Article de fond ANIS : E-books et bibliothèques numériques (2012)

Avec le développement des TIC, les pratiques et habitudes de lecture évoluent depuis plusieurs années. En termes d’accès aux ressources documentaires, nous assistons à une petite révolution : entre nouveaux supports et nouvelles entités…

E-books, késako ?

Les e-books, appelés en français « livres numériques » ou encore « livres électroniques », sont des ouvrages sous une forme dématérialisée. Il s’agit de fichiers numériques qui se lisent sur l’ordinateur ou sur un « lecteur » ou une « liseuse ».
Comme les livres traditionnels, les lecteurs offrent l’autonomie, la transportabilité, la légèreté et l’ergonomie.
Par analogie, on confond souvent le contenu et son support. Ainsi, dans le langage commun, le terme de « e-book » désigne autant le fichier numérique que le lecteur qui permet de le lire.

Un exemple de liseuse - Source : David Sifry

Les e-books, téléchargeables sur Internet, peuvent être gratuits ou payants, mais ils sont toujours soumis au droit d’auteur. Le téléchargement peut être effectué via un nombre important de sites web de types librairies numériques (Numilog, ePagine...), distributeurs (Fnac, Amazon...), ou plateformes de téléchargement.
Ce qui les différencie principalement, c’est leur caractère légal ou non et le panel d’ouvrages qu’ils proposent.

Les e-books sont également accessibles par la lecture en « streaming », l’acheteur paie pour un droit d’accès, mais ne possède pas le fichier numérique. Citons à titre d’exemple Iznéo, une plateforme commerciale qui regroupe plusieurs grands éditeurs et propose de la bande-dessinée numérique.

Amazon a sorti son propre lecteur : Kindle. Google quant à lui propose une plateforme en ligne qui donne accès à des livres numériques : Google Books.
Apple n’est pas en reste avec son Ipad. Soulignons d’ailleurs que le phénomène des tablettes participe au développement des e-books car elles proposent un lecteur de livre numérique, parmi de nombreuses autres fonctionnalités.

En ce qui concerne le prix, c’est certainement l’un des principaux freins à la vente d’e-books. Les lecteurs sont encore majoritairement en quête de contenus gratuits, par le biais de sites proposant des oeuvres libres de droit, en toute légalité. Ces sites sont nombreux et permettent de redécouvrir des classiques.
Les e-books sont globalement chers, voire encore plus que leurs homologues papiers, ce qui encourage la seule utilisation du gratuit ou encore le téléchargement illégal.
En effet, la durée du droit d’exploitation commerciale d’une œuvre étant de 70 ans après la mort de l’auteur, une quantité impressionnante d’œuvres constitutives du patrimoine mondial sont accessibles gratuitement et légalement, ce qui n’encourage pas l’achat d’e-books.
De plus, en France, depuis mai 2011, les prix sont soumis à la réglementation stricte du prix unique. Ainsi, les livres numériques sont régis par les mêmes règles que les livres papiers. Seul l’éditeur peut fixer le prix du livre numérique, qui doit être le même quel que soit le canal de vente au public. Ce qui pousse de plus en plus de distributeurs (comme Amazon) à devenir éditeurs pour fixer eux-mêmes leurs montants pour être plus proches des attentes des consommateurs.
Concernant les liseuses, les prix sont très variables selon les constructeurs et les modèles. Une entrée de gamme peut commencer à un peu moins de 100€, mais les prix peuvent aller jusqu’à près de 300€.

Au-delà de l’aspect financier, les questions des formats et des DRM (Digital Rights Management) font aussi obstacles au développement des livres numériques.
La problématique des formats complique leur accessibilité aux utilisateurs. Ainsi, par exemple, Amazon possède un format propriétaire. La firme tente de garder ses clients en contraignant les possesseurs de Kindle à n’acheter que des livres sur sa librairie car Amazon possède son propre format de fichiers.
Il n’y a donc pas de réelle interopérabilité entre toutes les machines et tous les livres. Seul le format epub présente une large compatibilité, ajoutée aux avantages de la lecture nomade qui permet de réajuster notamment le livre, en fonction de la taille de l’écran ou de la taille des caractères.
Le problème des DRM s’ajoute aux précédents. Ces verrous numériques, destinés à empêcher le piratage et utilisés actuellement par une grande partie des éditeurs, entravent l’utilisation des honnêtes acquéreurs de fichiers numériques. Le client ne peut disposer librement de l’œuvre qu’il vient d’acheter, contrairement à ce qu’il pourrait faire avec un livre papier. Il ne peut pas la prêter librement, rencontre des difficultés au moment du téléchargement, et est contraint dans l’utilisation du livre et risque de le perdre en cas de changement d’ordinateur ou de perte de son mot de passe…

Précisons qu’en France, si le taux de lecture des e-books augmente progressivement (8% des Français ont déjà lu un livre numérique en 2011, contre 5% en septembre 2009 - source Syndicat National de l’Edition SNE), la consommation reste marginale.
Ce qui contraste avec d’autres pays. Aux Etats-Unis par exemple, selon un rapport de l’AAP (Association of American Publishers), le marché de l’e-book aurait, en 2010, augmenté de plus de 164% en comparaison avec l’année 2009, et de 623% en comparaison avec 2008.

Des avantages à nuancer

Les e-books proposent de nombreux avantages, mais certains restent à nuancer.

La facilité et praticité de lecture : Les lecteurs reposent sur une technologie d’encre numérique associée à des microcapsules qui génèrent des points noirs ou blancs sous l’impulsion de signaux électriques. Cette technologie permet aux machines de proposer une lecture aussi reposante de celle des livres traditionnels. Les pages sont faciles à tourner ; ils consomment peu d’énergie (ce qui autorise une utilisation pendant plusieurs heures) ; et l’écran n’étant pas rétro-éclairé (contrairement à celui des ordinateurs ou tablettes) il n’y a pas de problème de réfléchissement à proximité d’une source lumineuse. Cette absence de rétro-éclairage permet une lecture aussi reposante que celle d’un vrai livre. L’encre électronique ne fatigue pas du tout les yeux.
Outre ces caractéristiques, les lecteurs proposent plusieurs fonctionnalités appréciables tels que le surlignage ou l’annotation du texte.
Le e-book présente également un aspect pratique intéressant : s’il devient vite compliqué de transporter plusieurs livres dans son sac, le lecteur permet de stocker des centaines de livres sans difficulté.
Le point noir : l’absence de couleur. Les lecteurs ne proposent pas encore d’affichage en couleurs contrairement à un de leur concurrent : les tablettes numériques, sur lesquelles il est aussi possible de lire les e-books. Mais ces dernières ne sont pas lisibles au soleil et consomment davantage. C’est donc un véritable parti pris de la part des liseuses de privilégier pour l’instant l’encre électronique jusqu’à ce qu’une solution aux défauts de l’affichage couleur soit trouvée.

L’aspect écologique : On peut également considérer l’aspect écologique du e-book, qui ne consomme pas de papier et n’a pas besoin d’être transporté physiquement vers les lieux de vente. Mais l’argument écologique ne peut être pris en compte que si la consommation numérique est massive : dans le cas habituel où un seul lecteur est acheté pour stocker les livres, son empreinte écologique n’est rentabilisée que si un grand nombre de livres est lu.
De plus, les technologies de lecture, pour être plus écologiques, ne doivent pas oublier de se concentrer sur l’utilisation de composants recyclables.

L’auto-édition : L’e-book peut permettre une nouvelle manière de produire des livres. De nouvelles maisons d’édition et plateformes de téléchargement se créent afin de publier des ouvrages et les diffuser sans passer par les canaux de vente habituels.
Mais au regard de la révolution qui a déjà eu lieu dans la musique, et qui cherche toujours à s’affirmer, il semble difficile de lutter contre le monopole des grandes maisons, que ce soit de disques ou d’édition.

Source : Accent on electric

La fin du livre traditionnel ?

Avec la numérisation de milliers d’ouvrages et de catalogues d’éditeurs, le support électronique pourrait imposer un nouveau mode de lecture (malgré les retards en termes de numérisation et la réticence des éditeurs par peur de piratage).

Mais le livre papier présente lui aussi des avantages. En termes de conservation par exemple : un livre peut se conserver plusieurs dizaines d’années, alors que les formats numériques se périment encore trop vite (ils ont une durée de vie de 10 ans).

Sans compter que pour foule de lecteurs, l’e-book n’a pas la magie d’un livre papier. Celui que l’on feuillète, dont on touche les feuilles, que l’on range dans sa bibliothèque, qui s’abîme avec le temps mais dont l’usure fait partie du souvenir de lecture. Cette alchimie reste précieuse aux yeux des lecteurs. En France, les lecteurs sont encore méfiants et réfractaires à l’idée d’acheter un livre qu’ils ne possèdent pas « physiquement »…

Le livre papier ne semble donc pas près de disparaître. D’ailleurs, des marchés plus innovants et appropriés aux e-books pourraient marquer leur différence et finalement leur complémentarité. Par exemple avec des livres numériques sur des thématiques très ciblées, trop pour être prises en charge par les maisons d’édition traditionnelles qui visent souvent un public le plus large possible ; ou bien encore des ouvrages très pratiques et courts, afin de réduire les coûts. Le contenu pourrait également évoluer, intégrant du son ou des vidéos pour illustrer la lecture, les livres numériques se transformant alors en « livres augmentés ».

Les bibliothèques numériques

Au-delà du e-book, les bibliothèques numériques se développent depuis les années 1990.

Une bibliothèque numérique est une entité utilisant les technologies numériques pour acquérir, stocker, préserver et diffuser des documents. Ces documents sont soit directement numériques, soit numérisés à partir d’autres documents.
D’après Le Net des Etudes françaises, une collection numérique devient une bibliothèque numérique lorsqu’elle répond aux quatre conditions suivantes :
- Elle peut être créée et produite dans des endroits différents, mais elle doit être accessible en tant qu’entité unique ;
- Elle doit être organisée et indexée pour un accès aussi facile que possible ;
- Elle doit être stockée et gérée de manière à avoir une existence assez longue après sa création ;
- Elle doit trouver un équilibre entre le respect du droit d’auteur et la diffusion libre du savoir.

Les bibliothèques numériques offrent à la documentation la possibilité d’un développement sans limite. Dans l’idéal, ces bibliothèques nouvelles générations permettraient l’accès aux documents du monde entier, sous toutes les formes.

Parmi les plus connues, citons Gallica, créée par la Bibliothèque nationale de France, qui propose la numérisation d’un fond encyclopédique et patrimonial depuis 1997. Gallica est aussi un portail d’accès à d’autres bibliothèques numériques dont le fonds documentaire est complémentaire avec celui qu’elle-même propose.

Gallica

Citons également le Projet Gutenberg ou Internet Archive.

Les bibliothèques numériques ne renient pas leurs ancêtres. Les missions de base des bibliothèques traditionnelles sont en partie reprises : l’acquisition, le stockage et la conservation, l’aide à la recherche d’information et la facilité d’accès pour le public.
Mais au-delà de cette continuité, les bibliothèques numériques offrent l’opportunité de mettre à profit les technologies afin d’améliorer la recherche, la lecture et l’accès à l’information.

En étant disponible sur Internet, la bibliothèque numérique permet à l’usager d’avoir accès à distance aux ressources. Mais en fonctionnant ainsi, il n’est plus aidé par la présence d’un bibliothécaire. C’est le service de renseignement en ligne qui remplace ce poste, ce qui peut s’avérer insuffisant en termes d’aide à la recherche.

Ainsi, de même que les livres papiers, les bibliothèques traditionnelles ne semblent pas vouées à disparaître. Gardiennes des documents originaux depuis des siècles, elles forment des réseaux solides.
Mais à présent, elles doivent aussi compter sur de nouvelles technologies comme la numérisation ou les e-books qui font de plus en plus leur apparition dans les bibliothèques traditionnelles.

Précisons à ce sujet que plusieurs bibliothèques et médiathèques de France ont fait le choix d’ouvrir au prêt les liseuses (Issy-les-Moulineaux, Rennes, Boulogne-Billancourt…).
En mars 2012, à l’occasion de la Fête de l’Internet, la Ville de Béthune et l’association ANIS ont d’ailleurs eu l’occasion d’accueillir Mme Claudie PLANCHON, responsable des ressources numériques des bibliothèques municipales de Boulogne-Billancourt, pour une conférence sur le thème « Les enjeux du livre numérique (e-book) ».

ANIS Béthune - Mme Planchon

Ainsi, tout l’enjeu réside ici : d’un côté les bibliothèques numériques doivent se développer dans la continuité et l’adaptation des techniques traditionnelles, tout en élargissant les fonctions et les services ; et de l’autre les bibliothèques traditionnelles doivent continuer leur mission sans s’exclure des technologies.

La question de la pérennité des bibliothèques traditionnelles se pose lorsque certaines renoncent au CD jugeant le support déjà désuet, ne misant que sur la musique numérique ; que d’autres ne proposent pas de salle de lecture pour la consultation d’usuels papiers ; ou encore que certaines maisons d’éditions stoppent la fabrication papier de célèbres ouvrages dans leurs collections, notamment les encyclopédies (par exemple la Britannica)…

Depuis une dizaine d’années, les bibliothèques subissent une forte baisse de leur nombre d’emprunts et d’inscrits (phénomène se vérifiant à l’échelle mondiale), et se remettent en question avec plus ou moins d’angoisse. Les bibliothèques tentent d’être présentes sur le Net, sur les réseaux sociaux, de créer de nouvelles formes de recommandations, d’aller vers l’usager au lieu d’attendre que l’usager vienne à elles… Elles cherchent à se réinventer, à s’adapter, à proposer de nouveaux usages, se définir comme un « troisième lieu » pour tenter d’enrayer cette érosion. Une des pistes serait sans doute la bibliothèque « hybride », mariage entre la bibliothèque traditionnelle et la bibliothèque numérique.

Entre rupture et continuité, tradition et modernité, livres et bibliothèques doivent trouver leur place. Le développement des technologies et l’arrivée du numérique font évoluer les pratiques et permettent de nouvelles possibilités, mais ne remettent pas pour autant en cause ces vestiges de notre histoire.

Sources :

- http://www.syl.vlana.fr/lecture-en-...
- http://eduscol.education.fr/dossier...
- http://lemag.rueducommerce.fr/high-...
- http://www.enssib.fr/breves/2011/05...
- http://actu-des-ebooks.fr/2009/02/1...
- http://www.cnetfrance.fr/news/ebook...
- http://www.zdnet.fr/actualites/sur-...
- http://edipro.wordpress.com/2011/02...
- http://www.etudes-francaises.net
- http://www.sne.fr

Elia TROUCHE et Julie BAILLEUL - Pour ANIS - Mai 2012.
Avec l’aimable contribution de Claudie PLANCHON, de la Médiathèque Landowski de Boulogne-Billancourt.

Via un article de Julie Bailleul, publié le 4 juin 2012

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