Quelles règles juridiques pour le cyberespace ?

Non, « la vie n’est pas en lecture seule ». Les internautes, utilisant les possibilités techniques qui leur sont offertes, ne se bornent plus à accéder aux œuvres mais les échangent, voire les utilisent pour en créer de nouvelles, au grand dam des règles actuelles du droit d’auteur et des modèles économiques traditionnels de divers acteurs (auteurs, artistes, éditeurs, producteurs).

Comment « repenser le droit d’auteur » dans l’environnement numérique ? Ce fut la question, désormais classique, posée lors de l’une des trois conférences organisées par Cyberlaw le 6 avril 2012.

Du côté des taxes

Taxer Google et les autres géants du web, taxer les fournisseurs d’accès à internet, voire taxer la pornographie, pistes préconisées dans le débat politique actuel, ne sont pas des solutions satisfaisantes.

Le seul moyen d’apaiser les tensions serait de faire adopter par le Parlement une contribution financière à verser par l’internaute qui, à l’image des licences légales déjà existantes (la licence pour copie privée, notamment [1]) lui accorde des contreparties, en l’occurrence le droit d’échanger des œuvres dans un cadre non marchand. Redevance [2] incluse dans l’abonnement payé à son fournisseur d’accès à internet (FAI), il s’agit, bien sûr, de la licence globale (connue aussi sous d’autres dénominations), rejetée lors des débats ayant précédé l’adoption de la loi Dadvsi en 2006. Quant aux modèles de redistribution « équitables » des sommes collectées, aspects plus complexes [3], Lionel Maurel, auteur du blog S.I.Lex, renvoie à Sharing, l’ouvrage de Philippe Aigrain.

Une réflexion de fond

Pas de remise en cause de la propriété intellectuelle, essentielle pour la création et l’innovation, et un rôle tout aussi important pour le mécanisme de la copie privée, apprécié au regard du test des trois étapes [4] pour David Laliberté, représentant de Research In Motion Limited (RIM), distributeur canadien de musique sur des appareils mobiles, si ce n’est qu’il conviendrait d’harmoniser les procédures et les tarifs de la copie privée, extrêmement contrastés sur le continent européen.

Il était tout à fait opportun, comme il l’a fait, de souligner que les œuvres hébergées désormais dans le Cloud, ne donnaient lieu à aucune copie de l’utilisateur (d’où le paradoxe du maintien de la compensation pour « copie privée » ajouterai-je), de souligner aussi la dimension internationale et l’inadaptation des dispositifs juridiques actuels.

Et de poursuivre sur la nécessité de mener une réflexion de fond sur les objectifs à atteindre, le droit étant un instrument de régulation sociale, avant de modifier les règles actuelles de la propriété intellectuelle qui ne demandent pas une simple adaptation mais une modification en profondeur.

La piste contractuelle

Sans surprise, c’est l’option privilégiée par Mélanie Dulong de Rosnay, représentant Creative Commons (CC). Les contrats, la « soft law » sont, sans nul doute, amenés à prospérer dans le cyberespace.

Puisque la régulation aujourd’hui, indique-t-elle, tend à se faire sur les réseaux non par le droit mais par des acteurs privés par le biais de contrats imposés par les titulaires de droit, pour rééquilibrer le système, il convient de remettre l’accent sur la régulation et le droit des utilisateurs, et d’encadrer les contrats et les conditions générales d’utilisation (CGU), en vérifiant leur licéité et le maintien des exceptions et des limitations.

Et de présenter les licences CC, faculté accordée à l’auteur de ne pas exercer un monopole octroyé par défaut, qui donnent plus de droits aux utilisateurs. Outre les 6 licences habituelles, d’autres options permettent d’anticiper l’entrée dans le domaine public, voire de certifier qu’une œuvre est dans le domaine public, ce qui peut s’avérer fructueux lorsqu’il s’agit de données publiques, de données scientifiques, d’œuvres éducatives, par exemple.

Quelques remarques additionnelles 

La contractualisation, une solution pour la copie privée où des services de distribution en ligne de la musique autorisent par des contrats loyaux (souligné par un Canadien) les copies sur plusieurs supports.

Un droit d’auteur à différencier selon le type d’œuvres puisqu‘il est absurde de mettre sur le même plan des livres, de la musique, des données scientifiques, … les enjeux selon les secteurs n’étant pas les mêmes.

Pourquoi tant de crispation, note-on aussi. Non seulement on peut recourir au système de notification par lequel les titulaires de droits indiqueront qu’une œuvre est hébergée de manière illicite, mais ce sont les FAI qui, au Canada, sont chargés de sensibiliser les internautes « fautifs » sur les risques encourus, ce qui, sans créer d’ »anxiétés », s’avère tout autant efficace face au piratage

La technique, une solution ? Pinterest, attaqué pour inciter à violer les droits d’auteurs, propose aux titulaires de droits sur les photos d’insérer une balise no-pin dans le code des leurs sites. Mais le cas Pinterest permettait aussi de souligner les problèmes posés par les CGU qui, outre le fait qu’elles soient complexes, peuvent être modifiées à tout moment. Il convient donc, de veiller, à rester à rester propriétaire des contenus que l’on dépose sur les réseaux sociaux.

Des batailles autour des exceptions au droit d’auteur dans le cyberespace, menacées, comme l’indique Lionel Maurel, lorsqu’il s’agit des exceptions accordées aux bibliothèques, des exceptions pédagogiques, attaquées à l’heure où on entend faire la promotion de la lecture, ou qui peine à être élargies, comme le démontrent les dispositions aberrantes adoptées pour les œuvres orphelines, ou les tentatives avortées d’un « droit au panorama » qui, à l’image d’autres pays, aurait permis de photographier les œuvres situées sur la voie publique. Mais des velléités intéressantes aussi avec des projets de traité en faveur des bibliothèques et des personnes handicapées examinées en ce moment par l’OMPI, des regards appuyés vers le Fair Use en Irlande, au Royaume-Uni mais aussi aux Pays-Bas, un droit au remix au Canada et en Australie, etc., et un « climat inquiétant » en France alors que le droit d’auteur n’instaure pas une obligation de rémunération et que tout n’a pas vocation à être marchandisé.

Je reprends aussi volontiers aussi qu’à propos de l’équilibre entre deux intérêts de même valeur – le droit de propriété des titulaires de droit et les droits des utilisateurs – que j’ai souvent mis en exergue -, l’on ait souligné, qu’au nom de principes fondamentaux, il fallait établir une hiérarchie des droits (ce qui fut déjà signalé ici), à l’image de la décision de diffuser la traduction de Mein Kampf en dépit de l’opposition de son auteur, qui s’appuyait sur le droit d’auteur.

Qu’en matière de lobbying, enfin, il fallait être guidé par des grands principes, tout en étant attentif aux études d’usage, et être prêt à répondre à des questions concrètes, ajouterai-je. Oui, c’est un exercice difficile !

Illustr. The Net, Shubhojoy Mitra, April 1998. Cyberartgalleru CC by-nc-nd

Notes


[1] Une licence légale pour copie privée qui fait toujours l’objet de plusieurs controverses, ici entre producteurs et artistes-interprètes.

[2] La licence globale (ou dénominations voisines) n’est pas ne taxe mais une redevance, cette « rémunération équitable » étant exigée en échange d’un service.

[3] Même pour la copie privée, comme l’indique le site de l’Adami, une société de gestion collective représentant les artistes-interprètes.

[4] La copie privée, une exception au droit d’auteur et le rôle du test des trois étapes, que je préconise volontiers, car il permet aussi à une exception d’être reconnue, mais qui, comme le préconisaient  plusieurs juristes, devrait être appréhendé différemment.

L’adresse originale de cet article est hhttp://paralipomenes.net/wordpress...

Via un article de Michèle Battisti, publié le 11 avril 2012

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