Le cadre juridique de la Copy Party en dix questions

 Plus que quelques jours avant la première Copy Party, organisée le 7 mars à la BU de La Roche Sur Yon. Et l’évènement fait parler de lui  !

Une nouvelle rubrique a été ajoutée au site dédié à la Copy Party, dans laquelle j’ai présenté sous la forme d’une FAQ, le cadre juridique de cette manifestation.

Nous avons eu le grand plaisir d’être contactés par plusieurs personnes intéressées pour organiser elles-aussi des Copy Parties, ailleurs en France, dans leurs établissements. La Copy Party est faite pour être clonée et même multi-clonée !

Ces précisions juridiques pourront leur être utiles pour s’assurer du respect de la loi à l’occasion d’une Copy Party. Elles pourront peut-être aussi fournir des arguments à d’autres pour convaincre leur hiérarchie ou leur tutelle (et faire sauter au passage quelques DRM mentaux !).

Vous pouvez également récupérer ici une version abrégée de cette FAQ, à distribuer par exemple aux participants pour leur rappeler le cadre légal.

Avis aux juristes qui liraient ce billet : tous les commentaires sont les bienvenus pour nous aider à améliorer cette présentation ! Merci d’avance !

(Et merci @Desert_de_sel pour sa relecture).

1) Qu’est-ce que la copie privée ?

Lors de la Copy Party, vous allez réaliser des copies de documents.

Du point de vue du droit d’auteur, une copie constitue un acte de reproduction (fixation sur un support). La reproduction fait partie, avec la représentation (communication au public), des droits dits patrimoniaux dont bénéficient les titulaires de droits sur une œuvre protégée. Ces titulaires de droits peuvent être les auteurs de l’œuvre, les cessionnaires de droits (éditeurs) ou ses ayants droit (descendants). Pour les œuvres musicales ou audiovisuelles, il peut également s’agir des titulaires de droits voisins : les interprètes, les producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, les entreprises de communication audiovisuelle. Le droit de reproduction constitue un monopole exclusif de ces titulaires de droits, ce qui signifie qu’en principe une autorisation de leur part est requise préalablement à toute copie de leur création. Ils peuvent autoriser ou interdire cette reproduction ou conditionner leur consentement au versement d’une rémunération.

Il existe cependant dans le Code de Propriété Intellectuelle une série de dispositions appelées « exceptions au droit d’auteur » qui dérogent, dans certaines hypothèses délimitées, au principe de l’autorisation préalable. Cela signifie que l’on peut effectuer les actes auxquels correspondent les exceptions sans demander d’autorisation, à condition de respecter les conditions fixées par la loi.

Une de ces exceptions est la copie privée qui sert de fondement à la Copy Party. Elle figure à l’article L. 122-5 du Code :

Article L122-5

Lorsque l’oeuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire :

[…]

2° Les copies ou reproductions réalisées à partir d’une source licite et strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, à l’exception des copies des oeuvres d’art destinées à être utilisées pour des fins identiques à celles pour lesquelles l’oeuvre originale a été créée et des copies d’un logiciel autres que la copie de sauvegarde établie dans les conditions prévues au II de l’article L. 122-6-1 ainsi que des copies ou des reproductions d’une base de données électronique

Cet article s’applique au droit d’auteur et un autre article du Code concerne les droits voisins :

Article L211-3

Les bénéficiaires des droits ouverts au présent titre ne peuvent interdire :

[…]

2° Les reproductions réalisées à partir d’une source licite, strictement réservées à l’usage privé de la personne qui les réalise et non destinées à une utilisation collective

2) Quels documents puis-je copier lors de la Copy Party ?

Depuis une réforme du régime de la copie privée intervenue le 20 décembre 2011, le législateur a explicitement indiqué que les copies privées, pour être légales, devaient être réalisées à partir d’une « source licite ». La loi n’indique cependant pas que ces sources licites sont limitées aux exemplaires dont le copiste serait propriétaire. A ce titre, il existe d’autres manières de se procurer de telles sources licites et les bibliothèques en sont une. En effet, consulter ou emprunter un document en bibliothèque constitue un moyen d’accéder légalement à une œuvre protégée. C’est la raison pour laquelle une Copy Party est désormais possible en bibliothèque. Avant la réforme de décembre 2011, des incertitudes existaient, à la fois dans la jurisprudence et dans la doctrine, au sujet de cette question de la source licite (dite aussi, « licéité de la source »).

Lors de la Copy Party, vous pouvez donc réaliser des reproductions à partir des documents et ressources qui font régulièrement partie des collections de la bibliothèque. Cela vaut par exemple pour les livres, les périodiques (revues et magazines), les CD ou les DVD.

Il faut cependant noter deux types de documents pour lesquels vous ne pourrez pas réaliser de copies sur le fondement de la copie privée :

  • Les logiciels : La copie privée est écartée en ce qui concerne les logiciels, au bénéfice de la copie de sauvegarde définie par l’article L.122-6-1 du Code : « La personne ayant le droit d’utiliser le logiciel peut faire une copie de sauvegarde lorsque celle-ci est nécessaire pour préserver l’utilisation du logiciel. » Le nombre de copie est limitée à une et il faut surtout que la source soit acquise par le copiste, ce qui n’est pas le cas avec un logiciel consulté ou emprunté en bibliothèque.
  • Les bases de données : Les bases de données sont soumises à un régime juridique particulier, établies par une loi du 1er juillet 1998. L’exception de copie privée ne leur est pas applicable. Néanmoins, ces bases de données sont mises à disposition en bibliothèque sur la base de licences négociées avec les fournisseurs, qui peuvent prévoir la possibilité de réaliser des reproductions (généralement sous forme d’impressions et parfois de copies numériques. Il ne s’agira cependant pas de copies privées) .

3) Comment dois-je réaliser les reproductions lors de la Copy Party pour rester dans le cadre de la copie privée ?

Outre les dispositions prévues par la loi, la jurisprudence (décisions des juges, qui font autorité) a interprété le texte de l’exception de copie privée pour donner des précisions sur la manière dont les copies doivent être réalisées pour être régulières.

Un arrêt de la Cour d’appel de Paris (dit Ranougraphie et rendu à propos d’une officine de photocopies) a notamment indiqué en 1974 que la copie ne pouvait être considérée comme privée que dans la mesure ou le copiste ne réalisait une reproduction qu’avec un matériel dont il était propriétaire.

Cela signifie que dans le cadre de la Copy Party, il faudra que vous réalisiez les reproductions des ouvrages de la bibliothèque uniquement avec des appareils qui vous appartiennent et que vous aurez apportés à cette occasion. Il peut s’agir d’un ordinateur portable, d’un graveur, d’un disque dur externe, d’un appareil photo, d’un téléphone portable ou de tout autre appareil similaire (plus d’infos à ce sujet ici).

Vous ne pourrez pas par exemple emprunter l’appareil d’un des participants à la Copy Party pour réaliser la reproduction et vous l’envoyer ensuite par mail. Vous ne respecteriez pas les conditions posées par la jurisprudence.

Notez par ailleurs que si le règlement intérieur d’un établissement ne peut vous empêcher d’une manière générale de réaliser de telles copies (car ce règlement est lui-même soumis à la loi), une bibliothèque peut toutefois poser des limites ou organiser l’exercice de cette faculté de copie des usagers. Des raisons de conservation (ouvrages fragiles…) peuvent motiver des restrictions, de même que des raisons de tranquillité et de convivialité (ne pas poser les ouvrages par terre pour les photocopier, ne pas monopoliser tout le contenu d’un bac de CDs un après-midi entier pour en faire des copies, etc).

4) Que faire si des moyens techniques de protection (DRM) empêchent la copie ?

En ce qui concerne les CD ou les DVD, des verrous techniques (dits MTP pour Mesures Techniques de Protection ou DRM pour Digital Right Management) peuvent venir limiter ou empêcher les facultés de copie des utilisateurs.

La loi DADVSI du 1er août 2006 a interdit de contourner ou d’inhiber une mesure technique de protection. De tels actes sont constitutifs d’un délit, passible d’une amende de 3750 à 30 000 euros. Il est donc exclu de contourner un DRM lors d’une Copy Party.

En revanche, il faut savoir que la loi ne permet normalement pas que des DRM interdisent complètement aux utilisateurs de bénéficier de l’exception de copie privée. L’article L. 331-7 précise en effet que : « Les titulaires de droits qui recourent aux mesures techniques de protection définies à l’article L. 331-5 peuvent leur assigner pour objectif de limiter le nombre de copies. Ils prennent cependant les dispositions utiles pour que leur mise en oeuvre ne prive pas les bénéficiaires des exceptions visées au 2° de l’article L. 331-31 de leur exercice effectif. »

Les titulaires de droits peuvent seulement conditionner le bénéfice des exceptions à un accès licite à l’œuvre, mais nous avons vu que c’était bien le cas pour la Copy Party.

Dans le cas où un DRM empêcherait toute possibilité de copie privée, il n’est pas possible de s’en plaindre directement devant le juge. Une décision de la Cour de Cassation, rendue le 19 juin 2008 dans l’affaire Mulholland Drive, a en effet indiqué que la copie privée n’était pas un droit au sens propre, mais seulement une exception légale, et qu’à ce titre elle ne pouvait être invoquée que comme moyen de défense dans un procès et non servir de fondement à une action formée à titre principal.

Une Autorité de Régulation des mesures Techniques (ARMT) avait été créée par la loi DADVSI, dont les attributions ont été reprises par la Hadopi (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet). Cette dernière peut être saisie par tout bénéficiaire de la copie privée ou par toute personne morale agréée qui le représente, lorsqu’une mesure technique restreint de manière illicite l’exception de copie privée.

5) Quels usages puis-je faire des copies réalisées dans le cadre de la Copy Party ?

La loi précise que les copies pour rester licite doivent être « strictement réservées à l’usage du copiste et non destinées à une utilisation collective ».

Vous devrez donc réserver les copies des œuvres réalisées dans le cadre de la Copy Party à votre usage personnel, à l’exclusion de toute forme d’usage public.

La jurisprudence admet néanmoins, dans des conditions restrictives, que l’usage reste privé s’il se limite à votre cercle de famille (parents et amis proches). Il exclut cependant le prêt à des tiers des copies réalisées, qui impliquerait un abandon de votre part de la maîtrise des copies. L’usage privé exclut également formellement toute forme de mise en ligne, sur Internet, mais aussi à un petit nombre d’utilisateurs ciblés (ex : partage à des mais sur un réseau social). Il exclut également l’envoi par mail en pièces des copies à un tiers.

Vous pouvez en revanche réaliser plusieurs copies ou transfert des œuvres reproduites lors de la Copy Party, les stocker sur le disque dur d’un ordinateur personnel, une clé USB ou même un service de stockage en ligne (type Dropbox), dans la mesure où ce stockage exclut toute forme de partage.

Notez cependant que dans le cadre d’une copie privée, vous n’êtes pas tenus de réaliser seulement une reproduction partielle de l’œuvre, mais vous pouvez la copier dans son intégralité.

6) Faut-il qu’une Copy Party soit organisée pour pouvoir réaliser des copies privées à la bibliothèque ?

Non.

Suite à la réforme du 20 décembre 2011, la copie privée est possible à partir de « sources licites » en tout temps et il n’est pas besoin qu’une Copy Party soit spécialement organisée dans un établissement pour avoir le droit de réaliser des copies privées à partir des collections de bibliothèques.

La Copy Party ne fait que s’appuyer sur cette faculté des usagers des bibliothèques, consacrée par la loi, dans le cadre d’un évènement particulier.

7) Puis-je faire des copies privées à partir de documents empruntés à la bibliothèque ?

Oui.

La Copy Party consiste à réaliser des reproductions sur place dans un établissement à partir de documents mis à disposition par la bibliothèque. Mais les usagers peuvent également réaliser des copies privées à partir des documents empruntés, dans la mesure où ils respectent les conditions posées par la loi et où un droit de prêt existe.

Le prêt public constitue en effet un acte relevant du monopole exclusif des titulaires de droits, depuis qu’une directive européenne du 19 novembre 1992 en a disposé ainsi.

Ce dernier point mérite attention, car certains types de documents sont parfois proposés en prêt dans les bibliothèques, sans qu’une solution légale ou contractuelle ne l’autorise. C’est le cas par exemple pour les CD musicaux qui sont prêtés en vertu d’une simple tolérance de fait et d’un usage admis par les titulaires de droits. Dans ce cas, la source n’étant plus « licite », il n’est pas possible de réaliser une reproduction d’un CD emprunté en bibliothèque sur la base de la copie privée et toute reproduction sera illicite. La reproduction est toutefois possible sur place, dans le cadre de la Copy Party ou à tout autre moment, car la directive européenne indique explicitement que le prêt n’englobe pas la mise à disposition à des fins de consultation sur place.

Pour les livres, c’est un mécanisme de licence légale, qui depuis la loi du 18 juin 2003, a donné une base légale au prêt public d’ouvrages par les bibliothèques. La reproduction de livres empruntés en bibliothèque est donc possible au titre de l’exception de copie privée.

Pour les DVD, il n’existe pas de licence légale, mais les bibliothèques se procurent ces supports auprès d’intermédiaire qui négocient les droits de consultation sur place et de prêt auprès des titulaires de droits. La source reste donc bien licite en cas de prêt à l’usager et une copie privée par ce dernier est possible.

Pour d’autres types de supports, comme les jeux vidéos, il convient de rester prudent. Le statut juridique du jeu vidéo reste assez incertain en jurisprudence et les conditions de leur mise à disposition en bibliothèque restent floues. Il est sans doute préférable de ne pas réaliser de copies privées à partir des supports empruntés en bibliothèque.

8) La Copy Party est-elle entièrement gratuite ?

L’acte de reproduction en lui-même n’exige pas de verser une rémunération aux titulaires de droits et les copies que vous réaliserez dans le cadre de la Copy Party pourront l’être à titre gratuit.

Cela ne signifie pas néanmoins que l’exception de copie privée en elle-même soit gratuite. En effet, une rémunération pour copie privée est prévue par la loi et versée par les usagers, sous la forme d’un surcoût payé lors de l’achat des supports vierges. Initialement instaurée sur les cassettes audio et vidéo, cette redevance a été étendue dans les années 2000 aux supports d’enregistrement numérique, comme les CD-R, les DVD-R, les baladeurs MP3, les graveurs de salons, les disques durs externes, les mémoires flash, les clés USB, les téléphones mobiles, etc.

Une Commission sur la rémunération pour copie privée est chargée de fixer la liste des supports concernés par cette redevance et d’en établir le taux.

En 2008, cette redevance représentait 173 millions, reversés à 75% à des sociétés de gestion collective chargées de les reverser aux titulaires de droits. Les 25% restant servent à financer des actions d’intérêt culturel (Festivals, etc).

La Copy Party n’est donc pas entièrement « gratuite » au sens où vous vous serez acquitté de cette redevance lors de l’achat des moyens de reproductions que vous emploierez pour réaliser les copies.

9) Existe-t-il d’autres hypothèses où je peux réaliser légalement des copies en bibliothèque, mais qui ne relèvent pas de la copie privée ?

Oui, ces occasions sont nombreuses et peuvent relever de plusieurs terrains juridiques différents. Quelques exemples :

  • L’usage des photocopieurs mis à disposition des usagers par la bibliothèque : le moyen de copie n’étant pas la propriété du copiste, il ne s’agit donc pas de copies privées. La reprographie relève d’un système de gestion collective obligatoire, instauré par la loi du 3 janvier 1995. Cela signifie que pour mettre valablement à disposition de ses usagers des photocopieurs, la bibliothèque doit conclure un contrat avec le CFC (Centre français d’exploitation du droit de copie) et lui verser une rémunération annuelle qui sera reversée par cette société de gestion collective aux titulaires de droits.
  • L’usage de scanners mis à disposition des usagers par les bibliothèques : La loi sur la reprographie ne s’appliquant pas aux procédés numériques de copie, il faut rester prudent lorsqu’on utilise un scanner mis à disposition par une bibliothèque. La reproduction ne sera légale que pour des ouvrages du domaine public ou pour certains usages pédagogiques et de recherche (voir ci-dessous).
  • Les copies réalisées à partir d’imprimantes connectées à des postes internet : Ces sorties papier sont généralement soit assimilées à des reprographies et gérées selon le même principe, soit autorisées par les licences négociés par les bibliothèques pour la mise à disposition de ressources numériques (mais elles peuvent aussi être interdites sur une base contractuelle par les fournisseurs).
  • Les reproductions numériques d’extraits d’œuvres réalisées à des fins d’illustration de l’enseignement et de la recherche : Le Code de Propriété Intellectuelle contient une autre exception, destinée à permettre l’utilisation d’oeuvres protégées dans le cadre de l’enseignement et de la recherche. L’exception s’applique à la numérisation d’extraits d’œuvres, réalisées par des élèves, des étudiants, des chercheurs ou des enseignants, dans le cadre d’activités pédagogiques ou de recherche. La mise en œuvre de cette exception est complexe car les conditions varient en fonction des types de supports (livres, périodiques, images fixes, œuvres musicales ou audiovisuelles). Il est préférable de demander conseil aux bibliothécaires avant d’essayer de l’utiliser.
  • Vous pouvez aussi bien sûr réaliser des copies d’oeuvres pour lesquels le droit d’auteur ne s’oppose pas à la reproduction. Il peut s’agir soit d’oeuvres appartenant au domaine public (mais vérifiez bien avec les bibliothécaires c’est bien le cas, car le calcul peut s’avérer complexe) ou bien d’oeuvres placées par leurs auteurs sous une licence libre (la reproduction sera alors permise, à condition de respecter les conditions de la licence).

10) Puis-je participer à la copy-party de La Roche sur Yon même si je ne suis pas inscrit à la bibliothèque universitaire ?

Oui.

L’accès à la bibliothèque universitaire est gratuit et ouvert à tous. Il n’y a que si vous souhaitez emprunter des documents chez vous qu’il vous faut disposer d’une carte de lecteur. Mais l’accès à la copy-party est lui, ouvert à tout le monde.

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Via un article de calimaq, publié le 8 mars 2012

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