Une interview de de Nicolas Miailhe

Sisypho coopération Inde-France et réflexion sur les enjeux de la société numérique

Une interview recueillie par Marguerite Miailhe

1/.Pouvez vous nous présenter l’association Sisyphos ?

Sisyphos est un groupe de réflexion (association loi 1901) intéressé par l’étude du potentiel transformateur des technologies. Il a vocation à rassembler des décideurs, des experts et des citoyens provenant de divers horizons : sciences politiques, monde des affaires, du droit, de l’industrie, de l’université, de la science et de la technologie, service public, études prospectives, conseil, affaires publiques...

Notre groupe de réflexion organise ses travaux autour des problématiques suivantes :

  • Révolution et Démocratie Numérique ;
  • Innovation, Progrès Technique, Transformation Sociale et Environnementale ;
  • Leadership de l’Innovation, de la Transformation et du Développement.

Le choix de ces problématiques s’explique par leur actualité, par leur impact puissant sur l’évolution de notre espèce et de nos sociétés, autant que par leur relative absence du débat politique de premier rang. Notre génération arrive à maturité politique au moment où se profilent, du fait de la révolution numérique et de ses conséquences, des tournants majeurs, s’agissant des grands équilibres qui régissent les ’contrats sociaux’ (liberté, sécurité, égalité, solidarité et progrès social, ...). Tout indique que les décennies à venir risquent d’imprimer une marque indélébile sur l’avenir de l’humanité : les intérêts du court et du long terme n’ont probablement jamais été aussi étroitement imbriqués, autant que politiquement divergents...

En partie basé en Inde, notre groupe a vocation à analyser de manière comparative les problématiques évoquées ci-dessus dans les deux pays. Il a également pour objectif de participer au renforcement de la coopération entre la France et l’Inde sur ces questions.

L’Inde et la France se trouvent dans des situations profondément différentes et hautement interdépendantes au regard du processus de globalisation à l’œuvre. D’un coté un pays continent en pleine croissance, à la recherche d’un modèle de développement sage et équilibré lui permettant de pérenniser et de faire progresser son modèle social unique. De l’autre, un pilier de l’Union Européenne qui s’efforce de maintenir son rang au sein des puissances mondiales en reformant/renouvelant son modèle socio-économique.

2/. Pourquoi proposer un think tank sur l’etude du potentiel transformateur des nouvelles technologies ?

Un groupe de travail politisant ces enjeux nous est paru indispensable tant le politique est absent de cette énorme vague transformationnelle qui change véritablement la vie des gens. Cela s’explique par plusieurs facteurs : fossé générationnel, manque de compréhension de sujets souvent tres techniques et transdisciplinaire, évolutions rapides... L’impact ne peut donc plus être laisse hors de la sphere politique. Un exemple : l’explosion de la dissémination des technologies numériques nous oblige a repenser en profondeur le modèle de protection de la vie privée auquel chaque citoyen a droit. Cela concerne chaque citoyen... et donc chaque élu ! On ne peut plus laisser le monopole du contrôle de ces problématiques aux industriels et aux experts. Une synthèse, soucieuse avant tout de l’intérêt general, est devenue necessaire. Elle doit etre portee par le politique !

En outre, ces problématiques sont, par définition, globale. Le "monde est plat" affirme Friedman... Et cela commence par le cyberespace qui pénètre et influence de plus en plus le monde reel. Et ce n’est que le début : Open data, smart grid, Internet des objets, portefeuille mobile et intelligent ; autant d’innovation a venir qui vont encore bouleverser la vie des Français. Autant d’innovation qui viennent de l’extérieur, même si notre pays cherche avec raison d’y trouver sa place. C’est essentiel car l’Economie numérique représente un relais de croissance formidable pour créer de l’emploi.

La France, dans l’Europe et dans le monde ne peut pas trouver les solutions seule ! Il convient ainsi de mettre en dialogue les visions, les approches et les outils pour créer, d’abords, un plus petit dénominateur commun et ensuite de l’étendre. Ce dénominateur doit prendre la forme d’un cadre réglementaire, reflet d’un équilibre entre les nombreux modèles socio-culturels des peuples de la planète. La tache est immense et complexe. La recherche de ce "dénominateur commun" doit laisser une place importante aux pays émergents et n’oublier personne, même les pays les plus en retrait.

Sisyphos s’efforce de participer humblement a cette dynamique, notamment en rapprochant l’Europe et l’Inde sur ces problématiques. Nous considérons en effet cette relation entre deux des plus anciennes civilisations comme essentielle pour garantir le succès dans la recherche du plus petit dénominateur technologique commun. Nous nous efforçons ainsi de créer des ponts a tous les niveaux : associatifs, administratifs, politiques.

3/. Est ce que les personnes sont sensibilisées aux problématiques traitées telles que la révolution numérique, la transformation du développement, l’innovation,etc ?

D’énormes progrès ont ete fait dans ce domaine et les citoyens semblent de plus en plus conscient des enjeux. Les média jouent leur rôle et la société civile commence. a s’organiser. Par effet de "ricochet démocratique", les politiques commencent doucement a s’emparer de ces problématiques. On les voit progressivement apparaitre dans les programmes électoraux. La montée rapide du Parti Pirate en Allemagne, a cote des grands partis traditionnels, et son émergence en France sont le signe de ce mouvement. Chemin faisant, cela va s’accélérer et l’arrivée aux affaires de notre génération, mieux éduquée sur ces questions que celle de nos parents (bien que née avant la révolution numérique), va encore accélérer et structurer le processus.

Ce qu’il convient de faire c’est de créer de solides outils de prospectives en s’appuyant sur les dernières technologies afin de permettre aux citoyens et aux gouvernants de penser l’impact des évolutions technologiques sur leur modèle social afin de diriger les grandes lignes de la transformation de ce dernier. Attendre et détourner le regard équivaut a laisser d’autres faire, tel Google ou Facebook le faire.... Les choses vont tres vite et certains choix de notre epoque ont vocation a changer radicalement les choses sans que personne ne s’en rende bien compte ni n’en maitrise les mécanismes. C’est dangereux et complétement contraire a l’esprit démocratique qui anime notre modèle de société.

4/. Quels sont les freins pour une association telle que Sisyphos ?

Après 3 ans d’existence, notre petite association est fière du travail accompli. Il représente une goute d’eau dans l’océan des possibles mais nous pensons avoir contribue, a notre niveau, a la politisation des enjeux de l’explosion technologique et de la révolution numérique. Nous avons par exemple fortement contribue au lancement, en Décembre 2010 a l’occasion de la visite en Inde du President Sarkozy, d’une initiative franco-indienne sur "l’Open Government et la démocratisation de l’accès a l’information" entre la France et l’Inde. Le succes de cette demarche nous semblait cruciale, au moment même ou le scandale Wiki-Leaks posait au centre du débat la question des limites du droit d’accès a l’information..... Nous avons également organise des conférences, des projets de coopération entre Universités et ONG du domaine de l’innovation mais aussi des visites d’experts, de haut fonctionnaires et de leaders politiques en France et en Inde autour de ces questions.

Grâce au réseau tisse a tous les niveaux, nous travaillons actuellement a la création d’un groupe de travail de haut niveau rassemblant une vingtaine de leaders globaux provenant d’horizons divers, tant sur le plan géographique que disciplinaires. Fidèles a notre but, ce groupe a vocation a mettre les problématiques technologiques au sommet de la réflexion internationale sur la transformation de notre modèle de croissance, de développement et de gouvernance afin de le rendre soutenable a long terme. Après une phase de gestation assez longue, la première réunion de "People for Global Transformation" aura normalement lieu a Bombay, en Inde, en septembre prochain. C’est un peu le deuxième etage de la "fusée" Sisyphos !


5/. Quelles sont les raisons qui vous font choisir l’usage des nouvelles technologies pour le changement des sociétés ?

Les freins a notre activité sont assez classiques pour une petite association : manque de de ressources (financières et temps) pour organiser des visites d’experts et de leaders dans les deux pays ou pour lancer des projet de coopération structurant, notamment dans le domaine universitaire.

Au delà, nous devons en permanence faire fasse a l’énorme fossé culturel qui sépare la France et l’Inde et qu’il convient de combler pour mettre réellement en dialogue les visions et les approches au delà des stéréotypes. Ces freins forment pour nous, passionnes de l’action et de la relation interculturelle, un défi plus qu’un obstacle. Travailler avec l’administration indienne, très bureaucratique, est loin d’être simple. Faire travailler cette dernière avec l’administration française, relève du casse tête ! C’est passionnant mais ça consomme une énergie immense. D’autant que tous nos membres ont une activité professionnelle a plein temps en parallèle.


6/. Presentez vous en quelques ligne s’il vous plait

La révolution numérique et, plus généralement, l’explosion technologique NBIC créent a travers le monde de fantastiques opportunités autant que de graves menaces. Elles transforment indéniablement les sociétés en profondeur, qu’on le veuille ou non.

Ces transformations se propagent aux sphères économiques, sociales et politiques à une vitesse fulgurante, sans que personne ne réussissent réellement à en synthétiser la substance et encore moins ses implications dans un environnement mondialisé. Or cela est devenu indispensable. Doit on laisse a Marc Zuckenberg le monopole de la transformation de la façon dont nous faisons société ? De la façon dont interagissent sphères prives et sphères publiques ? De façon connexe, doit on laisser aux algorithmes du moteur de recherche de Google le monopole de ce qui forme la "réalité" ? C’est tellement important ! De nombreux films a succès tel Matrix, Intelligence Artificielle, ou encore I-Robot ont contribue depuis la dernière décennie a populariser le potentiel de la vague transformationnelle dans la quelle nous sommes emportes... Quand on se positionne a long terme, on a un petit peu l’impression d’être dans l’oeil de cyclone mais que personne ne s’en rend compte ! Qui en a conscience ? Les armées de Jules César et de Napoléon, que 2000 ans séparent, avançaient au même pas : celui du cheval. Que dire du monde qui sépare les armées de Napoléon et de Georges Bush Jr. ?

La perception des technologies, et de la Technologie, comme outil de développement, de modernisation et de transformation répond, en France et en Inde, à des logiques culturelles profondément différentes autant qu’à des fondamentaux politiques et socio-économiques aux antipodes. Cette divergence de perception conduit globalement à une gestion du « risque technologique » et du rapport « risque / opportunité technologique » à court, moyen et long terme préoccupante.

Nous pensons qu’une étude croisée, continue et pragmatique des problématiques retenues peut contribuer positivement au débat ainsi qu’aux processus de prises de décision en France, en Inde et ailleurs.

Posté le 5 juin 2012

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