Animacoop 6, Brest - Développer durablement nos territoires par la collaboration : comment faire ?

(2) Collaboration et développement durable, vers une transition sociétale

Cet article est une production collective [1] réalisée dans le cadre de la formation Animacoop 2012, dédiée aux porteurs de projets collaboratifs. Il est le fruit de l’état actuel de nos réflexions et appelle à être enrichi dans le temps.

L’objectif de cet article est de mieux comprendre comment les pratiques collaboratives favorisent un développement durable des territoires. Depuis quelques années, des projets collaboratifs de territoires se développent ; la compréhension des dynamiques à l’œuvre, leur diffusion et leur appropriation par d’autres territoires sont les clés qui permettent aujourd’hui de passer à l’échelle à travers une multiplication de ces projets de transition.

Cet article vous est présenté en trois volets :

Nous vous invitons à découvrir dès à présent la deuxième partie.

Mise en contexte

Nous avons vu dans la première partie que la collaboration, de par ses valeurs et applications au quotidien, rejoint les objectifs du développement durable.

Aujourd’hui, nous allons chercher à comprendre comment les pratiques collaboratives peuvent favoriser un développement durable des territoires.

Développer durablement nos territoires par la collaboration : comment faire ?

Les valeurs issues de la collaboration ouverte constituent une manière innovante d’envisager un développement durable des territoires. Mais alors, comment initier ces pratiques sur les territoires ?

L’appartenance au territoire, un préalable indispensable

Un territoire est un espace géographique délimité. Il peut être décrit à partir de plusieurs indicateurs : la démographie, l’histoire, la géographie, l’économie, la sociologie. Source d’identité, le territoire est une représentation culturelle, sociale et ethnique essentielle dans la vie d’un Homme ; il nous donne des racines et permet de nous construire, de se créer un rapport aux autres et au monde.
Le développement durable, qui englobe les trois aspects économique, social et environnemental, est une notion qui ne peut être envisagée sans territoire. Si des démarches individuelles ou collectives s’inscrivent dans une optique de développement durable, elles ne prennent sens que dans leur rapport au territoire. L’objectif est bien que chacun (citoyens, société civile, institutions) agisse à son niveau pour créer de la richesse - au sens large - sur un territoire.

S’impliquer collectivement pour créer un vivre ensemble

Car si les démarches de développement durable sont intimement liées au territoire, c’est bien la population - du moins quelques individus ou groupes d’individus - qui les initie. Cette implication prend racine dans l’attachement de ces personnes à leur territoire, à leur volonté de le développer tout en respectant des valeurs sociales et environnementales afin de le préserver pour les générations futures.
La notion de « bien commun » définie par Alain Ambrosi [2] prend ici tout son sens :
« On parle de « bien commun » chaque fois qu’une communauté de personnes est animée par le même désir de prendre en charge une ressource dont elle hérite ou qu’elle crée et qu’elle s’auto-organise de manière démocratique, conviviale et responsable pour en assurer l’accès, l’usage et la pérennité dans l’intérêt général et le souci du « bien vivre » ensemble et du bien vivre des générations à venir ».
Un bien commun, ce n’est donc pas simplement ce qui appartient à tout le monde mais ce dont tout un chacun peut en faire usage. Un bien commun s’attache à une ressource, naturelle (l’eau) ou non (l’éducation) ; à la communauté en action autour de cette ressource et à la gouvernance que celle-ci se donne : pour qu’un bien soit l’usage de tous, il doit être géré de manière démocratique et participative, sans entrave physique, économique, juridique ou encore culturelle. Ces trois éléments (ressource, communauté et gouvernance) sont indissociables lorsque l’on parle de bien commun. Dans ces conditions, chaque individu peut devenir usager et artisan de la ressource.
Au-delà de l’appartenance au territoire et l’implication de la population, le bien commun permet d’initier un développement durable du territoire. Cela est d’autant plus vrai lorsque le territoire connaît des difficultés qui menacent sa survie (fort taux de chômage, baisse démographique, etc.). Le village de Saint-Camille illustre parfaitement cette situation.

L’exemple de Saint-Camille

Petite commune rurale québécoise, située dans la région des Cantons-de-l’Est au sud de Montréal, Saint-Camille compte 448 habitants (recensement de 2006). Cet élément démographique est essentiel pour comprendre la singularité et la force de Saint-Camille.
Alors qu’elle ne comptait seulement 90 habitants lors de sa création en 1848, la commune a rapidement multiplié par dix sa population, pour atteindre 1 200 habitants en 1914. L’agriculture constituait alors la principale activité. Mais l’appel des lumières de la ville, l’exode rural, l’agriculture intensive et d’exportation ont appauvri Saint-Camille, vidant le village de sa jeunesse et de son activité économique.
Mais les natifs de Saint-Camille n’étaient pas prêts à laisser le village mourir sans rien dire. Partis d’une poignée de citoyens, les habitants ont progressivement uni leurs idées et leur énergie autour d’une forte volonté de vivre-ensemble.
C’est ainsi que les bâtiments historiques du village ont conservé leur vocation communautaire grâce à la création en 1984, par quatre citoyens, d’une corporation privée de capital risque. Grâce à l’union des habitants mais surtout à leurs idées innovantes, le village a réussi à conserver son service de poste, sa caisse populaire, son école primaire et cinq coopératives de solidarité ont vu le jour.

Les habitants de Saint-Camille ont ainsi créé des biens communs au nom du vivre ensemble, liés les uns aux autres par leur appartenance à un même territoire.

La volonté des Hommes est donc fondamentale pour initier une démarche de développement durable sur un territoire. Cette énergie prend racine dans le rapport que les citoyens entretiennent avec leur territoire. Mais la motivation, bien qu’essentielle au démarrage de toute initiative, est un élément instable et éphémère. Elle peut s’essouffler avec le temps (changement de génération, fin d’un mandat politique). Il est donc nécessaire de soutenir ces démarches dans le temps : en créant des infrastructures adaptées et stimulantes pour permettre aux citoyens de passer de l’idée à l’action, de créer des biens communs, d’innover au nom d’un vivre-ensemble.

Les territoires intelligents et communautés apprenantes : de l’idée à l’action

L’intelligence collective, pilier de l’innovation ascendante et de la création de biens communs

L’intelligence collective est à l’œuvre au sein des groupes d’individus qui cherchent ensemble la création et le partage de savoirs et de connaissances. Elle regroupe une communauté autour d’activités d’apprentissages, de retours d’expériences, de perception et de résolution de problème.
L’intelligence collective est au cœur de notre quotidien, sans même qu’on le perçoive. Des piliers parmi les plus fondamentaux de notre société reposent sur ce concept. Pour Pierre Lévy, philosophe et professeur en charge d’une chaire d’intelligence collective à l’université d’Ottawa, « les sociétés contemporaines les plus avancées reposent sur des institutions dont le principal moteur est précisément l’intelligence collective : la démocratie, le marché, la science… » [3].
L’intelligence collective ne se concentre donc pas sur un résultat mais sur le processus qui permet au groupe de faire émerger une solution. Elle explicite ce qui est communément résumé par « le tout est supérieur à la somme des parties. » L’innovation est dite ascendante : elle n’est plus le fruit de quelques dirigeants mais de communautés qui se sont inventées leurs codes, valeurs, fonctionnements et idées.
L’intelligence collective est souvent associée à l’univers numérique. Pourtant, c’est confondre l’outil avec le processus. En effet, les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) constituent des outils collaboratifs qui facilitent la création collective, l’innovation sociale. Cependant, ce n’est pas une condition suffisante à la réussite de l’intelligence collective. La dimension sociale est cruciale. Le véritable enjeu pour les utilisateurs est de savoir transformer ces outils en instruments de travail efficaces dont les bienfaits en termes de créativité, de productivité et de motivation peuvent être substantiels.
Ainsi, un wiki (site internet collaboratif dont Wikipédia est l’exemple le plus connu) ne sert à rien sans l’existence d’un groupe qui le fait vivre. Un wiki regroupe en effet une communauté d’utilisateurs qui contribuent par leurs écrits à faire circuler l’information, à donner de nouvelles idées aux usagers et lecteurs, à rendre accessible à tous les raisonnements, savoirs et actions de la communauté. L’outil permet la mise en lien des idées et des personnes. Sans utilisateurs, le wiki n’est qu’un espace vide sur internet et non un outil collaboratif. L’association Outils Réseaux qualifie ainsi l’outil wiki comme le « tableau blanc de l’intelligence collective ».
Les outils collaboratifs permettent la mise en liens des idées et des personnes, la libre circulation des informations. Ils favorisent ainsi la création collective et l’innovation ascendante.

Un concept : Les territoires intelligents et communautés apprenantes (TICA)

L’intelligence collective prend tout son sens lorsqu’elle est au service de la communauté. Thanh Nghiem parle utilise ainsi la notion de « communauté apprenante » définie comme : « un groupe de personnes qui s’activent sur un territoire et dont l’intelligence infrastructurelle leur permet d’amorcer et d’entretenir une démarche permanente d’apprentissage partagé » [4]. Une communauté apprenante fait donc appel à l’intelligence collective, met en œuvre une gouvernance horizontale et est « ouverte » à toute personne pouvant apporter à la communauté.
Des groupes peuvent se former dans des domaines aussi variés que la santé, l’emploi, l’éducation ou les modes de vie durables. Un même territoire peut donc voir émerger plusieurs communautés apprenantes sur des thèmes aussi variés que l’art et la culture (les amacca), la consommation collaborative (outils ménagers, voiture, etc.), la finance (le crowdfounding), l’éducation (wikischool), etc.
Aujourd’hui, de plus en plus de pratiques collaboratives émergent dans les milieux citoyens et associatifs, mais aussi dans les entreprises et l’univers de la recherche. L’ensemble de ces communautés contribuent au développement durable des territoires en favorisant l’émergence d’innovations sociales adaptées aux enjeux du territoire et durables. Pour favoriser toutes ces pratiques, de nombreuses infrastructures se développent dans la lignée des réseaux du Libre : Labs (medialabs, livinglabs, fablab), les cantines, les tiers-lieux, les openfactory, ect. Véritables lieux d’innovation ouverte et ascendante, ces espaces favorisent l’émergence de nouvelles formes de participation citoyenne en valorisant la compétence et la capacité de création des individus, l’expertise citoyenne, l’intelligence collective citoyenne et les savoirs populaires. Les territoires « s’infrastructurent » pour soutenir l’émergence et le développement des communautés apprenantes.

Thanh Nghiem les qualifie de « territoire intelligent », à savoir un « espace disposant d’infrastructures et de caractéristiques matérielles, conçu, délimité et entretenu pour permettre la circulation rapide d’information, leur analyse, leur interprétation et leur préservation » [5].
Les territoires intelligents permettent le déploiement d’une culture numérique « inclusive » et participative, qui répond aux valeurs des communs et favorise l’innovation ascendante.

Un exemple : la ville de Brest, qualifiée en 2006 de « pionnier du libre et des villes apprenantes » [6].

Depuis 1997, la ville de Brest s’est engagée dans une politique numérique visant à rendre l’accès à internet équitable sur le territoire brestois. Progressivement, sur une dizaine d’années, l’action publique s’est déplacée de l’accès vers les usages et services, puis vers la coproduction de contenus. La ville compte aujourd’hui 77 « Points d’accès publics à internet (PAPI) », plus d’une centaine de sites de publication associatifs ou de quartiers et voit émerger des initiatives d’autoproductions collaboratives.
Pour y arriver, Brest a dû « infrastructurer » l’intelligence (WIFI, WIMAX et/ou ADSL, points d’accès libres et formation des animateurs, machines recyclées (ou matériel neuf bas de gamme) avec un bureau libre type EOS) afin de faciliter l’émergence de communautés apprenantes et l’open data.

D’après Michel Briand, élu initiateur et porteur de cette politique, « le collaboratif, la coopération est un modèle bien plus durable que la compétition. C’est le seul modèle viable et pérenne car il tire son origine des besoins et désirs des usagers et propose des solutions "bottom up", libres et accessibles pour tous ».

De la rencontre entre des territoires intelligents et des communautés apprenantes nait le « changement vers un mieux vivre autrement » affirme Thanh Nghuiem. En donnant aux citoyens les outils pour façonner leur avenir, les moyens pour répondre à leurs besoins, l’énergie pour imaginer des solutions durables, les TICA ouvrent le champ des possibles.

Loos-en-Gohelle, un exemple de TICA.

Ville de 7000 habitants située dans le département du Pas-de-Calais, Loos possède sur son territoire les deux plus hauts terrils houillers d’Europe. Aujourd’hui précurseur du développement durable appliqué, cet ancien bassin minier cumulait pourtant il y a une dizaine d’année, une situation économique désastreuse, un contexte social sous tension et un bilan environnemental très négatif.
Aux abords de l’an 2000, la municipalité s’est alors fixée pour ambition « de se transformer et de se développer par le développement durable. [Et] la municipalité a entrepris de l’appliquer sur tous les leviers d’intervention de la commune » [7], balayant les trois piliers du développement durable, avec pour outil d’action la participation citoyenne.
Depuis diverses actions on germé : mise en place d’un forum local qui place les citoyens au cœur de la décision, systématisation de la norme Haute Qualité Environnementale dans toutes les réalisations, utilisation des TIC comme levier de la démocratie locale (mise en place d’un wiki citoyen (Citoy’N’TIC) et intégration d’un groupe de travail Ville2.0), soutien à la vie associative particulièrement active avec 103 associations qui réunissent 800 bénévoles et 3500 adhérents, etc.
A Loos-en-Gohelle, la chose publique est géré par, avec et pour l’ensemble des citoyens, pour n’oublier personne et permettre un bien vivre ensemble.

A venir demain, la troisième partie de l’article : Pour aller plus loin : la collaboration à grande échelle

[1Amandine Piron, Jessica Banks, Nathalie Chaline, François Elie, Gwendal Briand, Yann Cassagnou

[2Alain Ambrosi, Le bien commun sur toutes les lèvres, publié sur le site Remixthecommons.org http://wiki.remixthecommons.org/index.php/Itin%C3%A9raires_en_Biens_Communs, consulté le 07 juin 2012

[3Les dossiers de l’observatoire, Intelligence collective : les limites de l’océan des savoirs, publié sur le site internet Convergence, http://obstest.sciencescom.org/?p=1113, consulté le 07 juin 2012

[4Territoires intelligents et communautés apprenante, publié le 06/12/2009 sur site Internet de Angenius, http://2008.angenius.net/tiki-index.php?page=TICA, consulté le 07 juin 2012

[5Territoires intelligents et communautés apprenante, publié le 06/12/2009 sur site Internet de Angenius, http://2008.angenius.net/tiki-index.php?page=TICA, consulté le 07 juin 2012

[6Thanh Nghiem, Étude de cas : Brest, publié le 05/09/2006 sur le site de La Quinarderie, http://5.lir.be/tiki-index.php?page=Etude+de+cas+Brest, consulté le 07/06/2012

[7Document pdf, Loos-en-Gohelle, ville pilote du développement durable, janvier 2011, http://jfcaron.files.wordpress.com/2010/05/ville-pilote-04-101.pdf

Posté le 2 juillet 2012 par collporterre

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