Quel modèle juridique pour la Digital Public Library of America (DPLA) ? [Eclats de S.I.Lex]

Alors que le pugilat judiciaire continue entre Google et les auteurs dans le cadre du procès Google Books, Robert Darnton, directeur de la Bibliothèque d’Harvard, a annoncé lundi dernier à l’occasion d’une conférence que la DPLA (Digital Public Library of America) verrait le jour en 2013, avec deux millions de livres numérisés accessibles gratuitement.

Ce projet, qui rassemble beaucoup d’énergies aux Etats-Unis, est conçu comme une alternative publique et strictement non-lucrative à Google Books, dont l’objectif est de permettre un accès gratuit en ligne à un maximum d’ouvrages numérisés, que ceux-ci soient sous droits ou non.

Robert Darnton. Par Berkman Center for Internet & Society. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr

A l’occasion de son intervention, Darnton a indiqué que le plus grand défi d’une telle entreprise résidait dans les problèmes juridiques relatifs au droit d’auteur, et il a apporté quelques précisions sur ce qui pourrait constituer le modèle juridique de la future DPLA.

Il a notamment cité l’exemple de certains pays européens (nordiques) pratiquant la licence collective étendue, une forme de gestion collective obligatoire, dans laquelle les droits sur des catégories d’oeuvres sont gérés par une société de gestion collective représentative, et dont les titulaires de droits ne peuvent se retirer qu’en exerçant un opt-out. Darnton a également évoqué la mise en place d’une barrière mobile, permettant de “libérer” les livres en ligne à mesure que ceux-ci entreront dans le domaine public.

Un certain flottement était toutefois perceptible dans les propos de Darnton quant à la manière d’associer auteurs et éditeurs au système pour les ouvrages encore sous droits. Darnton a en effet parlé de la mise en place d’un opt-in OU d’un opt-out, ce qui renvoit pourtant à deux systèmes radicalement différents. Il évoque en effet un opt-in, visiblement à destination des auteurs, pour leur permettre d’adhérer volontairement au projet en acceptant la libre diffusion de leurs ouvrages via DPLA. L’opt-out semblerait plutôt concerner les ouvrages épuisés, non disponibles commercialement, pour lesquels Darnton estime que DPLA pourrait attendre “5 ou 10 ans” avant la mise en ligne et proposer un opt-out pour les titulaires qui souhaiteraient leur retrait. Il propose aussi une “juste rétribution” pour les auteurs professionnels, vivant de leur plume, dont il souligne qu’ils ne sont pas nombreux.

DPLA, un projet important, mais un modèle encore flou (Par chrisfreeland2002. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr)

Le problème, c’est que l’opt-out est justement le point noir, qui a bloqué le projet Google Books et il semble difficile d’employer cette voie pour développer une bibliothèque numérique. Mais Darnton semble estimer que l’aspect “public”, c’est-à-dire strictement non lucratif de la DPLA lui permettra de bénéficier plus facilement du fair use” (usage équitable) que Google, qui avait lui aussi invoqué ce moyen de défense.

Il faut relever qu’un représentant de l’Author’s Guild a justement interpellé Darnton à la fin de son intervention pour lui demander si les intérêts des auteurs avaient bien été pris en compte dans ce projet. Cela peut faire redouter une réaction des auteurs au lancement de la DPLA, l’Author’s Guild étant l’un des plaignants dans le procès Google Books, qui a également attaqué Hathi Trust pour son programme Oeuvres orphelines.

Robert Darnton a cependant indiqué que la DPLA ne pourrait pas traiter ce problème épineux des oeuvres orphelines, dont la résolution requiert selon lui une intervention du législateur américain.

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A ce stade, et bien qu’une certaine hésitation semble encore subsister quant au modèle juridique de la DPLA, on peut toutefois faire quelques comparaisons entre ce projet et le dispositif français sur les livres indisponibles du XXème siècle qui se met en place actuellement, suite au vote de la loi.

- Du point de vue de Darnton, le projet de numérisation français des livres indisponibles ne serait certainement pas qualifié de “public”, puisque son approche est strictement commerciale. Il s’agit de recommercialiser en bloc les livres de la zone grise, alors que le projet américain de DPLA vise à leur offrir un accès public gratuit.

- Techniquement, les dispositifs sont cependant assez semblables, avec l’intervention d’une société de gestion collective et la mise en place d’un opt-out, mais notez que Darnton estime que cet opt-out n’est “fair” (équitable) que parce que le but de la DPLA est de diffuser gratuitement les livres. C’est aussi exactement ce que je pense et ce qui me choque tant dans la loi française : une mesure aussi violente pour les auteurs qu’un opt-out ne pouvait être justifiée que par un but puissant d’intérêt général, l’accès au savoir, et certainement pas par les visées mercantiles qui se sont imposées dans la loi française.

- La voie de l’opt-in existe aussi en France (un titulaire de droit pouvant indiquer par lui-même qu’un livre est indisponible et le faire entrer dans le système), mais contrairement à la DPLA, l’auteur ne peut demander à la société de gestion collective que son ouvrage soit diffusé gratuitement. La commercialisation est la seule issue prévue par la loi française et il est présumé que tous les auteurs veulent que leurs livres soient vendus (ce qui est loin d’être évident, notamment pour les auteurs universitaires). Le seul moyen pour l’auteur consisterait à exercer son opt-out pour sortir du système (chose très complexe, comme je l’ai déjà montré) et diffuser ensuite son ouvrage gratuitement par lui-même.

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Via un article de calimaq, publié le 8 avril 2012

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