte. C’est notre responsabilité.
Le troisième critère est celui de l’efficacité de la décision publique, de son adéquation aux
besoins de chacun des territoires, de chacun des habitants. Je crois aujourd’hui qu’une des
urgences essentielles est de sécuriser les acteurs publics qui interviennent déjà. Les
sécuriser à la fois d’un point de vue technique, en s’assurant que les solutions utilisées
seront bien exploitables par les opérateurs, que les mutualisations entre acteurs publics
seront possibles pour faire face au pouvoir de marché des opérateurs et les sécuriser d’un
point de vue financier, en veillant à ce que le très haut débit demeure finançable et que la
solidarité nationale fonctionne.
Enfin, la réflexion sur le rôle des opérateurs est essentielle. Ils doivent être des partenaires,
dans un univers dans lequel ce droit à l’accès au très haut débit vaut d’autres droits. On ne
peut pas rester dans une logique de marché classique. C’est un bien, si ce n’est de première
nécessité, de nécessité très forte. Et il est normal que la puissance publique joue son rôle de
régulateur dans ce domaine.
En février de l’année prochaine, aura lieu un séminaire gouvernemental sur le numérique.
D’ici là, le Gouvernement aura répondu à notre question, celle de l’aménagement numérique
des territoires, qui est une question d’abord d’égalité des territoires.
Dans l’intervalle,
j’engage mes services à se trouver à vos côtés pour répondre à vos demandes d’appui, je
m’engage à travailler avec vous à trouver une solution rapide pour permettre l’accès au très
haut débit. Il est désormais urgent de mettre en place toutes les mesures qui permettent de
libérer les énergies des acteurs prêts à investir et à s’investir, sous peine de voir la fracture
numérique s’accroître.
Voilà ce que je voulais vous dire ce matin. A la fois un objectif fort du Gouvernement, une
volonté sans faille, une clarification des pros du débat, et contres aussi avec peut-être un
certain nombre de désaccord avec les uns ou avec les autres, mais la nécessité et la volonté
d’avancer vite, de manière déterminée et de manière pérenne pour répondre à ce qui sera
considéré dans quelques années comme un droit fondamental de tous.
Je vous remercie chacune et chacun de votre engagement, de votre détermination. Vous
pouvez réciproquement compter sur celle du Gouvernement. Merci.